Philippe Weis, premier « chief resilience officer » du pays, travaille depuis le 1er mai pour la commune d’Esch-sur-Alzette. Sa mission ? Répondre aux crises, notamment climatiques

Panique interdite

Philippe Weis, dans le jardin éphémère situé devant l’Hôtel de Ville d’Esch-sur-Alzette
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 15.08.2025

d’Land : Quel est le rôle d’un « chief resilience officer » ?

Philippe Weis : Ma mission est double. Je dois déterminer les risques qui peuvent survenir, donner la priorité aux plus probables et établir des plans d’action afin que les services communaux réagissent de la manière la plus efficace ssible, pour garantir la continuité d’un certain nombre de services. Je pense à la fourniture de l’énergie ou de l’eau, par exemple. J’échange donc quotidiennement avec les services de la ville d’Esch (service écologique, travaux publics, voirie, sécurité, services sociaux, communication…) pour développer la coordination qui apportera une réponse rapide et adaptée en toute circonstance. Et puis, je dois également promouvoir la résilience auprès de la population en l’informant sur les comportements à adopter lors des crises.

Comment vous êtes-vous retrouvé à ce poste ?

J’ai obtenu mon master d’ingénieur civil spécialisé en ingénierie urbaine et environnementale à l’Université de Liège. J’ai ensuite travaillé à la réalisation de concepts de protection communaux contre des inondations. Je définissais des zones de danger et développais des catalogues de mesures de protection. Pour tester ces mesures, je concevais aussi des modèles numériques de bassins versants ou de voies hydrauliques. Cette expérience m’est très utile aujourd’hui, même si les thématiques que j’aborde sont beaucoup plus vastes désormais.

Justement, quels sont les risques que vous avez identifiés ?

Mes priorités sont les canicules et les inondations, mais il y en a beaucoup d’autres : les pluies verglaçantes, les tempêtes, les incendies, les sècheresses, les glissements de terrain... Nous prenons également en compte les risques industriels ou technologiques, comme les pollutions (avec la problématique de l’eau potable) ou les black-out électriques, dont la probabilité est faible mais la sévérité importante. On s’en est rendu compte avec les récents incidents chez Post. Dans tous les cas, nous nous inquiétons particulièrement des populations les plus vulnérables.

Quelles solutions apportez-vous lors des canicules, de plus en plus fréquentes ?

Nous avons déjà avancé sur ce sujet. Juste avant les premières fortes chaleurs de l’été, à la fin du mois de juin, nous avons réalisé une carte intitulée « Vivre avec la chaleur à Esch ». On y trouve l’emplacement des bornes d’eau potable, des distributeurs de crème solaire, des espaces verts, des plans d’eau et des rivières accessibles, des jeux d’eau pour les enfants… Ce sont des informations pratiques, qui aident les habitants à mieux supporter la chaleur. Nous avons conçu ce document un peu dans l’urgence pour le diffuser rapidement sur nos réseaux sociaux et nous l’affinons petit à petit.

Comment définir la résilience, dans votre domaine de compétence ?

Une crise se caractérise par une perte de fonctionnalité brutale. Mon rôle est de mettre en place les stratégies pour la décaler dans le temps et réduire son impact ainsi que sa durée. Ensuite, nous devrons être capable de reconstruire, mais en mieux, de manière à ce que le nouveau niveau de fonctionnalité soit supérieur à l’ancien.

Tout cela est finalement très théorique, comment savoir si vos plans seront efficaces ?

Il faut regrouper un maximum d’informations et se donner les moyens nécessaires pour évaluer l’effet des mesures de protection. Par exemple, Esch a connu de fortes inondations le 29 juin 2024. Je n’étais pas encore là, mais la ville a recueilli les témoignages de nombreux habitants pour mieux estimer les dégâts sur son territoire. À notre connaissance, aucune autre commune n’a réalisé cette démarche qui s’est révélée être très instructive. Nous avons comparé ces informations avec celles des services de secours et les cartes d’inondations qui existent déjà sur le Geoportail. Eh bien, elles ne se recoupent pas toujours. Certains logements qui, selon les prévisions, auraient dû être touchés ne l’ont pas été tandis que d’autres, que l’on croyait à l’abri, ont été inondés.

Comment expliquer cette dissociation ?

En fait, c’est normal. Les cartes d’inondations du Geoportail sont vraiment bien faites, mais calculer une modélisation très précise pour l’ensemble du territoire nécessiterait une puissance de calcul gigantesque. Il faudrait prendre en compte toutes les possibilités d’évacuation de l’eau, les déversoirs, les égouts, les canalisations, les endroits où l’eau pourrait s’infiltrer… Le faire de manière extrêmement précise est pratiquement impossible. Du moins à l’échelle d’un pays.

Et à celui d’une commune ?

Ça l’est davantage, j’y travaille. Il faut définir des tracés d'eau, c’est-à-dire les parcours à travers lesquels l’eau pourra s’évacuer en cas de fortes pluies, puis réfléchir à l’emplacement des infrastructures critiques (police, pompiers, écoles, services médicaux…), qui ne doivent pas être situées dans des zones inondables. Pour limiter les risques, les renaturations des rivières sont le remède prioritaire. Elles permettent de stocker l’eau excédentaire avant qu’elle arrive en ville, à des endroits ciblés où cela ne posera pas trop de problèmes. Nous devons également desceller un maximum de surfaces pour favoriser la pénétration de l’eau dans le sol. J’entends parfois qu’il suffirait d’installer des conduites d’évacuation plus grosses pour évacuer l’eau des fortes pluies. Mais les gens ne se rendent pas compte que, dans le cas des précipitations qui provoquent les flash floods, les tuyaux devraient alors avoir des diamètres complètement irréalistes.

Ce type d’inondations, c’est le scénario que vous redoutez le plus ?

Avec le réchauffement climatique, nous savons qu’elles font partie des catastrophes les plus probables. Toutes les études montrent que les fortes pluies sont de plus en plus récurrentes et intenses, or ce risque est très largement sous-estimé par la population. À Esch, nous sommes assez préservés des risques d’inondations par débordement de rivières, puisque nous sommes au début d’un bassin versant. La Nordstadt, qui se trouve à la confluence de l’Alzette, de la Sûre et de la Wark, n’est pas du tout dans la même situation que nous. Mais les pluies torrentielles, elles, peuvent arriver n’importe où.

Erwan Nonet
© 2025 d’Lëtzebuerger Land