Les consommateurs de cannabis ignorent s'ils sont dans l'illégalité ou non

Mon joint m'appartient

d'Lëtzebuerger Land du 01.06.2000

Plus personne ne sait vraiment si la consommation et la détention de petites quantités de cannabis sont défendues ou si la loi luxembourgeoises les permet. Selon l'étude sur le cannabis au Luxembourg que vient de présenter le Centre de prévention des toxicomanies (CePT), 39 pour cent des jeunes adultes (18 ans) estiment que la consommation de cannabis est légale ou ignorent ce qu'il en est. Parmi les personnes plus âgées, cette conviction augmente encore. Une incertitude tout à fait compréhensible, puisque le législateur lui-même ne sait pas vraiment où il va, si la "loi modifiant la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie " va être plus restrictive ou plus laxiste. 

Depuis le dépôt du projet de loi en août 1997 par Marc Fischbach (Justice, PCS) et Johny Lahure (Santé, POSL), les amendements sont allés à hue et à dia. Lydie Err (POSL) ayant proposé une légalisation de la seule consommation en 1998, la nouvelle coalition de centre-droite a fait machine arrière toutes et propose que la consommation et la détention de drogues dites douces (à définir par règlement grand-ducal) restent passibles d'amendes allant de 10 000 à 100 000 francs. Mais de toute façon, la commission spéciale "stupéfiants" n'a pas l'air d'être très pressée, ses réunions se suivent à un rythme mensuel et les députés en sont à nouveau à l'examen du projet de loi, comme s'ils le découvraient.

Mardi, aucun des membres de la commission spéciale n'avait toutefois le temps ou la possibilité d'assister au " congrès cannabis " organisé par le CePT à Eisenborn (il est vrai qu'aucun jeton de présence n'y était versé). Un congrès organisé pour tous ceux qui côtoient des fumeurs de joint ou ceux qui s'intéressent à une information sobre et fondée sur la substance. Ces travailleurs sociaux, enseignants, parents etc. deviennent alors des multiplicateurs pour le CePT, qui prêche une approche démystifiée et neutre par rapport à toutes les drogues. Bien que la prévention primaire soit la mission principale du Centre de prévention, institution étatique, il s'est aussi donné comme mission de faire des études poussées sur différentes substances afin de disposer d'un état des lieux et donc des informations nécessaires à un meilleur ciblage de la stratégie de prévention. 

Si l'étude cofinancée par la Fonds de lutte contre le trafic de stupéfiants et évaluée par Uwe Fischer et Claudia Jung à l'Université de Coblence-Landau, centre de recherche pédagogique empirique, se perd souvent dans des pistes d'évaluation trop détaillées et si les échantillons ne sont pas toujours tout à fait représentatifs et les méthodes de recueil des données très différentes, elle a le grand mérite de ne pas parler la langue de bois et d'énoncer sans complexes les thèses démystificatrices de la jeune recherche sur l'herbe et le shit. 

Elle dit que non, il n'y a pas de preuve que les fumeurs de cannabis sont forcément de futurs héroïnomanes, parce que, comme le formule la directrice du CePT, Marie-Thérèse Michaelis, de toute façon, les premières drogues (Einstiegsdroge) des jeunes sont presque toujours l'alcool et le tabac - légaux : 94 pour cent des consommateurs de cannabis sont fumeurs de tabac. Non, les deux "scènes" ou marchés, de drogues dures et de drogues dites douces, ne se côtoient plus, les premières se vendant à Luxembourg-gare, les autres plutôt aux alentours du Centre Hamilius (source : police). En plus, soit les consommateurs ignorent qu'ils sont dans l'illégalité, soit ils n'y attachent aucune attention, mais en tout cas, cet interdit n'influence nullement ni leurs habitudes de consommation, ni la disponibilité de la substance sur le marché. 

Les consommateurs de cannabis eux-mêmes ne voient souvent aucun problème dans leur "droit à l'ivresse" et estiment que les risques de dommages sont comparables à ceux des drogues dites légales. Selon les professionnels du travail social et d'encadrement psychosocial des toxicomanes, la consommation de cannabis est en train de se banaliser et les consommateurs eux-mêmes n'y voient plus aucun problème. D'ailleurs, selon le rapport annuel de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) à Lisbonne, plus de 40 millions d'Européens auraient déjà consommé du cannabis et " l'on constate dans de nombreux États membres une tendance à considérer l'usage de cannabis comme normal ou banal plutôt que déviant ". 

Il est vrai aussi que les effets réels du cannabis selon les doses, la fréquence et la durée de consommation sont toujours difficilement évaluables, comme la plupart du temps les réels dégâts sont constatés auprès des poly-toxicomanes, où il s'avère quasi impossible d'isoler les effets du seul cannabis. 

Des chiffres ? Actuellement, 3,2 pour cent des jeunes entre douze et seize ans (UE : un sur cinq des quinze-seize ans), 5,8 pour cent des 17-25 ans et 3,9 pour cent des 26-40 ans fument régulièrement leur petit joint. Qui n'engendre pas forcément une dépendance, sinon psychique. Ceux qui avouent avoir essayé une fois dans leur vie sont bien plus nombreux, le chiffre varie entre 7,2 (12-16 ans) et 16,4 pour cent (26-40 ans). Parmi les élèves entre treize et 18 ans questionnés dans le cadre de l'étude, ces chiffres sont bien plus élevés : entre cinq et treize pour cent avouent une consommation régulière ; entre 15 et 43 pour cent ont déjà essayé. Par curiosité la plupart du temps. Les données de l'étude sont toutefois toujours à analyser avec circonspection, comme elles se basent sur des déclarations personnelles des questionnés, donc sur leur appréciation avec tous les biais qu'une telle méthode présuppose.

Parmi les élèves consommateurs de cannabis, il est toutefois flagrant que 31 pour cent disent consommer en journée (contre 52 pour cent en soirée et 57 pour cent les week-ends) et qu'ils sont aussi nombreux à fumer à l'école (19,7 pour cent) qu'en discothèque ou durant un concert (plus de soixante pour cent par contre fument dans la nature ou dans des soirées privées). Bien sûr que le débarquement d'une brigade canine dans une école lorsqu'un directeur suspecte une consommation de drogues a des effets néfastes, estime Marie-Thérèse Michaelis, mais qu'en tant que responsable, la loi actuelle ne lui laisserait aucun autre choix. 

Tous les acteurs de terrain, y compris la police, affirment de plus en plus fort que la loi toujours en vigueur ne correspond plus du tout à la réalité " sur le terrain " d'une drogue qui s'est fortement répandue depuis les années 1960/1970. Marie-Thérèse Michaelis, lucide, plaide sans relâche pour une autre discussion sur toutes les habitudes de consommation de drogues. Elle ne fait aucune différence entre drogues légales et illégales et s'offusque avec virulence contre la banalisation de l'usage de médicaments, notamment de calmants, surtout dans les familles et parmi les jeunes. Elle plaide de même pour une meilleure protection des jeunes, comme le cannabis aurait un effet néfaste sur le développement psychique des adolescents.

De plus en plus de consommateurs de cannabis adultes voient dans leur joint quotidien le pendant au verre de vin ou au litre de bière de leur entourage. Au Luxembourg, ils sont discrets, ne se font pas remarquer, et ont souvent l'argent nécessaire pour leurs quelques grammes de shit de la semaine (mille francs les six grammes de haschich ou jusqu'à huit grammes de marihuana). Ce qui change des fêtards bourrés à la sortie des bars et des fêtes du vin. 

josée hansen
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