L’« urgence » date d’octobre 2023. À l’époque, Jean Asselborn, avait introduit ces listes d’attente « temporaires » pour les hommes migrants « non vulnérables ». Face à la saturation des structures d’hébergement et à l’afflux de demandeurs de protection internationale, le socialiste justifiait une décision « en faveur des plus vulnérables », soit les femmes et les enfants. Depuis lors, un demandeur de protection internationale arrivant seul au Luxembourg n’est donc plus assuré d’obtenir un lit dans un centre de primo-accueil. En interview ce mardi sur Radio 100,7, Max Hahn déclarait que les conditions d’accueil au Grand-Duché seraient « bien supérieures » à celles des pays voisins. Le ministre affirme que ces listes d’attente impacteraient seulement les migrants déjà inscrits comme demandeurs dans un autre pays européen, « Jusqu’à présent, c’est une légende urbaine de croire que des réfugiés dorment dans la rue ».
Un recensement réalisé par l’ASBL « Inter-actions » dans la nuit du 12 au 13 décembre 2024 a dénombré 361 sans-abri dans les villes de Luxembourg et Esch-sur-Alzette. 80 pour cent étaient des hommes. Si leur statut administratif n’est pas connu, le sondage a démontré une part croissante de personnes non européennes. Alors que le premier décompte en recensait 17 pour cent en 2022, il en dénombrait autour de 32 pour cent en décembre 2024.
Réagissant au maintien de cette liste d’attente, les associations Passerell, Médecins du monde et Ryse Luxembourg ont déposé un recours en annulation au tribunal administratif. L’initiative a cependant été déclarée irrecevable le mois dernier. Interrogée par le Land, la juriste de l’association Passerell, Anke Vandereet, le regrette : « C’est très dommage parce que beaucoup d’éléments montrent que ces listes d’attente ne respectent pas le droit européen. »
C’est cependant la forme qui a été jugée, et non le fond, le tribunal contestant la nature administrative de la décision. Selon le jugement, les listes d’attente ne produiraient « aucun effet juridique direct » sur les demandeurs de protection internationale et « consisteraient plus particulièrement en une simple mise en œuvre d’une adaptation temporaire des conditions matérielles d’accueil pour surmonter une période de saturation ».
Pour Marion Dubois, directrice de Passerell, la solution passe par la construction de plus de logements sociaux, car la saturation du marché immobilier luxembourgeois se répercute dans les structures d’hébergement. « Cinquante pour cent des personnes hébergées dans les foyers sont déjà bénéficiaires d’une protection internationale », précise-t-elle. La recherche d’un logement reste en effet très difficile pour les bénéficiaires de protection internationale, même lorsqu’ils sont intégrés au marché du travail. En conséquence, le nombre de sorties des structures d’hébergement de l’Office national de l’accueil (ONA) a fortement diminué ces dernières années. Alors que plus de 5 400 personnes les ont quittées en 2022, à peine 2 850 sorties ont été observées en 2024. L’accroissement de la durée des séjours dans les hébergements d’urgence paralyse les capacités d’accueil pour les nouveaux demandeurs d’asile.
Le Land s’est entretenu avec une mère de famille érythréenne hébergée dans un foyer de l’ONA depuis cinq ans. Avec son mari, qui enchaîne les CDD, et leur enfant inscrit à l’école à Mersch, ils sont en recherche de logement depuis que l’ONA leur a fait parvenir une lettre d’expulsion pour le 25 août : « Malgré mon Revis et les CDD de mon mari, nous ne trouvons rien. »
Selon Anke Vandereet, la situation luxembourgeoise ne respecte pas les lois établies par l’Union européenne : «Un refus d’hébergement temporaire, et même le fait de différer cet hébergement, est contraire au droit européen ». L’Irlande en a fait les frais vendredi dernier lorsque la Cour de justice de l’Union européenne a publié un arrêt constatant des pratiques d’accueil en violation du droit européen. La situation irlandaise est similaire au cas luxembourgeois. Le pays ne pouvant plus accueillir de migrants dans les centres d’accueil dédiés, certains se sont retrouvés à la rue ou en centre d’hébergement d’urgence. Pour la CJUE, les États sont responsables des conditions matérielles d’hébergement des demandeurs d’asile. La Cour ajoute qu’« un État membre ne peut invoquer un afflux imprévisible de demandeurs de protection internationale pour se soustraire à son obligation de couvrir les besoins fondamentaux des demandeurs d’asile ». La CJUE pourrait se prononcer sur le cas du Luxembourg, mais il faudrait d’abord qu’un juge national fasse un renvoi préjudiciel. « Cela reste une décision que les juges peuvent prendre dans une affaire en cours. Comme la Cour interprète le droit européen qui est à la base du droit d’asile, les juges nationaux sont obligés de suivre cette interprétation », détaille Passerell. Si un juge décide d’impliquer la CJUE, le tribunal administratif serait obligé de mettre l’affaire en pause et devrait se référer à l’interprétation de celle-ci.