Trafic à l’ACD

d'Lëtzebuerger Land du 01.08.2025

Un fonctionnaire en retraite de l’Administration des contributions directes (ACD) a été condamné début juillet à 200 heures de travail d’intérêt général pour avoir vendu son expertise en matière de déclarations d’impôts… y compris à certains de ses administrés à Esch-sur-Alzette… parfois en mentant sur les revenus, au préjudice de l’État. Le jugement sur accord rendu le 8 juillet révèle l’ampleur de la pratique, mais aussi son impunité dans l’administration fiscale. Raymond H.* a travaillé 39 années durant au bureau d’imposition d’Esch, de 1981 à 2020. Il a été dénoncé au parquet en juin 2019 par le commissaire de gouvernement adjoint chargé de l’instruction disciplinaire. Ce dernier enquêtait après la dénonciation d’une jeune collègue en 2018.

Le parquet avait vu l’opportunité d’instruire à son tour. Il reprochait à Raymond H. d’avoir exercé l’activité d’expert-comptable en établissant contre rémunération les déclarations fiscales de dizaines de personnes et en procédant par la suite à l’imposition des dossiers de certaines d’entre elles dans le cadre de sa fonction de préposé faisant fonction du bureau d’imposition Esch 2/3. En décembre 2006, le fraîchement nommé directeur de l’ACD Guy Heintz avait pourtant rappelé à ses ouailles l’interdiction de jouer les experts-comptables, une interdiction « qui ne semble pas être observée par l’ensemble des fonctionnaires ». Un système de maquillage de comptes de sociétés au début des années 2000 avait mené un patron de fiduciaire et un fonctionnaire du fisc en prison, rappelle Reporter ce mardi.

« Cette interdiction ne concerne pas seulement de pareils travaux au profit de contribuables relevant du service ou du bureau auquel est affecté le fonctionnaire », avait précisé le directeur. « Afin de remédier à ces comportements absolument intolérables », Guy Heintz avait instauré l’obligation aux agents de demander aux contribuables d’informer sur l’identité du conseiller fiscal le cas échéant. Le juge d’instruction avait interrogé Raymond H. sur sa connaissance de ces règles : « Jo mee et huet keen se respekteiert. Verschiddener hunn souguer fir den LCGB geschafft an d’Stéieren fir hier Cliente gemaach », avait répondu le fonctionnaire. Interrogé, un de ces collègues avait lâché : « Et wua allgemeng bekannt daat hien Stéiererklärungen gemaach huet ». La même circulaire avait instruit en outre aux agents de l’ACD de signaler tout manquement.

Dans la même ligne, la direction de l’ACD avait, en 2015, introduit le « principe des quatre yeux ». Les décisions sont initiées et approuvées par deux personnes différentes pour mieux prévenir la fraude et les erreurs. « Jo mee d’Konsequenzen waren mir net bewosst, ech wollt dat schnell maan an ech hunn mir naischt schlemmes dobai geduecht », avait commenté Raymond H. pendant l’enquête. La police a relevé des dizaines de paiements pour services rendus entre 2015 et 2019, la période visée par le parquet. Parfois, en nature, contre du vin. Des clients vivaient dans la même résidence. À deux reprises, il avait aussi drastiquement sous-estimé le bénéfice taxable de sociétés. Le parquet l’a poursuivi pour corruption et trafic d’influence, « d’avoir en tant que personne chargée d’une mission de service public, reçu directement pour lui-même des dons (…) en vue de faire obtenir de l’ACD des décisions favorables, à savoir une imposition moindre ». Le tribunal a finalement retenu seulement les chefs de défaut d’autorisation d’établissement et de prise illégale d’intérêts. Pour prononcer sa peine, les juges ont tenu compte à la fois de « la gravité des faits, de l’absence d’antécédents, de l’absence d’enrichissement important et de l’absence de risque de récidive », dans la mesure où l’inculpé est à la retraite.

* Son identité est connue de la rédaction

Pierre Sorlut
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