Culture pub

Jérôme Rudoni, fondateur d’Adada
Foto: Trash Picture Company
d'Lëtzebuerger Land vom 18.01.2019

Derrière la porte en aluminium de l’immeuble place de Hollerich à Luxembourg, Léon veille. Pas un « Léon nettoyeur » baraqué type Jean Reno, mais un petit Léon, tout chétif, type chihuahua. Un mot de son maître et le chien de garde se calme. Les bureaux du rez-de-chaussée sur un des carrefours les plus encombrés du pays abritent 11 août Media, la société que vient de créer Jérôme Rudoni fin 2018, lorsqu’il s’est lancé en indépendant pour faire à plein temps ce qu’il faisait depuis huit ans en activité accessoire : le site Adada.lu, qui promeut la créativité du secteur publicitaire au Luxembourg. « Maintenant, je suis totalement indépendant, personne ne me dit quoi faire », insiste-t-il, en interview avec le Land. Même s’il s’est lui-même toujours considéré comme indépendant, on le soupçonnait toujours d’être plutôt en faveur de ses patrons respectifs, Concept Factory d’abord, puis Maison Moderne.

Col roulé noir, jean noir, montre design, barbe et calvitie soignées, yeux bleus... – trentenaire dynamique, Jérôme Rudoni se situe en plein cœur de cible d’Adada : la communauté des créatifs de la publicité et des médias, designers graphiques, media planners, webdesigners ou responsables d’agences publicitaires. En tout, ils seraient 7 000 dans le secteur, estime le Creative Cluster de Luxinnovation ; Adada compte 6 000 visiteurs uniques et 25 000 page views par mois, des chiffres que Rudoni trouve satisfaisants, mais voudrait développer – maintenant qu’il n’a plus que ça à faire. En 2008, lorsque Jérôme Rudoni débarque au Luxembourg de sa France natale – après des études en création publicitaire et marketing à Nancy, puis un long stage dans le secteur à Casablanca –, il est frappé par l’absence de culture publicitaire au grand-duché. Deux ans plus tard, il lance donc un site de veille et d’archives des campagnes de publicité, avec les visuels, logos, stratégies. « Le premier, le seul, donc le meilleur site dédié à l’actualité publicitaire du Luxembourg », selon son site, Adada répertorie en outre les agences du Luxembourg, publie les changements de carrière des créatifs ou responsables, réalise des interviews avec les professionnels du secteur… « L’idée de base était de relayer les campagnes de pub et de les archiver, explique Rudoni. Mais pour attirer les gens, il faut aussi parler d’eux. Puis s’y est ajouté le travail de veille des carrières… »

Adada a sa communauté de fidèles, qui le suivent aussi sur les réseaux sociaux et via sa newsletter Ododo. L’enthousiasme de certains fans, notamment Mike Koedinger (l’ancien employeur de
Rudoni, qui travailla comme content media strategist pour Maison Moderne de 2014 à octobre 2018) allait même jusqu’à l’emprunt de nom, Maison Moderne ayant appelé son magazine annuel sur l’art contemporain Dadada et celui réalisé pour le compte du Creative Cluster Dododo (Jérôme Rudoni ne veut pas se prononcer sur le sujet). En dix ans d’activité, Adada a vu changer le secteur de la publicité : « Au début, je me suis dit que pour la créativité, on repassera », se souvient-il. Mais qu’aujourd’hui, « il y a parfois de chouettes campagnes ». La MarkCom, fédération des agences, a été lancée, tout comme l’association Design Friends et deux prix sont remis chaque année aux meilleures campagnes, les Media Awards et ceux de Marketers/Farvest (qui, tous les deux, récompensent en réalité surtout l’annonceur avec le plus gros budget, mais c’est encore une autre histoire). « En fait, Adada veut conscientiser tout le monde sur l’importance de bonnes campagnes », insiste Rudoni, comme des archives des best et worst practices. Les agences devant, faute de masse critique, recruter des créatifs de plus en plus loin à l’étranger, ces derniers apportent aussi de nouvelles idées et une nouvelle esthétique au microcosme autochtone.

« Aujourd’hui, la publicité a bien changé », affirme Jérôme Rudoni, assis sous les néons d’une petite salle de réunion, adjacente à une kitchenette dans laquelle trônent des chaises en formica blanches. Sur la table, les magazines de Maison Moderne, en haut de pile, PaperJam, qui avait jadis, se souvient Rudoni, une rubrique avec les meilleures campagnes du mois. C’est lorsque cette rubrique a été supprimée qu’il a décidé de lancer Adada, pour fédérer cette communauté demanderesse d’un média qui fasse lien. « Hier, quand on envisageait une campagne, il y avait toujours au moins un spot pour la télévision et des annonces dans la presse écrite », se souvient-il. Alors qu’« aujourd’hui, on peut avoir toute une campagne sans cela ». Lui a grandi dans les années 1990-2000, quand on regardait Culture pub de Christian Blachas sur M6. « Aujourd’hui, certaines campagnes ne passent plus que par le web », a-t-il observé, ce qui constitue surtout un casse-tête pour les media planners. Car si on peut toucher le public 24 heures sur 24 sur le web, ce public est extrêmement fractionné, atomisé, et il est difficile de trouver un langage et un canal fédérateurs. Si en plus ce public installe d’office des ad blockers, des logiciels bloquant les publicités sur les moteurs de recherche, les agences doivent encore une fois doubler d’inventivité pour communiquer. Par exemple en ayant recours à du native adverstising, la grosse tendance, où, à l’image des advertorials, le message passe par le contenu des médias qu’il intègre, « avec l’idée d’intéresser le lecteur et de transmettre les valeurs sans interrompre le flux de lecture » selon Rudoni. Toutes ces évolutions sont répertoriées et discutées sur Adada, qui se finance essentiellement par des annonces (vendues sous la régie de Maison Moderne) et les offres d’emploi spécialisées. D’ici l’année prochaine, lorsque le site fêtera ses dix ans, Jérôme Rudoni regorge d’idées pour le développer et le relancer.

josée hansen
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