Rocdoc

Sisyphe fait de la zic

d'Lëtzebuerger Land du 07.10.2010

Sur un sol en béton sont disposées des chaises en plastique. Un écran amovible masque la scène de la salle de concert et le projecteur, emprunté pour l’occasion à Caramba, prend place derrière le public pour donner naissance à un spectacle de lumière et de son. Renouant ainsi avec les origines foraines du septième art, le cinéaste Govinda Van Maele a fui mercredi dernier les multiplexes du groupe Utopia et Caramba pour montrer son dernier bijou là où ses personnages ont l’habitude de respirer la musique : la Rockhal.

Rocdoc ou We Might As Well Fail (le titre du film produit par Pol Cruchten / Red Lion n’étant pas encore fixé) est un documentaire en seize millimètres dans lequel est capté l’esprit de la scène rock grand-ducale pendant l’année 2008. Le film s’ouvre sur une scène d’incompréhension mutuelle entre une fille qui veut devenir matonne et un garçon qui rêve de devenir musicien. Dans cette scène emblématique se résume le conflit principal du film et la question que Govinda Van Maele pose avec obstination à l’ensemble des musiciens rencontrés : « Est-ce que vous êtes prêt à tout lâcher pour vous consacrer corps et âme à la musique et devenir professionnel dans un pays où une vie stable est à portée de main si on ne mise pas le tout pour le tout ? »

Le fil conducteur défini, le film se tisse autour de quatre grands pôles, représentés à chaque fois par un, voir deux groupes. Le début se construit surtout autour des rêves encore intacts de jeunes musiciens qui sont ancrés dans le noble mouvement de révolte contre la société des employés de bureau et porteurs de cravate, sans trop savoir dans quelle aventure ils se lancent, puisqu’ils sont encore au tout début de leur carrière au moment où le film se fait. C’est le cas de Black Out Beauty qui fument joint après joint dans une atmosphère puérile et innocente, tout en envoyant la sauce sur scène dans un style qui n’est définitivement pas fait pour les oreilles de mémé. Mais avec un père spirituel cinquantenaire comme guitariste derrière eux qui n’affirme en aucun cas vouloir être une autorité pour le groupe tout en participant activement à extérioriser la violence sur scène que les jeunes portent en eux, le portrait de ce groupe atypique devient touchant par sa sincérité.

En montant l’échelle d’âge et de maturité, Mutiny on the Bounty, qui n’est que légèrement amorcé, et Miaow Miaow, un groupe aux accents plus pop, sont pris sous la loupe. Le style léger de Miaow Miaow est en accord avec leur conception de la musique. Ils ne planifient pas leur carrière et ne cherchent pas à devenir professionnels tout en répétant sérieusement et en prenant un vrai plaisir de monter sur scène, de dormir ensemble dans un dortoir ou de se laver les dents le matin au comptoir du bar où ils ont joué la veille.

Avec Eternal Tango, le projet professionnel se concrétise et les dures réalités du métier sont dévoilées. Si on veut jouer dans la cour des grands, il faut charger et décharger la camionnette vieille d’une dizaine d’années, la conduire et enchaîner concert après concert à l’étranger, tout en continuant à se battre d’une manière obstinée pour la vie rêvée du musicien qui gagne son pain quotidien avec son groupe. L’idée de la réussite semble devenir une obligation, tellement la réalité quotidienne du porte-monnaie vide est dure à encaisser. Le rêve du Nightliner avec chauffeur serait une récompense bien méritée après un parcours grinçant où la musique semble devoir se plier parfois aux exigences de la mode du moment.

Essayer puis se casser la gueule ou réussir, il ne semble y avoir que deux voies. En filmant la séparation du groupe pionnier Defdump après quinze ans d’existence, Govinda Van Maele trouve dans le personnage d’Usel (Pascal Useldinger, le chanteur du groupe) une réponse à sa question de départ, qui n’est sûrement pas celle à laquelle il s’est attendu en commençant le film. Et avec cette réponse, le cinéaste trouve son style par un dispositif documentaire clair qui est absent dans les parties précédentes, truffées de bonnes idées mais trop souvent interrompues par des concerts filmés qui ne font pas suffisamment avancer l’histoire qu’il veut finalement raconter.

En opposant dans l’émission 20fier de RTL, Usel, qui annonce une larme aux yeux la séparation du groupe aux cameramen fonctionnaires bedonnés de RTL qui filment le showman Dan Spogen donnant la parole au prochain invité, Van Maele concentre le drame qui se joue entre l’art et le commerce en quelques images. Dans un long plan séquence tout aussi emblématique à la fin du film, il devient clair qu’il suffit de quelques pas pour passer du statut de frontman au simple spectateur. We Might As Well Fail, le titre du nouveau projet musical d’Usel, serait un titre coup de poing pour ce documentaire, où chaque petit pas en avant s’accompagne d’un échec dans la construction d’une scène musicale digne d’être vue et entendue.

Thierry Besseling
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