Voilà l’occasion de prendre le pouls de la scène contemporaine de Paris, où les deux artistes résident et travaillent. David Mbuyi, originaire de Kinshasa (Congo) où il est né en 1997, a débuté la peinture il y a sept ans, au sein de l’atelier de Djamel Tatah, dont les toiles de grand format peuplées d’êtres esseulés occupent aujourd’hui une bonne place dans les collections françaises. Signe que la peinture de David Mbuyi commence à se faire connaître dans le milieu de l’art, celui-ci a reçu en 2020 le Prix François Dujarric de La Rivière. Quant à Maria Adjovi, Béninoise née en 1996, elle explore, par la peinture, des questionnements spirituels en même temps qu’elle revisite son histoire personnelle, marquée par la perte douloureuse de sa mère.
On trouve, de part et d’autre, un même recours à un modèle photographique. Grâce à sa formation initiale de graphiste, David Mbuyi produit des prises de vue, mais à seule fin de pouvoir les retoucher comme il l’entend. La récente série de toiles qu’il présente capte à chaque fois des instants fugaces et ordinaires, des hommes et des femmes en marche, affairés à leurs occupations quotidiennes, dans le sillon de la photographie vernaculaire de Walker Evans. Les figures de David Mbuyi, qu’il décline en divers formats et de façon résolument coloriste, sont souvent en mouvement, comme cette femme, photographiée à Annecy et entourée de plantes, qui fait son jogging dans un parc (Sans titre, 2025). Ou à l’image de cette vieille femme estropiée (Miroir, 2025), reproduite elle-aussi à échelle 1, qui se déplace à l’aide de béquilles, un détail qui traduit les peines rencontrées par la population congolaise. On devine aussi bien ces épreuves secrètes à travers la structure fracturée du tableau, scandé en son milieu par une césure qui le transforme en diptyque. Non loin de celui-ci, un tableautin montre un homme noir de profil, une main appuyée à un arbre, l’autre sur les hanches, dans une posture corporelle élégante et stylisée par un contrapposto digne de la statuaire antique (La cour, 2025). Ainsi cet être dont on ne connait rien, et qui n’est engagé dans une aucune action reconnaissable, nous apparait tel un dieu grec, sage et patient, indolent et empli de grâce. Il demeure debout, dans la cour d’une maison dont la façade offre de curieux jeux de lignes perpendiculaires déstructurant la composition.
À y voir de près, et ce constat a valeur générale dans le cas de David Mbuyi, la composition enregistre des imperfections formelles, des accidents graphiques qui constituent autant de petites exceptions à la règle géométrique. On s’aperçoit par ailleurs qu’il manque à la joggeuse le bras gauche et que son t-shirt bleu-gris est étrangement ciselé. Ce sont là des indices laissés intentionnellement à l’attention du spectateur, qui donnent à voir le geste d’appropriation infographique du plasticien franco-congolais. Pour lui, la peinture est comme une photographie augmentée, un moyen de l’interpréter et de l’emmener vers un ailleurs créatif et universel : un « outil pour sortir du cadre », comme il l’affirme. Il s’agit ainsi de libérer la prise de vue, comme d’émanciper les couleurs de la composition. Un dernier portrait, frontal dorénavant, est particulièrement réussi (Sans titre, 2025) : on y voit un jeune homme noir marchant, balluchon sur l’épaule, l’air résolu, comme s’il souhaitait s’extraire à son tour du cadre, recouvert de multiples segments colorés, parfois fauves, qui en accentuent l’impression de vitalité.
Maria Adjovi s’empare elle-aussi de la photographie comme d’un document préexistant à sa pratique picturale. Là où David Mbuyi n’entretient avec ses figures aucune familiarité particulière, Maria Adjovi mobilise essentiellement des photos de famille, qui saisissent des moments intimes, notamment entre elle et sa mère disparue. La première toile exposée dans le lieu en est une exception : il s’agit d’un portrait de la jeune femme aux cheveux courts et à la boucle d’oreille (La médaille, 2025). Enveloppée dans un habit africain ample et majestueux, elle se présente de trois quarts sur un fond brun, les mains réunies sur la poitrine en signe de recueillement. Elle sert contre elle, précieusement, une médaille qui se détache par sa clarté sur les tons chauds (rouge, orange) qu’elle revêt, inscrivant mystérieusement le portrait dans un narratif personnel, secret, irréductible à son auteure. La facture minutieuse et majestueuse appliquée à cet autoportrait convoque la peinture de la Renaissance italienne, en particulier celle de Mantegna que Maria Adjovi affectionne. « Mon travail, précise la lauréate du Prix Weil, prend racine dans une construction narrative, nourrie par des histoires intimes, des textes, des rencontres qui résonnent en moi. Je me laisse guider par une forme de morale de vie, presque comme un fardeau inhérent à la condition humaine. À travers les sujets que je peins, je cherche à livrer une vérité — une vérité dans le regard, dans la lecture de l’image, dans le geste brumeux des choses concrètes d’antan. Mes sources photographiques naissent de mises en scène, de fragments du quotidien, ou de références empruntées à l’histoire de l’art. Je cherche à éveiller les sentiments comme le fait la poésie. Je procède par effacement et recommencement, jusqu’à ce que quelque chose demeure ».
La peinture constitue bien, pour la jeune femme, le lieu du silence, du souvenir aussi. Elle relève presque de la voyance par le fait de relier les vivants à celles et ceux qui nous ont quittés. Les autres œuvres de Maria Adjovi se rapprochent de son intimité familiale, avec, tout d’abord, cette toile où Maria est au côté de sa mère, toutes deux rassemblées autour d’une fleur en forme de rosace (Comme une main tendue, je me souviens d’hier, 2025). La facture de ce tableau est typique du style de Maria Adjovi ; contrairement à David Mbuyi, dont les compositions sont toujours nettes, Maria ménage des espaces de flou autour des visages, comme s’il s’agissait de rendre sensible la difficile quête du souvenir, et des aplats de couleurs célébrant le moment heureux à convoquer. Une autre toile revient sur la communion (Devoir de promesse, 2025), où Maria se représente à trois reprises, et à autant d’âges différents, de la petite enfance à la maturité, dans une perspective spatiale qui en devient une perspective de temps. Des chandelles illuminent la composition, et se substituent à la présence de la rosace dans le précédent tableau.