La voie de la sérénité

d'Lëtzebuerger Land du 09.08.2024

On dévie le coup de poing avec le tranchant de la main avant de frapper : c’est le « Pak Sao », l’un des mouvements de base du Wing Chun, un art martial chinois enseigné au sein de l’asbl Défends-toi, à Schifflange. Jean, l’un des entraîneurs, m’initie à ce geste avec beaucoup de patience malgré mon manque évident de coordination. Dans ses vies précédentes, Jean a travaillé dans la santé, l’informatique ou le domaine du bois. « Faire toujours le même mouvement pour l’affiner de plus en plus, c’est un principe valable en menuiserie comme en Wing Chun », compare le quadragénaire. Une métaphore qui fait songer au film Karaté Kid, où Maître Miyagi impose le nettoyage de vitres au jeune Daniel pour améliorer ses parades. Mais ici on n’est pas au cinéma, même si Bruce Lee fut le plus célèbre ambassadeur de cet art martial prisé par les amateurs de self-defense. « On peut frapper avec les coudes, avec les genoux... Si on peut atteindre les yeux plutôt que le torse, on le fait. L’essentiel est de neutraliser l’assaillant du mieux possible », explique David Chenut, le Sifu (« père-enseignant ») de l’association. Il est donc nécessaire de bien cerner chaque nouvel arrivant et ses motivations avant de lui transmettre ce savoir. Ceux qui se révèlent agressifs, aiment faire étalage de leur force ou recherchent la performance sont éconduits.

Parmi la douzaine d’élèves présents ce soir-là au premier étage d’un bâtiment discret de Schifflange, beaucoup de calme, de retenue dans les coups, et aussi quelques rires. Les profils comme les gabarits sont variés : un grand gaillard de niveau ceinture noire ou un septuagénaire rompu au karaté côtoient quelques femmes catégorie poids plume. Dans cette « famille », on s’entraide et on apprend les uns des autres. Jessica, enseignante, souligne « la bienveillance » de ce milieu très masculin qui a su la mettre en confiance et lui enlever « la crainte de la confrontation physique ». Myriam, qui travaille dans les ressources humaines, explique que le Wing Chun l’a aidée à désamorcer des situations de grande tension dans son métier. « Ici, on apprend aussi à conserver son calme dans les moments de conflits », indique-t-elle. « Reconnaître les situations délicates et les enrayer fait partie de l’enseignement », confirme Olivier, magasinier. Géraldine, quant à elle, confie qu’elle ne panique plus à l’idée d’une agression : « Je sais que je peux gérer ».

David fait une démonstration d’un jeu de rôle qu’il effectue avec ses élèves : simuler un comportement menaçant, lancer des provocations pour mieux les mettre en condition, et apprendre à identifier le langage corporel pouvant précéder une attaque. « L’auto-défense c’est aussi cela. J’apprends également à faire baisser la tension, à ne pas rester paralysé face au danger et à choisir la fuite quand c’est possible... », précise-t-il. Lui apprend toujours, vingt ans après ses débuts, à la suite de la pratique d’un karaté « à l’européenne » dont les principes ne lui convenaient pas. « Trop de dureté, de performance, pas assez de pédagogie », résume le Sifu, qui souhaite inculquer, au-delà des mouvements, « une compréhension » de ce qu’est le Wing Chun. Il s’apprête à emmener ses élèves à Madère pour rencontrer un maître qui leur fera la lecture de « la Note secrète », un texte fondateur du Wing Chun, un art qui a connu de multiples transformations au fil des siècles. « Il est important de savoir d’où l’on vient pour savoir qui on est, formule-t-il. Étudier le Wing Chun, c’est comme une enquête qui ne finit jamais ». C’est même « une voie » selon Jean : « on appréhende le problème de loin, puis on se rapproche : C’est pareil dans la vie, où il faut savoir gérer les problèmes avec méthode et sérénité ».

Cultiver son esprit et son énergie vitale intérieure, son « chi » comme le nomme la tradition chinoise, fait partie de l’enseignement dispensé par l’association Défends-toi. « Aujourd’hui, les gens veulent une solution immédiate pour tout, juge David Chenut. Mais je ne peux pas apprendre aux gens à se défendre ou à devenir courageux en quelques heures. Acquérir une maîtrise de soi pour maîtriser son environnement prend du temps ». Après un salut final et quelques « checks » moins formels, les élèves quittent le dojo, direction le monde extérieur... Gare à ceux qui viendraient leur chercher des crosses.

Benjamin Bottemer
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