Intégration en suspens

Photo: Pancake!
d'Lëtzebuerger Land du 18.04.2025

À travers la vitrine de l’espace Cultures of Assembly (COA), rue du Brill à Esch, une maquette du Bâtiment T, une des structures d’accueil de l’ONA (Office national de l’accueil), capte l’attention. Ce bâtiment abrite à lui seul 1 200 demandeurs et bénéficiaires de protection internationale. Juste en dessous de la maquette, tracé au sol, apparaît Saeul, la plus petite commune du Luxembourg en termes de population : 980 habitants. Ce contraste visuel marque l’entrée de l’exposition Municipality 101 : Reimagining Inclusive Communities, pensée et créée par l’architecte, chercheur et photographe Mohammed Zanboa.

Municipality 101 émerge du projet de recherche After Arrival traitant de la justice spatiale et du droit au logement, que Zanboa a mené dans le cadre de son mémoire de master d’architecture à l’Université du Luxembourg (Land, 20.09.24). Il y dresse une cartographie de l’accueil au Luxembourg à travers l’analyse de 17 structures de l’ONA qu’il a visitées. Dans Municipality 101, des grandes affiches aux couleurs de l’Europe présentent la topographie de ces structures et des photos donnent une image de la vie qui y règne.

L’ONA gère 73 structures, dont la superficie totale d’un kilomètre carré abrite environ 8 200 résidents. Ce qui équivaut à la population de certaines communes luxembourgeoises telles que Junglinster (8 405) ou Wiltz (7 697). Remich, la plus petite commune en taille – 5,3 kilomètres carrés – ne compte que 4 100 habitants. C’est de ce contraste qu’émerge la métaphore fondatrice de l’exposition : l’idée d’une 101e commune luxembourgeoise, où les résidents des structures de l’ONA sont considérés comme une population à part entière. Dispersés à travers le pays, ces habitants forment un « liquid body » portant le même potentiel de participation sociale et politique que la population des cent communes « solides ». À travers cette image, Zanboa invite au dialogue et à la coopération entre réfugiés, professionnels et décideurs.

La table ronde organisée lors du vernissage de l’exposition, a réuni Abdelrahman Assad (ancien résident des structures d’accueil), César Reyes Najéra (COA), Antoine Paccoud (Observatoire du logement), Markus Miessen (COA), Sérgio Ferreira (Asti) et Mohammed Zanboa. Par la création de cette plateforme participative, Zanboa cherche à renverser la logique dominante qui cantonne les réfugiés à un rôle de bénéficiaires passifs, et propose de les reconnaître comme des acteurs de la société disposant de droits et de voix.

Assad, évoque l’isolement des structures d’accueil par rapport au reste de la société. « Elles fonctionnent de manière indépendante, au point de faire oublier qu’il faut en sortir. Et puis comment les gens pourraient-ils sortir avec les moyens financiers qu’ils ont ? » La projection vers un futur est difficile. Les résidents perdent peu à peu leur autonomie à force de voir leurs déplacements et leur quotidien strictement régis par leur statut, leur procédure d’asile, et par le contrat signé avec l’ONA. Ce document, qui réglemente les moindres aspects de leur vie – de la taille autorisée d’un tapis jusqu’au contact avec la presse – est présenté dans son intégralité, les 24 annexes comprises, au sein de l’exposition.

Ferreira dénonce une politique migratoire, tant luxembourgeoise qu’européenne, qui n’accueille ni ne protège, contrairement aux termes. Il fait référence à une affiche au sein de l’exposition, qui illustre de manière schématique la complexité du parcours d’une demande d’asile. « Personne ne peut la comprendre sans la lire plusieurs fois », affirme-t-il, soulignant que cette telle opacité n’est pas un hasard, mais bien un choix politique. Un choix qui contribue à reléguer les demandeurs et bénéficiaires de protection internationale au rang d’êtres humains de deuxième, voire de troisième ou quatrième classe. Avec Zanboa, ils attirent l’attention sur le fait que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’arrivée dans le pays d’accueil ne signifie ni répit, ni soulagement. Elle marque plutôt le début d’un nouvel enchevêtrement de frontières – invisibles mais bien réelles – qui freinent voire empêchent l’intégration. Qu’il s’agisse des barrières linguistiques, de l’accès à l’emploi ou au logement.

Paccoud, géographe social au Liser, explique le rôle central de la propriété foncière dans la crise du logement aiguë au Luxembourg. Il rappelle que 0,5 pour cent de la population résidentielle détient à elle seule la moitié des terrains constructibles du pays. Posséder du foncier, c’est détenir du pouvoir. Les décisions prises par ces propriétaires agissent comme un filtre social, permettant de contrôler qui a les moyens de s’installer durablement au Luxembourg. Il décrit ce mécanisme comme une forme de gentrification à l’échelle nationale : les migrants sont les bienvenus pour payer les loyers, mais leur intégration pleine et entière n’est pas véritablement souhaitée. Environ 2 300 résidents des structures de l’ONA ont déjà obtenu le statut de réfugié, mais ils y restent bloqués pendant des années, prisonniers d’un marché immobilier totalement inaccessible.

Municipality 101 invite toutes les parties prenantes à se rassembler pour imaginer et construire des alternatives. C’est aussi un appel à la société et aux communes existantes de libérer des espaces de vie dignes pour les réfugiés, de créer des opportunités pour leur participation à la vie civique et de briser la « permanent temporality » dans laquelle leurs vies sont suspendues.

Léo Liégeois
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