Avec de prestigieux diplômes en poche, huit langues au compteur et surtout une passion sans faille pour les arts vivants et les enjeux qui les accompagnent, Martine Dennewald a d’abord brillé professionnellement en Europe, sillonnant les plus grands festivals du genre. Puis, en 2021, alors que s’éteignait une pandémie planétaire, elle s’envolait vers Montréal pour y codiriger le Festival TransAmériques (FTA), avec la dramaturge Jessie Mill. Elle qui parlait alors de l’essentialité « d’aller voir ailleurs », est désormais bien installée au FTA, un festival de création contemporaine, qui, depuis quarante ans, met à l’honneur la danse et le théâtre, « dans leurs expressions les plus actuelles ». Originaire du Luxembourg, Martine Dennewald considère qu’il est essentiel d’avoir un sens aigu des appartenances et des privilèges dont elle dispose en tant qu’Européenne blanche. Aussi, elle revendique une certaine agentivité dans ses choix de carrière. Choix qui l’ont menée à diriger l’un des plus grands festivals de spectacles au monde. Un exemple pour le milieu artistique luxembourgeois qui souvent peine à s’expatrier. Elle retrace le fil de son parcours.
Le théâtre, ou plus largement le spectacle vivant, est aujourd’hui au cœur de la vie de Martine Dennewald. Il a guidé son parcours professionnel de bout en bout. Enfant, elle prend des cours de musique au Conservatoire de la Ville de Luxembourg. Adolescente, elle y découvre l’art dramatique et le théâtre, auprès de professeurs comme Patrick Hastert et Michèle Clees. « J’adorais aussi les cours d’histoire du théâtre de Vinciane Koch ». Ensuite, elle fait de premiers stages de mise en scène avec Frank Hoffmann au Théâtre National, « qui venait tout juste d’être fondé », puis, avec Jean Flammang pour une production au Théâtre du Centaure.
Elle poursuit en étudiant la dramaturgie à Leipzig et le management culturel à Londres. Elle y découvre deux approches spécifiques des théâtres allemand et anglais. Surtout, elle comprend le « dedans » et le « dehors » d’un projet culturel. Très vite, il lui parait évident de se situer « dans l’ombre » de la création artistique. « J’ai rapidement constaté que même si j’adorais le théâtre, ma place n’était pas dans l’interprétation ou la création. J’ai profité à fond de mes études en Allemagne, mais je ne me voyais pas vraiment comme dramaturge qui accompagne les metteurs en scène. Les festivals internationaux me passionnaient déjà et je n’ai eu que le souhait de m’y impliquer le plus vite possible. »
Ses débuts se déroulent au London International Festival of Theatre, dit « LIFT », pour se poursuivre au Kortárs Drámafesztivál à Budapest et au Schauspielhaus de Zurich. Entre 2006 et 2011, elle tient la direction artistique du « Young Directors Project » au Festival de Salzbourg où elle goûte à l’émergence internationale du spectacle vivant. Elle retrouve ensuite l’Allemagne pour être programmatrice à la maison des arts Künstlerhaus Mousonturm de Francfort qu’elle dirige en intérim pendant une année. Elle découvre ainsi une multitude de milieux différents, qui la plonge dans la grande diversité du spectacle contemporain. « J’ai eu la chance de fréquenter des milieux artistiques hétérogènes, de travailler au sein d’institutions d’envergures et de degrés de précarité variés, de découvrir des rapports divers entre art, politique et société assez tôt dans mon parcours ». En voyageant de Londres à Budapest, puis Zurich, Salzbourg et Francfort, son regard sur le milieu évolue et ses ambitions personnelles et professionnelles grandissent avec elle, « J’ai pu tirer des leçons sur ce qui, dans les institutions, favorise l’émergence d’une esthétique originale, innovante, et ce qui permet aux artistes et aux travailleurs culturels de créer des œuvres dans un respect mutuel ».
Ensuite, de 2014 à 2020, elle a été directrice artistique du Festival « Theaterformen », un festival international d’arts de la scène, initié en 1989 pour explorer des thématiques contemporaines. « Avant mon entrée en poste, du temps de Marie Zimmermann, de Veronika Kaup-Hasler ou encore d’Anja Dirks, ce festival présentait déjà une programmation extra-européenne forte, qui contribuait à assurer la présence en Europe des artistes d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine ». Au « Theaterformen », elle développe un réseau international à force de parti pris audacieux. De là se nouent ses soutiens artistiques mais surtout institutionnels. Elle note des nuances entre l’Europe – où les bailleurs de fonds publics siègent souvent dans les conseils d’administration des principales institutions culturelles – et l’Amérique du Nord où ce n’est généralement pas le cas. « Le rôle des décideurs politiques y est de mettre à disposition l’infrastructure et les moyens financiers adéquats à l’épanouissement du milieu, et de veiller à ne pas s’ingérer dans les prises de décision artistiques. Cette condition est assurée par exemple dans le modèle des conseils des arts ‘at arm’s length’ au Royaume-Uni et au Canada ».
En juillet 2021, Martine Dennewald est nommée à la tête du Festival TransAmériques avec Jessie Mill. Elle arrive à Montréal en mai, quand les derniers confinements et couvre-feux viennent d’être levés et que Martin Faucher, leur prédécesseur au FTA, signe sa dernière édition, « particulièrement courageuse », du Festival. « Ce n’est qu’en mai que le printemps s’annonce ici, que la ville sort d’un hiver long et glacial, c’est donc un moment rempli de joie, et j’ai été bouleversée par cette atmosphère presque extatique », commente-t-elle.
L’année suivante, en ce même mois si symbolique, Martine Dennewald déclare à Radio-Canada être fascinée par « une espèce de soli-darité et d’échanges entre les artistes et les institutions culturelles ». Elle explique n’avoir jamais vu ça ailleurs, et « certainement pas en Europe ». Un sujet qu’elle juge vaste : « Il est vrai que les institutions montréalaises se jalousent rarement les artistes comme peuvent le faire les théâtres dans certaines villes d’Europe. Les metteurs en scène et chorégraphes circulent plus librement entre les lieux de production et de diffusion ». Pourtant, elle constate que des deux côtés de l’Atlantique, « mes collègues et moi mettons de moins en moins l’accent sur l’exclusivité, sur les premières mondiales ou nationales ; nous préférons réfléchir à la solidarité, au partage et à la cocréation ».
D’autant que l’année dernière, Martine Dennewald et Jessie Mill parlaient du FTA comme d’« une œuvre collective » qui se singularise par la pluralité de sa programmation et sa diversité culturelle. Des orientations mises en œuvre pour faire du FTA une grande fête des arts vivants internationaux et un festival de création qui soutient le développement et la circulation des œuvres québécoises, canadiennes et autochtones. « Avec Jessie Mill, nous nous sommes donné des lignes directrices qui relient Montréal – ou Tio’tia:ke, pour utiliser l’appellation en kanien’kéha – au monde et qui orientent nos voyages de repérage. Parcourir les Amériques sur toute leur longueur, accueillir les artistes autochtones d’ici et d’ailleurs, faire valoir les différentes langues françaises parlées sur les scènes, et donner une place à la création artistique et aux imaginaires des régions circumpolaires ».
En prônant cet esprit collectif et une ouverture d’esprit face aux pratiques et aux propositions de leur programmation, elles placent les artistes au cœur du rayonnement du festival, et ce, aussi loin que leurs moyens le leur permettent. « Les quinze personnes qui constituent l’équipe permanente du FTA, et qui pour la plupart ont rejoint le Festival bien avant moi, veillent au respect du travail des artistes à chaque étape de la planification et de la réalisation du Festival ». Et en même temps, tout en célébrant ceux de l’ombre qui l’accompagne, elle insiste, « nous aimerions toujours en faire plus ».
Dans ce sens, leur projet est de suivre l’un des grands axes de structure du FTA, à savoir la valorisation des arts autochtones, « les artistes autochtones travaillent chacun et chacune à sa façon, et il y a parmi eux, de toute évidence, la même diversité que parmi les artistes allochtones. Pour plonger dans leurs récits et se faire une idée de ce que sont les expressions artistiques fondamentales de ce territoire, rien de mieux que de lire leurs livres, de voir leurs spectacles, d’écouter leur musique ! » Une ligne de fuite centrale pour le FTA, passionnant Martine Dennewald qui poursuit sa route, guidée par « le rêve de mieux partager nos richesses, qu’elles soient matérielles ou immatérielles ; de respecter les limites de notre planète tout en cultivant l’abondance des propositions artistiques ; de rendre compte, dans les arts vivants, de ce qui nous relie les uns aux autres ». p