Justine Blau, Don’t panic

Il n’y a plus de territoires inconnus

d'Lëtzebuerger Land vom 20.02.2015

En 2013, le Centre national de l’audiovisuel a passé commande d’une œuvre monumentale à Justine Blau, qui est exposée en permanence sur les murs de béton de Paul Bretz dans le bâtiment de Dudelange abritant le CNA et le centre culturel régional Opderschmelz. L’artiste y a recomposé un paysage martien à partir de photographies documentaires réalisées depuis 1975 par les différentes sondes envoyées par la Nasa, pour explorer la surface de la planète rouge. Ce grand montage intitulé What Color is The Red Planet, Really ? tire son effet spectaculaire de son exposition en caisson lumineux et soutenu par un rétro-éclairage qui lui donne une profondeur nouvelle.

Dans le grand couloir qui mène au sous-sol du Centre des arts pluriels à Ettelbruck, Justine Blau expose actuellement le pendant de ce montage photographique. Il s’agit d’une interprétation bien plus conceptuelle d’un paysage martien qui porte déjà les traces d’une colonisation humaine sans qu’âme qui vive n’y ait mis les pieds. Sur des impressions digitales monochromes, l’artiste y a isolé les noms que les terriens de la Nasa ont donnés aux sites remarquables de la topographie martienne. D’Asterix à Woodie en passant par Garibaldi ou Sisyphe, ces lieux-dits traduisent une idée bien banale d’une destination que Justine Blau remet en scène comme un des derniers territoires qui restent véritablement à conquérir. Une mise en scène critique, non sans ironie, qui met en question cette volonté de « l’homme » à posséder pour mieux détruire.

Mais c’est dans le foyer du Cape que commence la « mostly harmless exhibition » de Justine Blau. Elle y a constitué un petit parcours composé de photographies glanées sur le web, de vidéos amusantes trouvées sur Youtube et de vitrines qui exhibent un petit musée d’histoire naturelle rassemblé avec les moyens qui sont ceux d’une artiste qui vit et travaille sous le régime récessionnaire actuel.

Blau y fait une allusion directe avec ses deux maquettes de volcans fabriqués en terre cuite et dont les éruptions sont faites de petits jardins de sels que les anglo-saxons appellent les « depression gardens ». Ces excroissances faites de sel de table, d’ammoniac et de colorant faisaient fonction d’ersatz de fleurs à l’époque de la grande dépression des années trente. Elles ne sont qu’une partie de ce musée bricolé. Dans sa nouvelle exposition, Justine Blau nous rappelle qu’à l’époque de Google Earth, il n’y a plus de territoires inconnus sur la planète bleue. Les oiseaux exotiques qui sont exhibés sur son choix de petites vidéos reproduisent des sons qui vont de la Flûte enchantée jusqu’au bruit mécanique d’un répondeur téléphonique, mais ce ne sont que des imitations. L’exotisme a définitivement disparu et Justine Blau en propose une épitaphe sensible mais amère. Dans une perspective plus large, son travail récent s’inscrit aussi dans ces préoccupations qui ont fait que la démarche du naturaliste a changé de registre en passant de la biologie aux arts plastiques actuels. Ces dernières années, beaucoup d’artistes ont repris cette esthétique de la collection qui a l’avantage de provoquer le regard curieux. Cette exposition est aussi la dernière de toute une série consacrée presque essentiellement à des femmes artistes luxembourgeoises. Le lieu d’exposition du Cape n’est pas facile à maîtriser. Mais ceci vaut tout aussi bien pour le grand hall du Mudam. Au Cape, Justine Blau joue le jeu d’espaces intimistes, comme celui de la vitrine muséale transformée en exposition miniature. L’ensemble de son exposition suit cette logique mais souffre de l’aspect parfois un peu trop improvisé de quelques-unes de ses composantes.

L’exposition Don’t panic de Justine Blau au Cape Ettelbruck dure encore jusqu’au 2 mars ; accessible du lundi au samedi de 14 à 20 heures ; entrée gratuite ; www.cape.lu.
Christian Mosar
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