Sascha Di Giambattista

Illustra-lutteur

d'Lëtzebuerger Land du 09.12.2011

Il n’arrive pas à l’heure mais il avait prévenu. Quand il pousse enfin la porte de l’Independent, il a tout d’un grand timide se cachant derrière une posture désinvolte. Plutôt décontracté que hype, avec son bonnet gris délavé, le teint pâle, la barbe clairsemée. Pourtant Sascha Di Giambattista contribue à un hype certain dans la scène créative. Depuis deux ans, le trentenaire frêle est, discrètement, un peu partout. Il a coécrit et fait la déco du clip vidéo sulfureux pour De Läb, Läbdance de Julie Schroell. Il a conçu les skateboards d’Eternal Tango et inventé le logo pour le Why Not à Dudelange. Il dessine des fringues qui s’arrachent comme des petits pains et est à l’origine du label d’illustration Sour Cream. Parmi ses exploits mieux rémunérés, les maisons, roulottes et la remarquable « machine de conservation de vie » dans le court-métrage d’animation Rose et Violet de Claude Grosch et Luc Otter.

Réalisateur, graphiste, illustrateur…quel est donc son métier ? « Je survis ». Son rire est franc et gai, mais dans ses yeux bleus glace luit un fond sérieux. « Je bosse par-ci par-là. Dans ma branche favorite, la musique, il n’y a pas d’argent. Pour trouver un job dans une agence, il faut savoir se vendre et avoir de très bons contacts. Pour l’instant je compose avec les talents que j’ai, mais mon défi reste de trouver un rythme régulier en tant que freelance ». Freelance et courageux. Après un début de carrière au ministère de la Culture, Sascha décide de tout lâcher et part en Angleterre, travailler son portfolio. Trois pages de ses dessins suffisent pour convaincre le jury du Camberwell College, où il obtient un diplôme en illustration, spécialisation printmaking et animation.

« Je suis un manuel, j’adore bricoler. Mon plus grand plaisir est de trouver des solutions artistiques à des problèmes mécaniques ». C’est ce qu’il vient de faire en Belgique, en s’associant aux travaux déco pour le nouveau film d’animation d’Olivier Pesch, Emilie. Ses journées sont longues. Pourquoi fait-il ce qu’il fait  ? « Parce que j’adore. Une journée de seize heures autour d’un projet exigeant, c’est une journée parfaite. Si seulement la vie n’était pas soumise à des obligations financières ». Il arbore un regard déterminé en écrasant véhément sa clope. « Je ne déteste rien davantage que l’argent. » Nous voilà au cœur de ce qui le meut. Si Sascha sait ce que ça signifie de devoir vendre ses talents – il l’a vu en Grande-Bretagne où le marché est encore plus difficile –, il est de ceux qui doivent se faire violence pour vanter leurs mérites. « Trouver le travail, c’est 50 pour cent du job. Mais pas tous les moyens sont bons », dit-t-il avec un petit sourire malicieux. Minetter dans l’âme et fier de l’être, « je n’aime pas trop parler de ma personne, et encore moins de fric ». Mais, comme tout le monde, il en a bien besoin.

S’il y a un manque de sous dans la branche créative c’est dû à quoi ? « Les Luxembourgeois devraient enfin commencer à monnayer les mérites de leurs compatriotes à leur juste valeur. Cela vaut pour la branche musicale, celle du design et du film d’animation. On a plein de gens doués, des vrais talentueux. Mais nous sommes trop sévères avec nous-mêmes ! Qu’on arrête de vouloir exploiter les artistes sous prétexte qu’ils ne sont ‘que luxembourgeois’ »…L’œil vif, il tire sur une nouvelle Gauloise blonde. « Avec toutes les boîtes ici, le marché de l’image, de la pub et de l’illustration reste embryonnaire. C’est pour ça que beaucoup se sont barrés, faire leur vie ailleurs, là où on arrive à vivre de sa créativité. »

Les réseaux sociaux ne sont-ils pas une aubaine pour les artistes timides ? « Oui, certes. J’y travaille. J’ai un peu de mal avec mon site car je fais trop de choses…Mais je vais créer un portfolio en ligne, pour que les clients puissent se faire une image de ce que je sais faire. J’aime travailler pour un client, capter son idée et la réaliser matériellement ». Voilà bel et bien un talent commercial…

D’ailleurs en dépit de ce petit air timide, il parle et le temps file. Une dernière question : comment définit-on « avoir un style » ? Il a encore commandé un cappuccino, déballe distraitement le petit-four qui l’accompagne. « La mode, l’esthétique, bien sûr c’est important. Mais je trouve que là aussi, les vrais génies sont ceux qui combinent avec ce qu’ils ont. Les improvisateurs. Comme dans la vie, ton style, c’est ce que tu en fais » .

Béatrice Dissi
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