Luxemburgensia

Promenade historique, promenade intime

La promenade au Limpertsberg mène jusqu’au cimetière
Photo: Patrick Galbats
d'Lëtzebuerger Land du 16.03.2018

À la base de ce récit du poète luxembourgeois Tom Nisse est une promenade à travers le centre-ville, de son ancien lycée près du Glacis, jusqu’à la maison – et, enfin, la tombe de sa grand-mère au cimetière du Limpertsberg. Mais, ce que nous offre ce petit recueil d’une cinquantaine de pages est beaucoup plus vaste qu’une simple description poétique du paysage luxembourgeois. Ainsi, cette description n’est qu’un élément d’un récit à différents niveaux, bien qu’un élément important. Ainsi, elle permet au lecteur de (re)découvrir, ensemble avec l’écrivain, des endroits bien familiers, et de créer ainsi une certaine synergie entre lecteur et poète.

En évoquant l’histoire des lieux et des gens qui ont peuplés la ville dans le passé, la promenade de Tom Nisse devient également une promenade historique, une sorte de lieu de mémoire fictif, qui rend hommage au Luxembourg et à ses personnages illustres – notamment les artistes, rêveurs et poètes qui ont marqué l’écrivain et qui sont pour lui une source d’inspiration. Ainsi, Nisse écrit par exemple : « C’est ici au Belair, que se démenaient les artistes qui exigeaient un monde plus raffiné. Où un papillon a succédé au chat. C’est ici que se réunissaient ces gens professant des idées novatrices ; est c’est cela aussi qui m’a aidé à devenir ce que je suis devenu ».

La promenade de Tom Nisse est d’ailleurs une promenade critique. Comparant la ville contemporaine aux souvenirs de sa jeunesse, et en évoquant les chantiers, les grandes surfaces sans charme et caractère et les bureaux, « des bureaux, bureaux. Plus loin des bureaux, des bureaux », le poète souligne la tension créée par le rythme accéléré de notre monde en mutation perpétuelle et de son brouhaha incessant – territoire hostile pour l’homme qui a besoin de rêver, de jouer, de donner libre-cours à son imagination et de se perdre dans ses pensées pour pouvoir s’épanouir.

Mais plus important encore, cette promenade de Tom Nisse est une promenade très intime et personnelle. C’est un voyage proustien dans le passé de l’écrivain, une exploration tantôt nostalgique, tantôt ironique de sa jeunesse, qui lui permet de comparer l’étudiant qu’il était – ce jeune homme curieux avec ses rêves, ses aspirations et aventures (amoureuses et artistiques) – avec l’homme adulte qu’il est devenu.

Et enfin, la promenade de Tom Nisse est une promenade rituelle, qui rend hommage à sa grand-mère qui a tant marqué ce poète qui cherche, à travers sa balade, à dialoguer avec la décédée. Ainsi, le retour physique vers la maison de sa grand-mère devient un moyen de revivre les moments passés en commun. Nisse ne « touche » pas seulement « la chaude pierre du mur qui sépare le jardinet du trottoir » mais ce mur devient, comme la madeleine du Côté de chez Swann, l’élément déclencheur d’une réminiscence qui fait dissoudre momentanément la frontière entre le passé et le présent.

Bien qu’en abordant un tel sujet, le risque soit grand de tomber dans un langage trop pathétique, Tom Nisse prend soin d’éviter ce piège. Ainsi, des descriptions mélancoliques sont souvent juxtaposées à des réalités banales. Ainsi, les pensées nostalgiques de Nisse sont interrompues par son opérateur de téléphone qui lui signale que « Arnold Schwarzenegger est de retour. » Bien qu’amusantes, de telles confrontations donnent au recueil, qui se caractérise par ailleurs par un langage extrêmement poétique, la légèreté nécessaire pour ne pas tomber dans le kitsch.

Ce court recueil de Tom Nisse est un récit assez impressionnant, qui souligne qu’un auteur talentueux n’a pas besoin de remplir une centaine de pages pour créer une œuvre en même temps complexe et belle, triste et ironique, et qui constitue hommage extraordinaire à la grand-mère de l’auteur luxembourgeois résidant à Bruxelles.

Tom Nisse : Une vérification de l’origine ; Hydre éditions, 2017, collection courts ; 64 pages ; ISBN: 978-99959-938-6-3. Voir aussi la visite de Samuel Hamen chez Tom Nisse à Berlin, dans le Land du
24 novembre 2017. Tom Nisse lira le 29 mars à 19h30 au château de Bourglinster.

Charlotte Wirth
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