Cinéma

Queen & Slim lives matter

d'Lëtzebuerger Land du 03.07.2020

Si on ne connaissait pas la durée de la production d’un film, on pourrait croire que Queen & Slim, le premier long métrage de Melina Matsoukas réputée jusqu’ici en tant que réalisatrice de clips vidéo, avait été tourné suite à l’assassinat de George Floyd et le renouveau du mouvement Black Lives Matter, tellement ce long-métrage de plus de deux heures s’inscrit dans l’actualité de ces derniers mois.

Queen et Slim s’appellent en fait Angela et Earnest. Ils dînent dans un diner sans charme après s’être donnés rendez-vous sur Tinder. Il l’a contactée en premier. Sur sa photo de profil, elle a aimé son regard triste et comme elle vient de passer une journée difficile, elle lui a proposé cette soirée. Mais entre l’avocate misanthrope et revancharde contre tout un chacun et le jeune bigot à la politesse excessive, c’est peu de dire que le courant ne passe pas. Gentleman, il la ramène tout de même chez elle. En chemin, elle lui prend son téléphone portable pour le connaître un peu mieux ; pour le récupérer, il fait en embardée. La rue est déserte. A priori, aucun souci donc. Sauf que...

Sauf qu’une voiture de police passait par là. Et que le flic de service décide de les contrôler. Une routine, au pire un PV pourrait-on penser, mais c’est sans compter sur le racisme qui gangrène la société américaine. Le policier est blanc, Angela et Earnest sont noirs. Et malgré toute la bonne volonté du conducteur pour que le contrôle se déroule sans encombre, en deux temps trois mouvements Angela se retrouve avec une balle dans la cuisse avant qu’Earnest arrache le pistolet des mains du policier et lui tire dessus.

Ils pourraient plaider la légitime défense, mais ils savent bien qu’ils n’arriveront pas à se faire entendre. Les voilà fugitifs, tueurs de flic ! Pourcentage de chances de s’en tirer vivants ? Proche de zéro. Ils rejoignent ainsi Thelma et Louise, Bonnie et Clyde ou encore Sailor et Lula… dans la liste des duos maudits du cinéma.

Ils fuient alors l’Ohio pour se rendre au Kentucky. Leur périple les entraînera ensuite au Tennessee, en Louisiane, en Alabama, en Géorgie et enfin en Floride. Leur plan change au jour le jour, selon les bonnes et les mauvaises rencontres, au rythme des pannes d’essence, de la faim qui tiraille et du sommeil qui guette.

Les deux vont surtout être obligés à s’entendre, à s’apprivoiser, à s’épauler. Leur relation change et le dégoût du début laisse finalement place à une passion brûlante. La rebelle semble s’adoucir, tandis que le tendre reprend du poil de la bête. « Au début du film, Queen est Malcolm X et Slim, Martin Luther King, mais ils finissent par échanger leurs rôles », explique la scénariste, Lena Waithe, dans une comparaison volontairement politique rappelant à la fois le mouvement des noirs américains pour les droits civiques et les années 60, dont le film s’inspire clairement.

Si Angela et Earnest se cachent, autour d’eux, c’est l’effervescence. La police diffuse les images de leur meurtre, pour que les « honnêtes citoyens » les aident dans la traque. Mais dans les communautés afro-américaines, ils sont perçus comme des justiciers qui redonnent espoir en un futur meilleur, plus juste. Voilà les assassins involontaires héros malgré eux ! Le duo n’a voulu ni l’un, ni l’autre… Et encore moins les manifestations et les morts qui ont suivi leur funeste première soirée commune. « Vous serez immortels », leur balance un jeune croisé lors de leur périple. Juste prémonition !

Visuellement ce Queen & Slim a de la gueule – et est même parfois pas mal osé – ; au niveau bande sonore, c’est un pur bonheur ; Jodie Turner-Smith (The Last Ship, Nightflyers, Jett…) et Daniel Kaluuya (Get Out, Black Panther, Widows…) sont splendides dans les deux rôles principaux ; les dialogues sont puissants, pertinents… Reste que le film manque de tension. Un comble pour un tel récit ! La cavale de ces deux anti-héros est finalement bien simple, linaire. Comme si à force de vouloir éviter de proposer trop de rebondissement, la réalisatrice s’était installée dans un rythme un peu poussif.

Qu’importe. La force des deux personnages et l’ancrage de cette histoire dans l’actualité sont telles qu’on pardonne volontiers à ce Queen & Slim ses aspects moins réussis. On se dit même que pour un premier long métrage, c’est sacrément prometteur. Et surtout qu’on a encore bien besoin de ce genre de film à message – comme l’est également Just Mercy de Destin Daniel Cretton, toujours à l’affiche – pour faire faire reculer le racisme. C’est triste, mais c’est comme ça !

Pablo Chimienti
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