Festival CinEast

Réalité sociale et fables religieuses

d'Lëtzebuerger Land du 11.10.2019

Depuis l’inauguration de l’expo Down with walls aux Caves voûtées de Neimënster, suivie de la projection en ouverture de My thoughts are silent et du métaphysique documentaire lituanien Animus animalis. CinEast a entamé sa première semaine de festivités.

Au cours d’un week-end en fanfare, marqué par la performance de Shantel & Bucovina Club Orkestar au Melusina, le public de la Grande Région a pu découvrir deux belles fictions sur les écrans de la Cinémathèque : Avjar en présence de sa réalisatrice, la Serbe Ana Maria Rossi, et Mr Jones, de la Polonaise Agnieszka Holland. Deux longs-métrages aux formats différents réalisés par des femmes. À travers le délitement d’un couple de Serbes de passage au pays natal, Ana Maria Rossi scrute le déplacement des affects pour formuler, en dernier lieu, un éloge du courage – le courage de l’exil(é), comme de celui qui est resté auprès de sa famille. Un dilemme qui occupe aussi bien la relation amoureuse de Vida et Bane : faut-il ou non quitter l’être que l’on aime, l’être que l’on a aimé ? Autre façon, donc, de questionner les limites, de circonscrire des espaces, d’outrepasser les frontières. Dans un registre autrement historique, Agnieszka Holland s’est inspirée des Mémoires de guerre du journaliste gallois Gareth Jones (1905-1935). Ses articles publiés dans le Western Mail ou le Times, quoique encore largement méconnus en Europe, ont permis d’alerter l’opinion publique sur la grande famine sévissant en Ukraine et en Union soviétique au début des années 1930.

La semaine suivante fut marquée par la découverte des films en compétition officielle, à commencer par Oleg de Juris Kursietis et Nova Lituania de Karolis Kaupinis. À la façon d’Andreï Roublev de Tarkovski, le premier commence par une envolée grandiose, point de vue divin d’où l’on survole les cimes d’une forêt immaculée. Jusqu’à ce que la caméra pointe lentement vers le sol, découvrant peu à peu un homme échoué dans la neige. « Est-il mort ou se repose-t-il ? », se demanderait peut-être Rimbaud à cet instant. Oleg médite sur le sort de l’agneau immolé, dans la fable que lui contait, enfant, sa grand-mère. La référence biblique amorce ici une réflexion religieuse qui se poursuit par intermittence tout au long de cette fable sociale, jusqu’à l’arrivée d’Oleg à Gand, en Belgique, où il découvre le polyptyque de L’Agneau mystique des frères Van Eyck. C’est toute la trajectoire de ce travailleur clandestin letton continuellement exposé à la violence de malfrats, qui finit par s’apparenter au martyr de l’agneau, préfiguration du sacrifice du Christ sur la croix. Terrible marché des hommes et de l’espoir qu’est, en effet, le travail.

D’une grande austérité formelle, Nova Lituania est une fiction dystopique qui revêt un noir et blanc digne du cinéma classique. Pressentant l’invasion de la Lituanie par le régime nazi et les soviétiques, le professeur Feliksas Gruodis, qui enseigne la géographie à l’université, projette d’exfiltrer la population par-delà les mers, dans une improbable colonie africaine. Proche formellement de ce dernier film, avec lequel il partage une même affinité plastique pour le noir et blanc, Scandinavian Silence, de l’Estonien Martti Helde, est un road-movie qui fait place à l’éloquence muette des visages, des regards, ou aux paysages rencontrés en chemin. Comme s’il y avait nécessité à mettre en crise le monopole de la parole en Occident par le biais d’une contemplation silencieuse et d’un langage proprement physique.

Parmi les autres films en lice pour la compétition officielle, Corpus Christi de Jan Komasa confirme cette année la rémanence des sujets religieux. Dans Oleg déjà, du Letton Juris Kursietis, l’eau disposait d’une fonction lustrale inspirée du culte baptismal. Ce n’est pourtant qu’une demi-surprise de la part de productions impliquant la très catholique Pologne, où s’affrontent régulièrement forces conservatrices et libérales. Hors compétition, on retrouve cette préoccupation déclinée dans le bienommé Clergy, sorte d’avatar de Don Camillo qui lui a valu de signer le plus grand succès commercial du cinéma polonais ces vingt dernières années (13 octobre). Seul son compatriote Nina, également hors-compétition, est parvenu à s’affranchir définitivement des traditions nationales en rallumant la force révolutionnaire du désir (les 11 et 12 octobre).

Parmi les autres séances de cette deuxième semaine du festival, on peut voir le documentaire sur la naissance du skateboard en Tchécoslovaquie dans les années 1970 (King Skate, le 11 octobre), le Marathon du court-métrage proposé le samedi 12 octobre, la comédie Karel, Me and you (15 octobre), ou encore The painted bird, d’après le roman éponyme de Jerzy Kosinski (le 16 octobre). En attendant que soient dévoilés les prochains films en compétition : Open door de Florenc Papas le 12 octobre, Stitches de Miroslav Terzic le 13 octobre, sans oublier Cat in the wall de Mina Mileva et Vesela Kazakova mercredi 16 octobre.

Le festival CinEast dure encore jusqu’au 20 octobre ; informations et programme : cineast.lu.

Loïc Millot
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