La thèse défendue par l’état-major de Facebook selon laquelle filtrer les publicités politiques en fonction de leur véracité s’apparenterait à de la censure a déclenché une mutinerie au sein de l’entreprise. Dans une lettre ouverte à Mark Zuckerberg et à son cercle rapproché, des employés ont vertement critiqué cet arbitrage, leur demandant de modifier leur position.
Les médias américains ont rendu compte de cette lettre quelques jours après que Zuckerberg a bafouillé comme un gamin attrapé la main dans le pot de confiture devant des membres de la Chambre des représentants, répétant, sans y croire lui-même, les talking points préparés par ses communicants sur ce sujet (et les quelques autres pour lesquelles son entreprise est également sur la sellette). La lettre, visible sur un portail de communication interne depuis deux semaines, a été signée par quelque 250 employés. Ce n’est pas un chiffre énorme (Facebook compte 35 000 employés), mais il faut se souvenir qu’il faut tout de même du courage pour affronter ainsi sa hiérarchie à visage découvert. Les mutins indiquent « objecter avec force contre cette politique telle qu’elle est définie » et estiment qu’elle est « une menace pour ce que Facebook représente ».
Alors que les États-Unis se préparent aux présidentielles de l’an prochain dans une ambiance électrique et archi-polarisée, marquée par les efforts des parlementaires démocrates pour destituer Donald Trump et une nette montée en puissance de l’aile gauche du parti démocrate, ce coup de patte d’une poignée d’employés de Facebook vient à point nommé rappeler que depuis le scandale Cambridge Analytica et le rôle plus que douteux du réseau social dans la campagne électorale de 2016, rien n’a été réglé. Les États-Unis sont donc confrontés au risque d’une réédition de ces manipulations, intox et autres opérations ciblées visant à faire basculer les fameux « swing states » ou à envenimer les débats pour favoriser les extrêmes, sans que l’on parvienne nécessairement à démêler, après-coup, qui les a échafaudées et si elles ont effectivement influencé les électeurs.
Une fois de plus, Facebook a fait le choix de maximiser ses profits (en acceptant sans les modérer les pubs politiques) tout en se lavant les mains de possibles conséquences. C’est une attitude irresponsable. Si l’on peut être tenté de justifier les pubs politiques mensongères en faisant valoir que les électeurs sont adultes et capables de former eux-mêmes leur opinion, il faut prendre en compte les innovations technologiques telles que le micro-ciblage ou le deepfake (trucage de clips vidéo à l’aide de logiciels avancés) qui mettent l’internaute peu averti à la merci de menées machiavéliques qu’il n’a aucune chance de démasquer.
Le risque de voir émerger des publicités politiques mensongères est tout sauf hypothétique. La campagne de Donald Trump a fait circuler il y a peu sur Facebook des annonces accusant faussement le candidat démocrate Joe Biden – poursuivant sur les réseaux sociaux la manigance ukrainienne qui vaut au président en exercice la procédure d’impeachment en cours. Facebook a refusé de la retirer. Histoire de démontrer l’absurdité de l’attitude adoptée par Facebook, Elizabeth Warren, la candidate démocrate qui ces dernières semaines a fait jeu égal avec Joe Biden, a publié des annonces accusant Mark Zuckerberg d’avoir fait de son entreprise une « machine de désinformation à but lucratif ».
Il faut bien entendu se garder de réduire le principe de la liberté d’expression à une clause technique. Mais on l’a vu aussi bien aux États-Unis qu’ailleurs, les infox sont un poison pour la démocratie et une aubaine pour les populistes de la pire engeance. Les mutins de Facebook sont aux premières loges pour évaluer les risques qu’elles représentent, il faut les écouter.