Bernard Baumgarten

Danse d‘esprit

d'Lëtzebuerger Land du 16.12.2011

Bernard Baumgarten a une voix agréable, calme, qu’on ne se lasse pas de suivre quand il fait défiler les stations d’une vie dansée, la sienne. À la Banannefabrik à Bonnevoie, dans son bureau encore neuf et un peu vide aux murs calqués en blanc, des images renaissent : de studios d’audition miteux à Paris, de flamboyantes salles d’opéra à Munich, d’une université nationale en Corée du Sud… des lieux où Bernard Baumgarten a dansé, chorégraphié et enseigné. Avant de se poser au Luxembourg où il est, depuis 2007, directeur artistique du Centre de création chorégraphique luxembourgeois, mieux connu sous le nom de Trois C-L. Derrière son Mac gris, barbe poivre et sel taillée à la perfection et apparence sobre, celui qui dit avoir horreur de la routine gigote discrètement sur sa chaise, se penche en avant, croise les jambes… Et raconte ces temps agités quand il carburait au changement et à la danse, toujours la danse, avec des périodes plus ou moins dures. « J’ai fait le calcul, pendant un moment j’avais quatre francs français à dépenser par jour ». C’était à Paris, où il a obtenu son diplôme en pédagogie de danse, initié à Cannes et à Nice. Aujourd’hui, ses yeux gris-verts par moments un peu distants en rient. « À l’époque, ça commençait à peser : j’allais d’audition en audition, des spectacles mal payés et mauvais des fois – jusqu’à ma rencontre, dans une audition s’annonçant un peu vague, d’un Portugais parfaitement inconnu qui nous parlait d’un nouveau concept, venu d’Angleterre, pas très bien défini encore : ‘danse contemporaine’. Je pensais partir après une heure, mais je suis resté jusqu’à la fin ». Le Portugais, c’était Rui Horta, et Bernard est embauché au Soap Dance Theatre au Künstlerhaus Mousonturm à Francfort. Prévoyant trois mois, il reste trois ans, vivant à fond ce moment inédit de création et d’innovation. Jusqu’à ce qu’il soit attiré par d’autres rivages, Nürnberg, Avignon, Montréal, Berlin, toujours en mouvement, à la recherche de… De quoi ? « De tension, d’excitation, ne pas laisser la routine s’installer. Ça me turlupine encore : après avoir joué un spectacle plus d’une fois, j’ai envie de passer à autre chose ».

Pendant ses périples, Bernard Baumgarten ne perd pas le Nord, le Luxembourg en l’occurrence, où il garde un pied-à-terre et participe, dès 1994, à l’association Théâtre danse et mouvement. Il s’associe à Christiane Eiffes pour le festival Cour des Capucins ; en 2007, il réalise Dance Palace, déjà à la Banannefabrik. Puis, et il retrousse les manches de son pull gris décent avec un regard légèrement coquin : « En 2007 vint la décision du ministère de la Culture qu’il fallait une direction artistique au Trois C-L… Surprise ». Ce sera lui.

Fin de la danse ? Non, plutôt un nouveau tour. Ici ou ailleurs, l’esprit pétillant évite la routine. « Mon défi est plutôt d’apprendre à déléguer, surtout dans cette grande maison (le Centre de production et de création artistiques alias Banannefabrik abrite six associations culturelles) pour me concentrer sur les trois piliers du Trois C-L : production, formation et diffusion internationale ». Pas d’ennui donc. « Non. La scène de danse ici a incroyablement évolué. Elle est intéressante déjà parce qu’elle permet qu’on la fonde sur la danse contemporaine, le Luxembourg n’ayant pas vraiment d’identité en matière de danse, pas de bagage particulier. Mais aussi parce qu’elle reflète la population, incroyablement cosmopolite, chacun venant avec ses acquis ». Qu’est-ce qui attire les danseurs ? « Ça, et les bonnes conditions, dont notre statut de l’artiste. Et puis le public, devenu expert depuis l’année culturelle ». Le Trois C-L collabore avec une dizaine de scènes luxembourgeoises (« les productions les plus extravagantes, on les programme ici ») et a une série de partenariats avec Turin, Paris, Longwy, Grenoble,...« Au-jourd’hui, il s’agit de consolider les acquis, les moyens financiers notamment ». Au grand merci exprimé au ministère de la Culture, Bernard rajoute : « Les frais fixes augmentent, mais notre convention n’est pas indexée... le rêve serait de trouver un mécène qui prendrait en charge un volet financier ».

Avoir du style, qu’est-ce que c’est ? « Je suis un freak du design, le style est d’un intérêt majeur. En avoir, c’est être intègre, ne pas copier. Quand le monde dit qu’il faut s’habiller en bleu et vert, il ne faut pas s’habiller en bleu et vert… il faut quand même faire son truc, et y croire » . Soudain, le pull gris, derrière le Mac gris, dans ces murs blancs, tout ça prend une autre dimension.

Le spectacle Super-héros chorégraphie de Bernard Baumgarten, sera encore montré les 10, 12, 15 et 16 février 2012 au Mudam. www.dance.lu
Béatrice Dissi
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