Blogosphère

Le camp du déni commente à tout va

d'Lëtzebuerger Land vom 02.12.2010

Alors qu’une nouvelle tentative de s’accorder sur un traité succédant au protocole de Kyoto se déroule dans une ambiance morose au Mexique, le web et la blogosphère ne sont pas en reste : en ligne, la bagarre fait rage entre ceux qui estiment que le changement climatique est un problème avéré appelant des solutions urgentes et ceux qui y voient une vaste conspiration unissant scientifiques et politiques dans un sombre et inavouable dessein. Les blogs spécialisés, qu’ils soient du bord des « faucons climatiques » ou de celui des « climatosceptiques », suscitent les commentaires passionnés de leurs publics respectifs.

Toutefois, ce qui frappe, en terrain « neutre », par exemple dans les sections de commentaires suivant les articles publiés à l’occasion de la conférence de Cancún sur les sites des grands journaux occidentaux, c’est l’omniprésence et le caractère parti-culièrement vociférant des climatosceptiques. Ceux-ci répètent à l’envi leurs arguments éculés tels que « le gaz carbonique est bon pour les plantes » ou « le climat a toujours été cyclique » et leur haine d’Al Gore ou de Rajendra Pachauri, présentés comme des profiteurs éhontés du changement climatique. À lire les nombreuses capsules envenimées qu’égrènent ceux qui nient l’existence et le caractère dangereux du changement climatique, par exemple sur les sites du Monde ou du Guardian, et à les comparer au nombre relativement limité des interventions de ceux que les dernières nouvelles en provenance des climato-logues inquiètent, on en arrive à se demander si les sondages suggérant, dans les pays occidentaux, des opinions reconnaissant majoritairement le caractère alarmant du réchauffement global n’en présentent pas une image erronée.

Il n’en est rien, bien entendu. La furie et l’omniprésence des commentateurs climatosceptiques reflète le dynamisme et la motivation de ceux que gêne, pour une raison ou une autre, la perspective d’envisager une réduction de nos émissions de CO2. Sans doute y a-t-il en face, chez ceux que les scientifiques ont convaincus de la réalité du problème, une certaine lassitude, inspirée par le sentiment que continuer de discutailler sur les forums avec les croisés du déni est une perte de temps. Il est vrai qu’ils s’avèrent la plupart du temps parfaitement incapables de s’intéresser aux arguments factuels, se contentant de faire du bruit et de railler les « éco-fascistes ».

Au Monde, face à cette avalanche de commentaires sceptiques, cer-tains ont suggéré aux modérateurs de vérifier l’adresse IP des commen-tateurs, subodorant que certaines séries de contributions outrageusement sceptiques figurant sous autant de pseudos différents provenaient en réalité d’un seul ou d’une poignée d’internautes. L’existence d’un mot d’ordre, dans le camp des climatosceptiques, visant à inonder systé-matiquement les sites des grands journaux pour donner l’impression que l’opinion se rallie de plus en plus à leur cause, ne fait guère de doute. Elle est corroborée par les résultats de certains sondages en ligne sur le même sujet. Certes, ces sondages sont, par définition, d’aimables outils de fidélisation des lecteurs des médias qui les lancent, relevant bien davantage du marketing que des sondages tels que les définissent les sociologues. Mais, comme on l’a vu récemment aux États-Unis lorsque le magazine de vulgarisation Scientific American s’est livré à ce petit jeu et a vu son sondage en ligne pris d’assaut par des adeptes du déni, dûment mobi-lisés par les sites dont la raison d’être est de nier l’existence du réchauffement, ce camp est beaucoup plus facile à mobiliser.

Connaissant le caractère superficiel et opportuniste d’un grand nombre de politiques, il est à craindre que ce blitz des adeptes du déni ne porte ses fruits. Il ne changera rien au résultat de la conférence de Cancún, qui part d’un très mauvais pied. Mais, en l’absence d’un sursaut de ceux préoccupés par l’avenir de la planète, il risque de contribuer à la désinformation et de retarder encore davantage l’indispensable changement de cap.

Jean Lasar
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