La Chambre de commerce se prépare à l’après-Michel Wurth

Looking for Frieden

d'Lëtzebuerger Land du 18.01.2019

Luc Frieden succédant à Michel Wurth comme président de la Chambre de commerce : depuis trois semaines, c’est une des hypothèses discutées au sein des organisations patronales. L’ancien ministre des Finances chrétien-social vient de passer deux étapes préliminaires : il a été nommé électeur pour la Banque internationale à Luxembourg (dont il préside le CA) et figure parmi les cinq candidats destinés à devenir membres effectifs du Groupe 4 « Banques caisses rurales et autres activités financières ». Concoctée par l’Association des banques et banquiers, la liste des candidats a été avalisée ce mercredi. Pour Luc Frieden, l’éternel dauphin qui se voyait déjà commissaire à Bruxelles, la présidence de la Chambre de commerce sera une occasion d’étoffer son capital symbolique. (Contactés par le Land, ni Luc Frieden ni Michel Wurth n’ont souhaité commenter publiquement.)

Dès juin 2018, Michel Wurth, qui préside la Chambre de commerce depuis quinze ans, expliquait qu’il espérait que les élections sociales de 2019 seraient l’occasion d’« un renouvellement » et d’« un rajeunissement » de l’institution, en précisant qu’il n’avait pas encore décidé s’il allait se représenter ou non. Car encore devra-t-il trouver un successeur : un manager parlant le luxembourgeois, bien introduit dans les milieux économiques et politiques, libéré par sa firme pour remplir une tâche honorifique mais chronophage. Un acte de funambule, car le candidat devra en outre rassembler un large soutien, des cafetiers aux industriels, des commerçants aux banquiers.

Le processus pour renouveler la Chambre de commerce reste peu représentatif. Le taux de participation est infime : En 2014, quelque 5 000 entreprises (sur un total de 85 000) avaient pris la peine de s’inscrire sur les listes électorales. L’expression la plus surréelle de ce décalage est le Groupe 2, qui réunit les sociétés de participations financières. Sur 42 360 holdings, seules 344 étaient inscrites. Pour éviter une OPA d’une nuée de sociétés boîtes-aux-lettres, le Groupe 2, bien que numériquement écrasant, ne dispose que d’un siège à la Chambre de commerce, occupé par un expert-comptable. En février 2017, la vénérable Handelskammer de Hambourg avait ainsi été accaparée par la liste « Die Kammer sind wir », qui promettait d’abolir les cotisations obligatoires. Or, cette rébellion a tourné court, le lourd appareil administratif et ses logiques ayant prévalu.

Plutôt que de risquer une concurrence libre et non faussée, les organisations patronales préfèrent monter des cartels électoraux. Tout se joue donc d’avance, au moment de l’établissement des listes. (Elles devront être déposées d’ici la fin février.) Aux fonctionnaires patronaux de trouver les savants équilibres : entre sociétés locales et internationales, entre grands et petits contributeurs ; tout en ménageant les sensibilités politiques et les ambitions personnelles des uns et des autres. Il s’agit d’arriver à une liste unique et d’éviter un scrutin ; normalement, les candidats devraient donc être « proclamés élus par le président du bureau de vote sans autre formalité ». Les élections restent rarissimes. La dernière a eu lieu en 1999 dans le groupe des banques et celui des assurances. Pour le scrutin 2019, un péril dissident transparaît du côté du Groupe 1, liste fourre-tout rassemblant le « commerce et autres activités commerciales non spécialement dénommées » : épiciers, transporteurs, informaticiens, promoteurs immobiliers…

Le prochain président de la Chambre de commerce devra ensuite se faire élire par l’Assemblée plénière au Bureau. Ne comptant que cinq membres, c’est le cénacle restreint du patronat. Pour s’y imposer, Luc Frieden devra faire ses adieux au CSV et renoncer à ses mandats politiques. (Ce qui ne sera pas compliqué, puisqu’il n’en exerce aucun à l’heure actuelle.) Or, Luc Frieden à la tête de la Chambre de commerce créerait une situation politiquement sensible : Comment le gouvernement libéral réagirait-il à l’ancien ministre CSV ? Celui-ci serait-il un président affaibli, puisque d’entrée suspecté de collusion avec l’opposition ? Frieden a toujours été entouré d’une aura de technocrate post-démocratique, qui aurait aussi bien pu faire carrière au DP. Mais il incarne également les excès du modèle d’affaires offshore, traînant la casserole « Luxleaks ».

Si elle se confirmait, la fin de la présidence de Michel Wurth marquerait une rupture chronologique pour une institution semi-étatique qui, depuis plus d’un siècle, est dominée par les cadres de la sidérurgie. Via son directeur René Winkin, la Fédération des industriels fait d’ores et déjà savoir qu’elle « ne va pas monter sur les barricades » si elle n’obtient pas la présidence de la Chambre de commerce.

Bernard Thomas
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