Chroniques de la Cour

L’heure de vérité approche

d'Lëtzebuerger Land vom 01.11.2019

Marc van der Woude est-il à la tête d’une « armée mexicaine » ? Le président du Tribunal européen, élu le 27 septembre dernier pour trois ans, trouvera réponse à la question depuis les premières loges l’année prochaine. En attendant, il devra gérer l’héritage du président luxembourgeois Marc Jaeger qui, après douze ans de règne, laisse une situation difficile, doublée d’un climat de malaise.

Alors que la Cour de justice européenne, la juridiction suprême de l’UE, caracole avec de nombreuses affaires à traiter sur des sujets tels que l’État de droit, les réfugiés ou le numérique, le Tribunal, qui est sa juridiction de première instance, ne se remet pas d’une réforme récente

consistant à doubler le nombre de ses juges, 56 en tout. Cette réforme - cela a été dit mille fois dans diverses instances - matérialise les caprices des États membres, lesquels voulaient chacun deux juges. La Cour, quant à elle, et indépendamment de la question du nombre de juges, a profité de l’occasion pour simplifier ce qu’elle appelle son architecture judiciaire. Elle passe de trois degrés de juridiction à seulement deux - la Cour et le Tribunal - sans plus aucun tribunal spécialisé en bas de l’échelle. Et cela malgré l’opposition initiale du Tribunal et celle de nombreux juristes, lesquels contestaient la base juridique utilisée par la Cour. 

L’ex-président Marc Jaeger s’était au début fortement opposé à cette réforme, puis a été critiqué, au sein même de sa juridiction, pour son manque de « créativité », sa peur de prendre des initiatives et l’ambiguïté de certaines de ses prises de position. Sur le plan personnel, Marc Jaeger se trouve dans une situation inédite. C’est le seul président du Tribunal, et même de la Cour, qui ne part ni ne démissionne, une fois son mandat de président terminé. Comme il n’aspirait ni à la fonction de président ni à celle de vice-président - et être président de chambre n’a pas eu l’air de l’intéresser non plus - Marc Jaeger rentre dans le rang et se voit attribuer quelques affaires, en tant que  juge lambda. Depuis 1996, les gouvernements luxembourgeois successifs l’ont immanquablement proposé à ce poste. Son mandat actuel expire en septembre 2022.

Marc van der Woude a été élu au premier tour avec une trentaine de voix contre une quinzaine pour son adversaire Anthony Collins. Il pourrait avoir bénéficié du vote « légitimiste » des nouveaux juges. À chaque élection précédée de l’arrivée d’un nombre important de nouvelles recrues, les candidats représentant les autorités en place ont tendance à être privilégiés : Marc van der Woude est réputé proche du président de la Cour Koen Lenaerts et ils parlent la même langue. Anthony Collins, le candidat malheureux, était l’un des quatre juges, avec Guido Berardis, Franklin Dehousse et Irena Pelikanova à s’être rendu devant le Parlement européen, en 2015,  pour y expliquer, chiffres à l’appui, que doubler le nombre de juges était insensé, inutile et coûteux parce qu’il n’y avait ni retard dans le traitement des affaires, ni hausse du contentieux pouvant justifier la création de  28 cabinets de juges supplémentaires. Eux-mêmes avaient parlé d’une « armée mexicaine ».

Comme ses prédécesseurs, le président van der Woude représente officiellement le Tribunal. Il est juge des référés et ne touche par conséquent pas au fond des dossiers. Il distribue les affaires dans les chambres, selon des critères publiés au Journal Officiel. Une tâche ingrate parce que, en cette période de pénurie d’affaires par rapport au nombre de juges, certains nouveaux venus n’ont pas plus d’une quinzaine de dossiers sur leur bureau. En plus, ils ne sont pas forcément tous importants. Le président du Tribunal doit aussi gérer les missions et activités extérieures des juges, lesquelles peuvent donner lieu à des abus de la part de certains d’entre eux (ce qui vaut aussi pour des juges de la Cour). La commission de contrôle budgétaire du Parlement européen les a d’ailleurs dans son collimateur. Elle ne cesse de demander plus de transparence sur leurs allées et venues. Puis il y a la question des référendaires, les conseillers juridiques. La réforme étant si coûteuse, il était convenu que les juges arrivés en 2019 ne devaient pas amener les leurs, ce qui crée des tensions. Enfin Marc van der Woude doit restaurer le prestige de son Tribunal toujours en proie à de petites humiliations, ou perçues comme telles, de la part de la Cour, qui lui fait souvent comprendre que c’est elle l’instance supérieure.

En 2015, pour calmer les esprits, le Parlement européen et le Conseil avaient prévu qu’avant le 26 décembre 2020, la Cour de justice demanderait à des « conseillers extérieurs » de leur soumettre un rapport sur  la question de savoir s’il était vraiment nécessaire de multiplier par deux le nombre de juges au Tribunal.  Ce rapport est très attendu dans les milieux judiciaires. Il pourrait constituer un moment de vérité.

Dominique Seytre
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