Cinéma

Six semaines… et demie

d'Lëtzebuerger Land du 24.07.2020

François Ozon est de retour en salle, deux ans après son Grâce à Dieux, Grand Prix du jury à la Berlinale, avec le récit que le réalisateur avait prévu d’adapter pour son premier long métrage, Été 85, librement adapté du roman Dance on my grave d’Aidan Chambers.

Alexis a seize ans en 1985. L’année scolaire vient de se terminer et le garçon prévoit de poursuivre le lycée en section littéraire. Faut dire qu’il a une plume intéressante et que son professeur de français l’a pris sous son aile. Pourtant, dans sa famille, la pression est forte pour qu’il arrête ses études et se trouve dès maintenant un boulot. Faut dire qu’une source de revenues supplémentaire serait la bienvenue dans cette maison dont la mère est au foyer et le père docker au port voisin.

Mais en ce tout début d’été, sur cette côte normande où il vit, Alexis veut d’abord profiter de la mer et du soleil. Il emprunte alors le bateau d’un ami mais ne voit pas l’orage qui approche. Il chavire. Heureusement un bateau à peine plus grand que le sien, mais muni d’un moteur, arrive à sa hauteur. À son bord, David, 18 ans Alexis chavire à nouveau, au sens figuré cette fois. Faut dire que si Alexis est beau comme un ange, David, lui, a la beauté du diable.

C’est comme ça que commenceront six semaines inoubliables. Alexis trouve en David « l’ami de ses rêves », tandis que David a terriblement besoin d’un véritable ami depuis le décès de son père un an plus tôt. Les deux vont donc devenir inséparable, vivre cet été à cent à l’heure, de jour comme de nuit, dans le magasin de la mère de David – qui prendra Alexis comme vendeur – comme en discothèque, à la fête foraine comme à la plage.

Après quelques approches pleines de sensualité mais maladroites, les deux exploreront leur sexualité avec passion. Et malgré une insulte homophobe lors d’une soirée, l’homosexualité de cette relation ne sera « jamais vraiment le sujet » notera le réalisateur dans ses notes d’intention. Alexis et David s’aiment, point à la ligne. Alexis, d’un amour pur et absolu. David avec une fougue et une passion hors du commun. Mais aussi avec un besoin de dominer, psychologiquement du moins, son partenaire, avec un petit côté pervers-narcissique.

François Ozon revient, avec cet Été 85, à plusieurs des thèmes qui traversent son œuvre : l’homosexualité, l’ambivalence, la transmission du savoir, l’amour pour la littérature… Et le réalisateur s’amuse à mettre son spectateur sur de fausses pistes, à le faire douter, à lui donner des certitudes qu’il s’empresse de détruire. Ce n’est pas pour rien s’il commence par montrer un Alexis en état d’arrestation, parler de son obsession pour la mort et annoncer le décès de David.

Ozon ose beaucoup et titille le spectateur, avec réussite. Il lui refuse l’accès à la chambre où les jeunes hommes passent leur première nuit ensemble au spectateur, en le traitant presque de voyeur, joue avec sa nostalgie du temps passé et rend un magnifique hommage à La Boum.

Sélectionné en compétition officielle au festival de Cannes cette année, Été 85 est un teen-movie qui marie la force de l’expérience emmagasinée par Ozon en plus de vingt ans de carrière, et la fraîcheur et l’énergie de ses films de jeunesse. Pas étonnant quand on sait que le réalisateur a lu le roman quand il était adolescent, justement en 1985, et pensait même en faire son premier long métrage.

À la fois solaire et sombre, plein d’énergie et posé, passionné et réfléchi, réaliste – dans ses décors, ses réalités sociales ou encore sa BO qui va de The Cure et à Rod Stewart en passant par les pionniers de l’électro –, mais idéalisé – dans ses costumes, dans son image au grain particulier de la pellicule et sa reconstitution des années 80 à travers les souvenirs propres du réalisateur –, le film se développe tel un puzzle à travers ses nombreux flash-backs.

Félix Lefebvre et Benjamin Voisin qui interprètent les deux jeunes gens sont fabuleux tout comme Valeria Bruni Tedeschi dans le rôle de la mère ultra-possessive de David.

Alors oui, ses détracteurs diront qu’Ozon refait du Ozon, qu’il n’a pas la puissance narrative d’un Xavier Dolan ou la folie d’un Pedro Almodóvar, que son film est moins bouleversant qu’un Call me by your name de Guadagnino, moins revendicatif qu’un 120 battements par minute de Campillo… mais justement Ozon n’a pas tenu à en faire des tonnes, à dramatiser outre mesure cet amour adolescent, à jouer sur la corde sensible. Il garde sa retenue habituelle. Et c’est justement là qu’il excelle.

Pablo Chimienti
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