Le Grund n’est pas le moins plaisant des quartiers que compte la ville de Luxembourg. Il fut le repère privilégié des artisans jusqu’au milieu du XXe siècle, abritant, aux côtés des édifices religieux, tanneurs, ganteries, teinturiers. Aujourd’hui, un peu de souffle et de temps suffisent aux badauds pour s’y rendre spontanément, dès la première éclaircie. Le long du cours paisible de l’Alzette repose le Musée national d’histoire naturelle, logé depuis 1986 dans un hospice médiéval. Si la structure en bois dont il hérite peut être une contrainte pour des pièces de grandes dimensions, elle lui confère aussi ce cadre intimiste et chaleureux que l’on sait, pour le plus grand plaisir des visiteurs, petits et grands. Chacun peut en effet venir découvrir ces milliers d’objets qui permettent de mieux connaître notre environnement, depuis la terre jusqu’aux étoiles. Si l’environnement nous entoure, il nous constitue aussi bien : le mot « homme », comme l’indique son étymologie latine (homo), ne signifie-t-il pas précisément « terrestre » ? Renouons donc avec ce que nous sommes – des hommes de terre !
En 1920, l’État du Luxembourg acquiert la collection constituée depuis 1850 par la Société des sciences naturelles. Celle-ci comprend à présent plus d’un million de pièces, toutes catégories confondues (fossiles, insectes, animaux empaillés...). Cinq pour cent de ce fonds est exposé au public, partiellement renouvelé chaque année. Le reste est mis en dépôt, conservé et étudié minutieusement par les huit laboratoires intégrés au Centre de recherche scientifique du Naturmusée (Botanique, Écologie, Géologie et minéralogie, Paléontologie, Géophysique et astrophysique, Zoologie des vertébrés, Zoologie des invertébrés, Biologie des populations). La recherche constitue ainsi l’autre facette de cette institution. Les pièces ne sont pas exposées pour leurs seuls attraits esthétique et spectaculaire, mais aussi pour l’intérêt scientifique qu’elles représentent. Cette dimension est inséparable du volet pédagogique pour lequel le Naturmusée fait figure de précurseur, puisqu’il dispose, depuis quarante ans maintenant, d’un service éducatif. Régulièrement, des expositions itinérantes sont ainsi mises à disposition des enseignants et des élèves. Aujourd’hui il n’est d’institution muséale qui ne propose de partenariats aux établissements scolaires. Au total, ce sont 93 salariés qui permettent au Musée d’histoire naturelle de remplir ces missions scientifique et pédagogique en direction des publics. Pour cela, le ministère de la Culture lui assure une dotation annuelle de 1,75 million d’euros.
Après deux années d’interruption, les portes du musée s’apprêtent à rouvrir. L’heureux événement – la présentation de la collection permanente – est prévu pour le lundi 26 juin 2017. Les derniers travaux qui s’y déroulent rythment la vie du quartier. Dans le tourbillon des va-et-vient et des derniers préparatifs, un hibou grand-duc, ailes déployées, patiente en vitrine dans le hall d’accueil. Car le musée a fait « peau neuve » : 1, 92 million d’euros ont été investis pour la nouvelle scénographie et 3,7 millions pour la mise en conformité et le réaménagement du bâtiment. Il a fallu pour cela procéder à la modernisation technique de ses équipements – réseau informatique, climatisation, mise aux normes de sécurité – ainsi qu’au déménagement de ses collections, on ne peut plus délicat, compte tenu de la fragilité, du poids et du nombre d’objets à déplacer.
Surtout, le public se trouve à présent au cœur de la nouvelle scénographie signée par l’Atelier für Gestaltung – Wieland Schmid. Pour le bonheur des yeux, les couleurs envahissent les cimaises du musée. Conçues par Jochen Sturhman, également illustrateur pour le magazine Geo, des reproductions de haute qualité accompagnent le spectateur tout au long de son parcours. On appréciera également les outils multimédias mis au service du public dans le but de favoriser une approche ludique et interactive des connaissances scientifiques. Aussi, chacune des salles d’exposition possède sa propre thématique, avec un code couleur qui lui correspond. Un effort important de médiation a été produit en vue de rendre intelligible le travail de l’équipe scientifique et de faciliter l’identification des thématiques et des objets à l’aide d’une signalisation appropriée. Ce principe guide la mise en espace et l’aménagement des salles de la collection permanente, dont le parcours s’étend sur dix salles, du rez-de-chaussée au premier étage. Le second étage, sous les combles, est quant à lui réservé aux expositions temporaires. Nous y reviendrons.
Une fois passé l’accueil, un ensemble de pièces disparates – diamant et graphite, météorite et minette luxembourgeoise, bison d’Amérique et émeu australien, dik-diks et autruches africains – nous introduit à la biodiversité. Des couleurs chaudes nous conduisent ensuite à la formation de la terre. Au centre de la salle s’élève un globe terrestre assorti d’un mur vidéo. On suit ensuite le processus évolutif conduisant à la formation des minéraux et des fonds marins. Par parois interposées s’affrontent volcans et océans, le magma et les eaux. Dans cette danse de la vie, tout est en mouvement : les continents dérivent et, à l’origine des séismes, la tectonique des plaques.
En conformité avec sa thématique (« Qu’est-ce que la vie ? »), une petite chambre bleue est ponctuée de molécules ADN. De petites cellules reliées entre elles abritent des algues, des étoiles de mer et des fossiles marins, avant d’interroger la constitution des êtres humains. Cette chambrée assure la transition avec la salle suivante, qui traite de la paléontologie et de la stratification géologique du Luxembourg. Les fossiles que l’on y a exhumé y sont déchiffrés : que nous disent-ils et peuvent-ils nous apprendre sur l’histoire de notre environnement ? Telles sont les questions que soulève et auxquelles répond la nouvelle muséographie. Non loin de là, on distingue l’imposant squelette d’un ichtyosaure en parfait état. Avec son museau pointu, ses dents et ses puissantes nageoires, ce reptile marin, qui vécut il y a plus de 250 millions d’années et dont l’existence est antérieure à l’apparition des dinosaures, peut être considéré comme l’ancêtre du dauphin.
Une autre salle se propose de retracer l’histoire de la vie. Les changements climatiques y sont abordés, de même que l’émergence des plantes et des premiers vertébrés, de la formation du gaz et des conifères à l’ère du carbone, sans oublier l’apparition des dinosaures – dont l’archéoptéryx, arborant tout à la fois plumes et dents acérées – jusqu’à leur extinction de masse à la fin de l’âge du Crétacé, il y a 65 millions d’années.
À l’étage supérieur sont présentés la flore et la faune du Luxembourg – cigognes noires, castors, truites fario... Si le pays est composé à 34 pour cent de forêt, la biodiversité est plus importante en ville que dans les villages. Un hommage est rendu ensuite à Charles Darwin (1809-1882), auteur de l’ouvrage De l’origine des espèces (1859), et au naturaliste et explorateur Alfred Russel Wallace (1823-1913), auxquels on doit les théories de l’évolution par sélection naturelle. Avant d’être acceptées et reconnues pour leur valeur scientifique, ces conceptions passaient autrefois pour hérétiques. Dieu seul détenait alors le monopole de la création.
À travers la gradation de couleurs chaudes et froides déclinant l’ensemble des climats, du désertique au polaire, la scénographie rend compte avec beaucoup de pédagogie de l’adaptation des espèces en fonction de leurs milieux respectifs. À chaque extrémité de la salle, on découvrira tantôt un fourmilier ou un ours polaire, tantôt un fennec ou un harfang des neiges... Les amateurs de préhistoire seront émerveillés devant la reconstitution d’un mammouth, ou encore face au plus ancien squelette humain découvert à ce jour au Luxembourg. Les plus belles pièces de la collection permanente sont dévoilées dans l’avant-dernière salle, dans une présentation qui renoue avec l’époque et l’esprit des cabinets de curiosité. À travers les cerfs, les lions et autres variétés de vautours est célébrée la biodiversité locale et mondiale. Il ne reste plus qu’à pénétrer les arcanes du ciel en entrant dans la dernière salle, où sont étudiés à l’aide de cartes interactives le système solaire, les météorites, les roches lunaires, depuis le bing-bang il y a 13,7 milliards d’années à la formation de l’univers. Là encore, pour parvenir à un tel degré de connaissance, il aura fallu aux scientifiques franchir les interdits que lui assignait autrefois l’Église. Si cette conquête put se réaliser, ce fut le plus souvent au prix du sang – la mise au bucher de Giordano Bruno (1548-1600) par exemple – ou sous l’effet d’une censure inquisitrice – le système héliocentriste défendu par Galilée (1564-1642) confiné au silence...
En attendant la présentation de la collection permanente, on patientera avec l’exposition temporaire consacrée aux félins, Alles fir d’Kaz, dont l’ouverture aux publics est programmée pour le vendredi 19 mai 2017. Sous le commissariat d’Edmée Engel et de Jean-Michel Guinet, l’itinéraire débute avec la domestication et la vénération des chats dans l’Égypte ancienne. On aborde la fonction sociale que l’animal revêt auprès des navigateurs pour éradiquer la prolifération des rats, ainsi que la persécution superstitieuse dont il était l’objet au Moyen-Âge. L’exposition traite également du dressage et du langage des chats, de leurs griffes et de leur système d’équilibre, sans oublier les espèces sauvages et celles qui sont aujourd’hui menacées à travers le monde. On apprend par exemple qu’entre 1960 et 1980 plus de 200 000 créatures ont été abattues pour leur pelage, utilisé par l’industrie pour toutes sortes d’ornements vestimentaires... L’exposition s’élargit en passant en revue les différents représentants de l’aristocratie des félins – lynx, tigre et léopard... Pour un instant de répit, le jardin du musée est mis à disposition du public. Là, il pourra admirer une faune s’animant sur et sous les eaux de l’Alzette.