Pianomania

Unchained melody

d'Lëtzebuerger Land du 09.12.2010

Le parquet craque doucement, les dorures sont étincelantes et les murs des couloirs eux-mêmes semblent fredonner une valse : le Konzerthaus de Vienne impressionne toujours, même s’il est moins connu que son voisin le Wiener Staatsoper. Loin d’être un sanctuaire, le lieu est en constante effervescence, accueillant les plus grands musiciens pour des récitals d’exception, qui nécessitent une préparation pointilleuse. Justement, un homme d’une quarantaine d’années s’affaire dans les escaliers : il cherche un siège pour Lang Lang. Un peu plus tard, le voilà en pleine conversation avec Alfred Brendel.

Mais Stefan Knüpfer n’est pas là pour faire du name dropping : il est l’accordeur des plus grands pianistes du monde, les doigts d’or de la prestigieuse maison Steinway and sons. Sa dernière mission : assister le Français Pierre-Laurent Aimard, qui s’apprête à enregistrer des pièces de Bach au Konzerthaus. Le perfectionnisme du musicien et le compte à rebours jusqu’à la session est l’occasion de suivre ces deux hommes à la recherche du son parfait. Knüpfer, courbé sur le piano à queue, dévisse, ressert, calcule, tend encore l’oreille. Toujours avec une pointe d’humour, l’homme est à l’ouvrage, racontant son cauchemar de cordes brisées et avouant le grain de folie des artistes – et des artisans – évoluant dans cet univers.

Il est le drôle de fil rouge de Pianomania, documentaire germano-autrichien du duo de réalisateurs-producteurs Lilian Franck et Robert Cibis qui a fait le tour du monde des festivals, raflant au passage de nombreux prix et l’intérêt de Paul Thiltges, qui, avec la branche distribution de sa société éponyme, a permis sa sortie dans les salles luxembourgeoises, un pari assez audacieux au regard du sujet.

Mais si le piano et ses professionnels sont au cœur du film, il ne s’agissait pas tant de rendre hommage à un instrument qu’à ces hommes (hélas, pas de femmes dans ce film !) qui travaillent avec une passion dévorante. Lorsque Aimard, après une longue pause, regarde Knüpfer et l’interroge d’un complexe « mmmh…. Frage…. », l’enjeu a l’air vital. Tout est carré, sans esbroufe, au service de la musique. L’accordeur est compréhensif, humble : tout comme le compositeur et l’interprète, lui aussi est un maestro. Mais c’est lorsque ses réflexions sont sur le point d’aboutir que la séquence se finit, pour repasser à des plans de coupe artificiellement métaphoriques. Les prises de vues (effectuées par Jerzy Palacz, qui avait mis en images Perl oder Pica de Pol Cruchten, 2006) et le découpage semble manquer de réflexion et la spontanéité revêt des formes peu chaleureuses.

En effet, mis à part quelques plans faisant ressentir la virtuosité de l’instant (le début d’un concert du Chamber orchestra of Europe) ou son intensité (Lang Lang en répétition), l’ensemble reste inadapté à cette passion que les cinéastes souhaitaient décrypter. La caméra est pataude, se contentant d’enregistrer les images sans tenter de les valoriser ou d’en étendre le sens et cela plombe finalement le propos. Au niveau de la forme, on est plus dans le reportage que dans le documentaire de création, handicapant pour une exploration sensible. Restent donc ces personnages très charismatiques et atypiques, caractères dont le genre raffole, mais dont les motivations ne sont que traitées superficiellement.

Marylène Andrin
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