Standards de Christian Frantzen

Fuck the message!

d'Lëtzebuerger Land vom 24.01.2014

Est-il pop art ? « Ah non, ça on me l’a dit il y a quelques années. Je ne suis pas du tout d’accord ! » répond Christian Frantzen. « Moi, ce que je fais, c’est extrêmement concret : lorsqu’il y a une ligne, je peins une ligne, lorsqu’il y a un surface plane, je peins une surface... » Fait-il une critique anti-consumériste alors, avec ces paysages saturés d’hyper-exploitation de l’espace public et de sur-codification, voire pollution visuelle de publicités agressives ? « Ça aussi, on me le demande souvent. Mais je ne fais pas de critique du consumérisme. Franchement, je me fous un peu du message, je peins ce que j’ai envie de peindre. » Et d’expliquer comment, avec les années, sa technique s’est affinée, pour devenir de plus en plus classique, « proche de celle du baroque », avec un fond en acrylique ou vinyle, puis de la peinture à l’huile la plus classique. « Mais la technique, ce n’est qu’un outil, pas une fin en soi, ajoute-t-il. Elle m’aide à créer l’image que je veux.... »

L’endroit est incroyable : Christian Frantzen est un des quatre locataires – avec Franck Miltgen, Pascal Piron et Roland Quetsch, tous peintres, ayant fait leur formation à Strasbourg – des studios ALZ, dans un des tracts de l’ancienne usine Arcelor-Mittal à Dommeldange. Juste au-dessus des studios où fut tournée la série Weemseesdet ?, au premier étage, la lumière est allumée même le week-end. Parce que Christian Frantzen peint sans interruption, « en ce moment sur trois ou quatre toiles en parallèle, pour que la peinture puisse sécher ». Mais cette cadence est exceptionnelle, même pour lui, qu’on dit accro : « Une grande toile comme celle-là (il pointe du doigt sur un grand paysage hongkongais), c’est soixante heures de boulot, soit dix ou quinze jours... »

Entre deux cigarettes, Christian Frantzen se lève et baisse le son de la radio. Il écoute RTL Radio Lëtzebuerg à longueur de journée, parce que ça repose, mais là, les Deckkäpp en arrière-fond d’une interview, ça va pas du tout. Entre les meubles de récupération, il y a du matériel de peinture partout, des images collées au mur, des tests de couleur à côté, des cageots de bière, et des vidanges, beaucoup de vidanges. Mais il faut tenir dans ces ateliers, où on a l’impression qu’il fait plus froid à l’intérieur qu’à l’extérieur. « Je n’ai pas d’autre choix, » dit-il, et superpose plusieurs couches de vêtements pour se protéger lorsqu’il est assis durant des heures et des heures, souvent dans la même position, à peindre des détails : des dizaines, des centaines de fenêtres ou de néons identiques, alignés sur la grille d’une façade. Cette sérialité presque obsessive le fascine. « À Strasbourg, j’ai d’ailleurs fait mon mémoire de maîtrise sur l’abstraction sérielle – mon propre travail... Ça devrait être interdit, je trouve, car après m’être tellement consacré à mon œuvre, j’étais dégoûté, je n’ai plus rien fait durant un an ! »

C’était il y a dix ans, Christian Frantzen, qui aura 39 ans cette année, travaille ensuite quelque temps en tant que graphiste pour le Museum Ludwig à Cologne, puis revient au Luxembourg, où on le découvre avec Multiplex « collectif de plasticiens pour plasticiens » (avec entre autres, Roland Quetsch déjà, avec lequel il anime aussi Toitoi) dans une expo chez Danielle Igniti à Dudelange ou des expos alternatives organisées par LX5, à la Halle des Soufflantes à Belval durant l’année culturelle par exemple. Déjà à l’époque, il peint ses villes déshumanisées, les mégalopoles parfois menaçantes avec leurs couleurs criardes et les néons publicitaires qui s’imposent, parfois poétiques et abstraites avec leurs structures géométriques rigoureuses. S’ensuivent une participation à Elo – Inner Exile, Outer Limits au Mudam (2008), une première exposition chez Armand Hein de la galerie Toxic, et, à partir de 2010, une collaboration avec Alex Reding, qui lui offre une première exposition personnelle, Fight or Flight en 2010. Jeudi prochain s’y ouvrira sa deuxième monographie, la tension monte.

« J’ai choisi le titre Standards parce je reviens à ce que j’ai l’habitude de faire... », dit-il. Après avoir abandonné la couleur pour quelque temps, ce qu’on a notamment pu voir dans son exposition All Natural en 2011 à la galerie L’indépendance, route d’Esch, et essayé de faire complètement autre chose, avec ses Playgrounds, des manèges de parc d’attractions abandonnés en plan rapproché, qu’on a surtout pu voir au Prix d’art Robert Schuman qui vient de se terminer à Sarrebruck... « Après le noir et blanc, j’avais envie de revenir à la couleur, et de peindre autre chose. J’ai longtemps cherché un thème et un motif, j’ai fait des repérages pendant des mois. Nous vivons dans une société fascistoïde où on est constamment surveillé, où tout est interdit – regardez l’interdiction de fumer, là, actuellement..., explique l’artiste. Pour moi, ces parcs abandonnés étaient une expression de cela : tout ce qui nous amuse est interdit, alors la nature reprend ses droits. »

Aujourd’hui donc, Christian Frantzen revient vers ses « standards », les images auxquelles on l’identifie : la ville et l’architecture – même si les panneaux publicitaires ont disparu, si les structures sont plus épurées, l’abstraction poussée plus loin. « J’essaie de développer cette abstraction de la figuration, parce que l’homme est tellement loin de son environnement naturel lui aussi. » Christian Frantzen se rappelle cette expérience-clé lorsque, en roulant sur l’autoroute un soir il y a des années, il s’est soudain rendu compte à quel point ces paysages étaient factices, complètement artificiels, entre les voies et les panneaux d’affichage illuminés. Voilà peut-être aussi une explication pour l’absence de la figure humaine dans ses tableaux : « Pourquoi en peindre un en particulier s’il y a sept milliards d’hommes ? Et pourquoi peindre des hommes s’ils se noient dans leur environnement ? J’estime que l’environnement que l’homme conçoit pour soi-même en dit assez sur lui... » Peut-être que, au final, le message n’est pas si secondaire que cela chez Christian Frantzen.

Vernissage de l’exposition Standards de Christian Frantzen jeudi prochain, 30 janvier, à partir de 18 heures ; exposition jusqu’au 8 mars à la galerie Nosbaum&Reding, 4, rue Wiltheim à Luxembourg ; www.nosbaumreding.lu ; ouvert du mardi au samedi de 11 à 18 heures. En parallèle aura lieu, dans l’espace côté rue, la nouvelle exposition de Stephan Balkenhol.
josée hansen
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