La gouvernance dans l’industrie des fonds

Un exemple pour les sociétés financières

d'Lëtzebuerger Land vom 09.12.2011

De nombreux régulateurs des marchés financiers estiment qu’une certaine absence de gouvernance dans les entreprises financières a largement contribué à la crise financière et économique actuelle. Certaines nouvelles propositions de gouvernance contenues dans la future directive Mifid II existent déjà dans diverses réglementations concernant les fonds d’investissement applicables dès 2012.

Les fonds d’investissement sont devenus depuis longtemps des véhicules de placement privilégiés tant pour les particuliers que pour les professionnels essentiellement en raison de leurs caractéristiques liées à des techniques de diversification optimale et de gestion professionnelle. L’encadrement réglementaire, visant notamment la protection des investisseurs, contribue largement au succès de ces placements collectifs de l’épargne. Un élément déterminant de cet encadrement, qu’il s’agisse de lignes de conduite générales, de lois ou de règlements, de pratiques professionnelles ou de codes de conduite particuliers définis par les promoteurs, qu’il s’agisse de textes globaux internationaux (OCDE, IOSCO, etc.), de textes européens (Esma, Ucits, etc.) ou de textes nationaux (lois, règlements et circulaires CSSF au Luxembourg), est la référence de plus en plus systématique à des concepts de bonne gouvernance d’entreprise.

Les recommandations et législations relatives à la gouvernance dans l’industrie des fonds ne se confondent généralement pas avec celles des sociétés commerciales en général, voire des entreprises financières, d’une part en raison de spécificités liées aux produits d’épargne, mais d’autre part en raison d’une antériorité d’une réglementation plus détaillée pour les fonds. Mais il ne fait aucun doute que cette gouvernance des fonds servira d’exemple aux entreprises financières pour la structure de ces dernières et pour les produits de placement et autres commercialisés à une clientèle de détail. Le projet Mifid II en est une illustration.

Dans ce qui suit, nous allons nous attarder sur quelques éléments de gouvernance importants qui ont fait ou commencent à faire leur entrée dans la règlementation européenne sur les fonds d’investissement et qui correspondent à des projets comparables que la Commission européenne propose pour les entreprises financières. Dans ce contexte, la mise en place de la directive Ucits IV dans la législation luxembourgeoise, contribue largement au renforcement de certains principes de gouvernance et devance ainsi les projets Mifid II.

Alors qu’il n’existe pas de définition précise ou unique de ce qu’on entend par gouvernance d’entreprise, on peut cependant décrire le concept par le rôle, l’organisation, et les responsabilités des entités et personnes qui définissent une entreprise au sens large (les administrateurs de la société, les dirigeants exécutifs, les actionnaires, les employés, les clients, les fournisseurs), les interactions entre ces entités, et l’impact de ces interactions sur l’environnement de l’entreprise (les économistes parlent d’« externalités »). Pour l’industrie des fonds d’investissement, le but essentiel recherché par une bonne gouvernance est le respect des droits et la protection financière des investisseurs et de leur patrimoine.

Comme dans toute entreprise, le conseil d’administration d’un fonds (ou d’une société de gestion) est l’organe essentiel qui a la responsabilité ultime des opérations effectuées par le fond et en particulier celle de l’organisation efficace des structures nécessaires à son bon fonctionnement. Il s’agit essentiellement d’une responsabilité de surveillance, l’opérationnel étant délégué à des dirigeants exécutifs (les anglo-saxons évoquent le principe Nifo pour les administrateurs : nose in, fingers out). Dans l’intérêt d’efficience de cette surveillance, les principes de bonne gouvernance suggèrent que le conseil doit être composé d’administrateurs honorables et de bonne réputation, avec des qualifications professionnelles et expertises diversifiées, d’origines géographiques et donc avec des expériences internationales différentes, certaines propositions communautaires suggérant même une diversification par sexe. Il faut avant tout que les administrateurs compétents consacrent suffisamment de temps à leur mission. La limitation du nombre de mandats pour un seul administrateur peut être discutée dans ce contexte. On admet cependant généralement que fixer un nombre absolu semble inefficace dans la mesure où une professionnalisation du métier d’administrateur indépendant est souhaitable, et que des références doivent être faites à la complexité des mandats et, de façon plus importante, aux conditions dans lesquelles le mandat est exercé. Il est en effet primordial que l’administrateur indépendant puisse s’appuyer sur une infrastructure qui l’aide à exercer son métier dans les meilleures conditions. Il ne fait pas de doute que dans certaines juridictions des abus aient été constatés dans ce domaine.

L’agenda des conseils d’administration a considérablement évolué au cours des dix dernières années, et plus particulièrement depuis la dernière crise financière. Il y a de nombreuses années, l’agenda statutaire était de type tick the box, limité à l’approbation d’éléments statutaires (procès-verbaux, états financiers, dividendes). Avec l’application de principes généraux de gouvernance, l’agenda s’est étoffé, incorporant de nombreux aspects de « surveillance » dans des domaines divers : rapport du gestionnaire de portefeuille, analyse des performances, analyses des risques, analyse des évaluations des titres, conformité et surveillance des délégataires administratifs, etc. Avec la dernière crise financière, cet agenda s’est une nouvelle fois étoffé en mettant l’analyse sur les contreparties, les rachats, les problèmes de levier, la valorisation et le fair pricing, les suspensions de NAV et les liquidations, etc. Le style et la fréquence des conseils ont également évolué de façon significative au cours de cette période.

Pour les fonds d’investissement, il est logique que l’accent soit de plus en plus mis sur la bonne organisation et la supervision de la gestion des risques. Dès 2012, la circulaire CSSF 11/512, précisant les premières orientations de la législation luxembourgeoise de l’application de la directive Ucits IV et des précisions de l’Esma, devra être appliquée au grand-duché par les fonds à distribution européenne, en attendant des lois et circulaires probablement comparables pour d’autres fonds (notamment les fonds alternatifs hedge avec la directive Aifmd).

La gouvernance et l’organisation de la fonction de gestion des risques devront être détaillées avant la fin de l’année, notamment avec la désignation d’un responsable de cette fonction et une description des instances de gouvernance (conseils, comités, direction) qui interviennent dans la gestion.

Le concept de « risque » est dorénavant interprété au sens large et doit couvrir au minimum les risques de marché, de liquidité, de contrepartie, de crédit, les risques opérationnels et la conformité (compliance) des investissements avec les restrictions d’investissement légales et de prospectus.

La surveillance des systèmes informatiques joue un rôle majeur pour l’ensemble des risques ainsi décrits, auxquels s’ajoutent les aspects de valorisation des titres en portefeuille. Des simulations doivent être effectuées pour voir comment le portefeuille se comporte en cas de situation de stress. Finalement, le risque global du portefeuille doit être déterminé, et l’efficience des modèles utilisés doit être validée par du backtesting.

Quand nous parlons des fonds d’investissement, les actionnaires sont les investisseurs, détenteurs d’actions du véhicule d’investissement, et les principes de gouvernance s’attachent plus particulièrement dans ce contexte à la protection des investisseurs. Le cadre dans lequel sont décidées et réalisées les stratégies d’investissement est primordial et nécessite des contraintes définies notamment par des « codes de conduite », en particulier pour garantir la « meilleure exécution des ordres », mais aussi par des politiques claires et suivies de « conflits d’intérêts » et de « transactions personnelles ».

L’investisseur doit être informé de façon transparente du contexte dans lequel les décisions d’investissement sont prises. Cette transparence, qui nécessite des canaux d’information de l’investisseur, apparaît notamment à travers les prospectus, les Kiid (Key investor information document) et les rapports annuels qui doivent, le cas échéant, décrire les méthodes utilisées pour le calcul du risque global, le niveau attendu de levier, la description du portefeuille de référence (benchmark), la détermination du niveau de risque global (« indicateur de risque synthétique ») ou des informations sur les frais divers. L’investisseur doit être informé lorsque ces indicateurs changent dans le temps, et le fonds doit par conséquent disposer de moyens techniques et humains qui permettent un suivi dans le temps des indicateurs.

L’investisseur doit également avoir la possibilité de s’adresser aisément au fond d’investissement pour y déposer des plaintes. À cet effet, des procédures efficaces et transparentes en vue d’un traitement raisonnable et rapide des plaintes adressées par les investisseurs doivent être mises en place, un registre des plaintes doit être tenu, et une personne responsable pour le traitement des plaintes doit être désignée.

Dans sa proposition de directive au Parlement européen et du Conseil sur les marchés financiers de cette année (Mifid II), la Commission européenne affirme que les organismes de régulation au niveau international s’accordent à reconnaître que les failles de gouvernance d’entreprise dans plusieurs établissements financiers ont contribué à la crise financière. Elle met l’accent sur les risques excessifs qui ont été pris et ont conduit à des problèmes systémiques, ou sur des comportements fautifs qui portent préjudice aux investisseurs et conduisent à des pertes de confiance. Elle développe des suggestions pour une gestion saine et prudente dans les établissements financiers, pour l’intégrité du marché et la promotion de l’intérêt des investisseurs.

Au Luxembourg, l’industrie des fonds d’investissement répondra dès 2012 à ces exigences communautaires qui visent les établissements financiers. Dans ce sens, les fonds d’investissement sont des précurseurs dans cette recherche de gouvernance d’entreprise, et la plupart des fonds ont déjà mis en place depuis un certain temps ces structures efficaces qui manquent parfois aux établissements financiers.

L’auteur est directeur, BCEE – Asset management
Yves Wagner
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