Forum mondial sur la transparence et l‘échange de renseignements

Un bilan de la lutte contre l’évasion fiscale

d'Lëtzebuerger Land vom 02.12.2011

Peu avant le G20 de Cannes début novembre, s’est tenue à Paris, sous l’égide de l’OCDE, la quatrième réunion du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales avec des délégués issus de 84 pays et de neuf organisations internationales (comme le FMI, la Banque mondiale, la Commission européenne, etc.).

Dans son allocution d’ouverture, Angel Gurrià, secrétaire général de l’OCDE, a révélé que grâce à la lutte contre l’évasion fiscale, plus de quatorze milliards d’euros de recettes avaient pu être récupérés en deux ans par une vingtaine de membres, ce qui constitue « une contribution substantielle à la consolidation budgétaire sans augmenter les taux d’imposition » dans les pays contraints d’augmenter la pression fiscale pour faire face à la crise.

Sur ce total, les pays européens représentent dix milliards. Ce sont l’Allemagne (1,8 milliard) et la France (un milliard) qui ont engrangé le plus d’argent, loin devant le Royaume-Uni et l’Espagne (260 millions chacun). Comparativement à leur taille, et aux pressions qu’ils exercent sur leurs partenaires, les États-Unis n’affichent pas une performance extraordinaire (1,4 milliard).

Selon Angel Gurrià, cet argent provient « de 100 000 contribuables fortunés qui avaient dissimulé leurs actifs dans des centres offshore ». Les États-Unis et l’Allemagne représentent plus de la moitié des personnes démasquées (respectivement 30 000 et 25 000), alors que la France n’en a repéré que 4 700 et le Royaume-Uni 1 350. Cela dit, par rapport aux montants récupérés, on remarque que le fisc français a pêché de bien plus gros poissons : 213 000 euros par dossier en moyenne contre 192 600 au Royaume-Uni pour « à peine » 72 000 en Alle[-]magne et 46 700 aux États-Unis.

Le Forum compte actuellement 105 pays (ou territoires) membres, qui ont conclu entre eux plus de 700 accords d’échanges de renseignements fiscaux depuis avril 2009. Créé en 2000, avec à l’époque 32 adhérents, il a vivoté pendant huit ans, malgré l’importance de la mission qui lui était assignée.

C’est le premier G20 organisé au niveau des chefs d’États et de gouvernements, en novembre 2008 à Washington, qui, en mettant la pression sur les paradis fiscaux au titre de leur rôle présumé dans la crise, lui a donné un nouvel élan en restructurant profondément son fonctionnement. Désormais les membres du Forum se réunissent avant chaque G20 : ce fut le cas au Mexique en septembre 2009 et à Singapour en septembre 2010. Mais, preuve de l’importance accordée à ses travaux, l’année 2011 a été marquée par deux réunions, celle de Paris fin octobre ayant été précédée d’une session aux Bermudes début juin.

Tous les adhérents doivent se soumettre à une inspection réalisée par un « groupe de pairs » de 30 membres. Depuis début 2010, le Forum a passé au crible 59 pays, soit environ la moitié de ses membres, ce qui a donné lieu à autant de rapports présentés au G20 (22 examens supplémentaires sont en cours).

Dans le document remis à Cannes le 3 novembre, on peut lire que « dans l’ensemble, ces rapports font apparaître un niveau élevé de respect des normes et une bonne coopération », le Forum ayant constaté qu’« un grand nombre des quelque 379 recommandations formulées en vue d’améliorer l’échange de renseignements ont déjà été suivies d’effet ». 32 pays sur les 59 ont amendé leurs législations ou leurs règlements pour qu’ils soient conformes aux standards internationaux. Un satisfecit remarqué a été décerné au Luxembourg, à la Belgique, au Lichtenstein, à la Malaisie et aux Philippines pour les « changements majeurs » apportés.

Onze juridictions présentent encore des lacunes préoccupantes. Les examens réalisés en 2011 ont montré que les insuffisances les plus courantes concernent le manque d’informations disponibles relatives à la propriété des fiducies et des actions au porteur, les renseignements comptables incomplets sur certaines formes de fiducies, sociétés anonymes et sociétés de personnes (y compris les entités étrangères) et les pouvoirs restreints accordés aux autorités compétentes pour obtenir les renseignements demandés par leurs homologues étrangères.

Malgré cela, à Paris, l’heure était à la satisfaction. Angel Gurrià s’est réjoui de ce qu’il ne soit « plus possible de dissimuler des avoirs ou des revenus sans être démasqué ». L’ancien ministre et député français François d’Aubert, président du Peer Review Group, dit avoir « constaté des progrès remarquables et une volonté réelle de la part des pays de régler les problèmes constatés par leurs pairs ». Quant à l’australien Mike Rawstron, le président du Forum, il a ajouté : « Nous sommes un club dont les pays veulent être membres », estimant que les sommes récupérées augmenteront d’autant plus que la traque fiscale sera étendue aux entreprises, au titre notamment de leurs transferts internationaux de bénéfices.

Mais des voix discordantes n’ont pas tardé à se faire entendre. Pour Luc Lamprière, de l’ONG Oxfam France, le G20 devrait contraindre les principaux paradis fiscaux à signer la convention multilatérale sur l’échange de renseignements fiscaux pour mettre fin à l’actuelle prolifération d’accords bilatéraux, qu’il juge néfaste. Il condamne ainsi le Royaume-Uni et l’Allemagne pour avoir déjà signé de tels accords avec la Suisse et demande à ces deux pays d’y renoncer avant leur ratification.

Il réclame de s’attaquer aussi à l’évasion pratiquée par les grandes sociétés en luttant contre les structures opaques, telles que les trusts et les sociétés écran. Pour ce faire, l’échange de renseignements fiscaux doit être impérativement automatique, et non à la simple demande, comme dans les 700 accords bilatéraux signés jusqu’ici. C’est d’ailleurs ce que le Premier ministre indien a demandé, en marge du G20.

D’autres critiques pointent la modicité des sommes récupérées. Selon un calcul fait par l’École d’économie de Paris, huit pour cent environ du patrimoine financier des ménages est détenu dans des paradis fiscaux, ce qui représente environ 5 000 milliards d’euros au niveau mondial. Ces sommes, si elles étaient correctement taxées, devraient rapporter plus de 100 milliards chaque année.

Dans ces conditions, note le chercheur Gabriel Zucman, « les 14 milliards de l’OCDE, un total cumulé sur plusieurs années, incluant pénalités et majorations pour les fraudes passées, illustrent l’ampleur de la tâche à accomplir ».

D’autant que, selon la Banque des règlements internationaux, un phénomène de vases communicants semble se produire. Des juridictions coopératives perdent des fonds, alors que d’autres continuent d’en gagner. De 2007 à 2011, Jersey (- 111 milliards), le Luxembourg (- 42), la Suisse (- 24) et l’Ile de Man (- 15) ont vu leurs dépôts diminuer de 192 milliards de dollars. Dans le même temps ils augmentaient de 17 milliards en Belgique, de 51 milliards à Singapour, de 60 milliards aux Iles Caïmans et de 63 milliards à Hong-Kong, soit un total, quasiment identique, de 191 milliards !

Cette situation était à vrai dire prévisible. Les déposants chassés d’un pays par les pressions fiscales et la levée du secret bancaire n’ont de cesse que de trouver un lieu plus accueillant, tant qu’il en reste, et il n’en manque pas, de par le monde.

Pour les chercheurs parisiens, « ce n’est qu’en obligeant les paradis fiscaux à publier régulièrement les chiffres exacts des fortunes qu’ils gèrent que l’on pourra surveiller les progrès et mettre un terme définitif aux fraudes ».

Georges Canto
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