Déconstruire

d'Lëtzebuerger Land vom 23.04.2021

Les enfants ont le don de poser des questions fondamentales sans en avoir l’air. Ils vous balancent leurs questionnements existentiels comme si de rien n’était, souvent à des moments peu opportuns, quand vous vous apprêtiez à franchir le pas de la porte pour retrouver enfin le bonheur d’un verre en terrasse par exemple. Et vous voilà un peu pris de court, bien conscient que l’innocente question relève d’un sujet prépondérant dans le développement de ces mini humains.

À croire qu’ils le font exprès, avec leurs petits airs innocents. Mais c’est le deal, j’ai envie de dire, que d’attraper ces balles au bond, et de percevoir, au travers les lignes, les attitudes et les jeux, l’importance de ces questions pour ces enfants en quête de réponses. C’est le deal, d’éclairer du mieux possible, d’expliquer et de rassurer à travers nos mots, ces adultes en devenir.

Chez mon fils, le sujet n’est pas tombé directement, mais il y a eu des réflexions à première vue anodines, puis des petits changements, dans ses habitudes. Sa grande préoccupation du moment, comme probablement celle de tout enfant qui approche les quatre ans : affirmer son genre, et dans son cas, être un garçon avec tous les clichés que cela implique. Plus question par exemple pour lui de toucher à la poupée avec laquelle il jouait petit, c’est clairement « trop pour les filles ». La question du genre est donc devenue mon cheval de bataille à la maison et je m’applique à répondre à toutes ses remarques avec doigté, soucieuse de lui enseigner qu’il faut nuancer certains propos un peu trop tranchés. Je n’ai donc de cesse de reprendre tous mes proches qui risqueraient de mettre en péril ma mission. Son père, quand il dit que les filles sont plus « fragiles » et qu’il ne faut pas se battre avec elles. Son grand-père, qui a décidé que seules les filles pleuraient. Un ami, qui ne comprend pas comment j’ai pu lui acheter une cuisine et pas un établi. Mon voisin qui ne conçoit pas qu’un garçon regarde La Reine des neiges et j’en passe. Vous les connaissez autant que moi, ces stéréotypes de genre, auxquels on a tous plus ou moins été soumis et souvent à notre insu. C’est qu’elles perdurent, ces conneries !

La preuve encore dans cette boutique de vêtements pour enfants, où, en attendant mon tour à la caisse, j’observais une maman avec dans les bras, un garçon d’environ deux ans tentant en vain de s’emparer d’une petite peluche rose suspendue à hauteur de ses yeux. À chaque tentative, sa mère l’en éloignait d’un mouvement d’épaule, jusqu’à ce que, agacée, elle finisse par lui dire : « Tu peux prendre la bleue, mais pas la rose, le rose c’est pour les filles ». Léger malaise. N’est-il pas complètement dépassé, ce sempiternel débat rose-bleu ? Visiblement non. Pourtant, les questions de l’identité, de l’expression et de la dysphorie de genre sont plus que jamais ouvertement traitées à l’heure actuelle. Le documentaire de Sébastien Lifshitz, Petite fille, actuellement en salles et sur Netflix, met justement cette thématique en exergue et prouve une fois de plus que pour certains, comme pour Sasha – cette petite fille née avec le corps d’un garçon dont traite le film – l’enfer, c’est les autres… Ne serait-il pas alors grand temps de sortir de ces étiquetages symboliques et de déconstruire une bonne fois pour toute ces fichus clichés ?

Des études ont montré que jusqu’à trois ans, les enfants ont les mêmes capacités quel que soit leur sexe. C’est donc leur environnement qui va favoriser le développement de telle ou telle aptitude, de tel ou tel trait de caractère. L’enfant va finalement se construire en répondant aux attentes, souvent inconscientes, de son entourage, et notamment sur ce que doit être le masculin et ce que doit être le féminin. C’est donc là, dès la petite enfance, qu’il faut déconstruire pour reconstruire. Puis profiter de toutes les occasion pour abroger et dénoncer les clichés, si ce n’est pour une société plus égalitaire, simplement pour la bienveillance à laquelle tout un chacun devrait avoir librement droit.

Salomé Jeko
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