Projet de loi en matière des drogues

Abracadabra

d'Lëtzebuerger Land du 01.03.2001

Lorsque les pages consacrées aux lettres à l'éditeur du Luxemburger Wort, baromètre du « bon sens » luxembourgeois, croulent sous le nombre de lettres passionnées consacrées, lorsque même l'éditorialiste du samedi en appelle à « la raison », on sait qu'il est quasi impossible de discuter encore rationnellement du sujet. La politique en matière de drogues et de toxicomanies est de ces thèmes, l'annonce du vote prochain à la Chambre des députés de la réforme de la loi de 1973 et la proposition de la députée verte Renée Wagener de dépénaliser la consommation de cannabis ont déchaîné une déferlante de prises de position émotionnelles, se servant, pour légitimer leurs propos, dans la grande caisse des chiffres et statistiques pour prouver tout et n'importe quoi. Pourtant, ce sont les street workers, les assistants sociaux et autres psychologues qui travaillent au quotidien dans le milieu qui plaideront sans ambages pour une politique pragmatique et plus humaine, c'est-à-dire plus appropriée à la situation réelle. 

Dans son rapport sur les discussions entamées en 1996, qui sera soumis pour accord à la commission le 6 mars, le député PCS Jean-Marie Halsdorf se vante du « tournant sur le plan législatif » et de la « nouvelle politique en la matière » et pourtant, ce qu'on en retient, ce sont les modifications et amendements renforçant les mesures répressives par rapport à la première mouture soumise par les ministres Johny Lahure (POSL) et Marc Fischbach (PCS) en août 1997. Ainsi, les compétences des l'administration des douanes sont élargies en matière d'enquêtes sur le trafic de drogues ; leur service renforcé à dix personnes. 

Comme pour prouver le bien-fondé de cette mesure, la direction des douanes et accises communique le 16 février une « forte augmentation des saisies de drogues au Luxembourg » : plus de dix kilos de cocaïne, plus de seize kilos de marihuana, mais seulement 31,5 pilules d'ecstasy, ce qui ne correspond en rien à la réalité1. Ces chiffres ne reflètent pas la consommation de drogues mais uniquement l'activité des douanes. Qui, soit dit en passant, ont aussi saisi 25 armes défendues, ce qui n'est pas plus rassurant.

Si le rapporteur parlementaire insiste sur l'importance de la politique des quatre piliers - prévention, thérapie, prévention des risques et répression - on n'y trouve par exemple pas un ligne de plaidoyer pour augmenter le budget ou l'effectif du Centre de prévention des toxicomanies (CePT) qui, pourtant, fait un travail remarquable. Aussi,  se vante-t-on désormais de ne plus stigmatiser le consommateur de drogues dans le vocabulaire officiel comme un criminel mais de le désigner comme un malade, ce qui n'est pas tellement mieux, comme cela équivaut à le priver de toute responsabilité de ses gestes - dans cet ordre d'idées, un juge pourra désormais forcer un toxicomane de suivre une thérapie. 

Une feuille de cannabis à la une du très sérieux Monde le 15 février, quelques jours plus tard, suivi quelues jours plus tard par Libération : en France des discussions semblables à celles que connaît le Luxembourg viennent de refaire surface : la consommation de cannabis se banalise, surtout les jeunes le vivent de manière très décomplexée, toutes les études le prouvent. Et pourtant, le gouvernement ne veut pas repenser sa politique, car « l'opinion n'est pas prête » (Bernard Kouchner) à une dépénalisation. La France pourtant a un gouvernement de gauche, socialistes, communistes et verts, les mêmes qui plaident au Luxembourg pour une dépénalisation de l'usage du cannabis. Et cela, forts des novations en la matière dans d'autres pays voisins ou partenaires du Luxembourg : les Pays-Bas, la Belgique, certains Länder allemands ; même la Suisse s'apprête à voter une loi sur la dépénalisation de la consommation de drogues douces. 

Si pour les uns - notamment les Verts - il s'agit beaucoup d'un plaidoyer hédoniste, une telle dépénalisation serait surtout un signal politique fort, avouant l'échec de la prohibition et l'absurdité de l'appel à l'abstinence. Or, l'accord de coalition PCS/PDL retient en toutes lettres que « la politique à mener en la matière ne pourra conduire à une dépénalisation des drogues » mais que « au cas où la politique européenne irait vers une certaine libéralisation, le Luxembourg ne s'y opposerait pas ». Après une ouverture marquée par les amendements Err lors de la dernière législature, la majorité parlementaire actuelle est uniquement prête à une petite concession : celle d'introduire une différenciation expresse entre drogues dures et drogues douces et d'y adjoindre une gradation des peines. La consommation de cannabis n'est dès lors plus frappée « que » d'une amende allant de 10 001 à 100 000 francs, donc plus de peines de prison, sauf si la consommation se fait en présence de mineurs. 

« Si c'était pour moi, lança provocativement le conseiller de gouvernement libéral au ministère de la Santé, Claude A. Hemmer, lors d'une table-ronde organisée par le Verts fin janvier, toutes les drogues se vendraient au supermarché au prix du sucre ! » Succès dans la salle, mais bien sûr, « je ne suis pas décideur politique » rétorqua le « vrai libéral » comme il se définit lui-même. Même si la discussion de cette soirée à Den Atelier fut un peu trop unilatérale, le public étant de toute façon quasi entièrement pour une dépénalisation des drogues douces, elle prouva néanmoins à quel point les jeunes sont conscients de ce qu'ils font et informés sur toute l'envergure et tous les aspects de la drogue : trafic, effets, production, dangers... Où il fut prouvé une fois de plus que la réalité dépasse, et de loin, les discussions en vase clos de la commission spéciale stupéfiants. 

Il en va de même des drogues dures. Aucune allusion n'est faite, dans le rapport de Jean-Marie Halsdorf (qui pourtant est pharmacien de profession), de la consommation massive de drogues synthétiques, du problème du recours décomplexé à toutes sortes de médicaments, de la généralisation des polytoxicomanies... Autant de problèmes qui rendraient une position bien plus courageuse éminemment urgente. Par contre, les discussions de la commission furent visiblement surtout axées sur l'arsenal répressif ; une des perversions de la loi étant les mesures qui encouragent la délation par une réduction des peines pour ceux qui s'y adonnent. 

Les instances publiques ont par ailleurs beaucoup réfléchi sur les possibilités de limiter les abus de la petite ouverture qui est faite par la loi dans différents domaines. Ainsi, les médecins prescripteurs ou les pharmaciens participant au programme de substitution à la méthadone seront contrôlés davantage. Ceci dit, les projets-pilotes comme le programme méthadone et de la distribution de seringues auront enfin une base légale, enfin les médecins et associations d'aide ne travaillent plus dans l'illégalité.

Pour ce qui est de la réduction des risques, le projet de réforme retient les deux nouveaux projets-pilotes qui y furent introduits par Johna Lahure en 1997, à savoir l'installation de « piqueries » (Fixerstuben), ainsi que la distribution d'héroïne sous contrôle médical, tous les deux à titre expérimental.

Pourtant, on meurt encore, et beaucoup des suite de la consommation de drogues au Luxembourg : 18 morts par overdose en 1998. La politique du tout répressif, la criminalisation des consommateurs - y compris des jeunes et moins jeunes fumeurs de cannabis - les pousse encore au ban de la société, fait que trop souvent, ils tombent à travers tous les maillons du système social dont le Luxembourg est pourtant si fier. Perte du travail, perte du logement, recours à toutes sortes d'activités plus ou moins illégales pour subvenir à ses besoins, voilà la spirale vers le bas lancée. 

Le ministre de la Santé Carlo Wagner (PDL) retient dans son programme pluriannuel (voir d'Land 33/00) entre autres des structures d'accueil à moyen terme pour loger les toxicomanes en difficulté, qui se retrouvent à la rue, à la sortie de prison par exemple. Dans ce sens, Jugend- an Dogenhellef vient de lancer un projet d'aide intitulé Les niches2, favorisant la réintégration des personnes ayant eu des problèmes de toxicomanie en leur aidant à trouver un logement. Ce sont de telles initiatives, aidant le toxicomane à retrouver une vie proche de la normale, lui rendant sa dignité humaine, qui constituent les petites révolutions sur le terrain. Mais peut-être qu'il faudra encore attendre 25 ans avant que le monde politique ne se rende compte que la loi votée en 2001 fut déjà inadaptée lors de son vote.

1 Voir notre article sur les drogues synthétiques dans le Land 39/00

josée hansen
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