Jean-Claude Hollerich se prononce pour plus de bienveillance envers les homosexuels au sein de l’Église. Le cardinal luxembourgeois, homme sur lequel s’appuie le pape pour construire le catholicisme de demain, attire la lumière médiatique. Portrait non autorisé

Missionnaire 2.0

Jean-Claude Hollerich en 2019
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 11.02.2022

Le McKinsey des cathos « Der Anfang vom Ende » titre die Welt vendredi dernier. Avec la Frankfurter Allgemeine Zeitung la veille, la presse allemande identifie Jean-Claude Hollerich comme l’homme porteur d’un changement fondamental, d’une lutte contre la « klerikokratie ». Le cardinal luxembourgeois a fermement critiqué son homologue de Cologne Rainer Woelki pour sa (mauvaise) gestion des abus sexuels commis au sein de l’Église : « Ich würde zurücktreten », a déclaré le natif de Differdange dans une interview à la très influente Katholische Nachrichten-Agentur (KNA) pour dire ce qu’il ferait à la place de son collègue déjà mis en congé par le Vatican pour avoir caché le rapport sur les abus sexuels dans son diocèse. Les éditorialistes spécialistes de l’Église catholique allemande extrapolent : « le cardinal d’Europe occidentale le plus consulté par le pape François » qui rappelle à l’ordre l’un de ses pairs pour mettre fin aux pratiques opaques d’un autre temps et que soit respectée l’autorité d’un Saint-Siège qui prend en compte les aspirations de la société, c’est peut-être la fin d’un cléricalisme arbitraire et l’émergence d’un nouveau monde. Jean-Claude Hollerich en serait le messager, voire la cheville ouvrière. Le Luxembourgeois, 64 ans, occupe depuis juillet dernier la fonction de rapporteur général du « synode sur la synodalité », une expression éminemment jargonneuse et impénétrable qui recouvre en fait une consultation de bas en haut, des paroisses jusqu’à l’autorité centrale au Vatican, pour adapter la doctrine de l’Église. Elle a débuté en octobre dernier et elle aboutira à Rome en 2023 par une réunion des plus hautes autorités religieuses, lesquelles statueront sur les principaux enseignements synthétisés par Jean-Claude Hollerich. D’aucuns considèrent l’initiative comme l’évènement le plus important depuis le concile Vatican II qui, entre 1962 et 1965, avait tourné l’Église vers la culture contemporaine (l’abandon des prêches en latin le dos tourné aux croyants en a été une manifestation notable).

Dans une dépêche de Reuters reprenant les idées forces de l’entretien accordé à KNA par le cardinal luxembourgeois, celui-ci est présenté comme « liberal ». Jean-Claude Hollerich réagit à l’outing de 125 employés de l’Église allemande, dont des prêtres, pour dénoncer la pression qu’ils subissent dans une culture religieuse qui tolère mal (ou envoie des messages contradictoires à leur égard) les non hétérosexuels ou ceux qui n’acceptent pas le genre assigné à la naissance. Jean-Claude Hollerich répond cash : « Was man früher verurteilte, war Sodomie. Man dachte damals, in den Spermien des Mannes ist das ganze Kind erhalten. Und das hat man einfach auf homosexuelle Männer übertragen. Es gibt aber gar keine Homosexualität im Neuen Testament. Da ist nur von homosexuellen Handlungen die Rede, was teilweise heidnische Kulthandlungen waren. Das war natürlich verboten. Ich glaube, hier wird es Zeit, dass wir eine Grundrevision der Lehre machen. »

Überboomer Le cardinal luxembourgeois explique appliquer ce basculement doctrinal dans sa gestion de l’Église au Luxembourg « où personne n’est renvoyé parce qu’il est homosexuel ». Il y connaitrait des homos ou verrait que certains le sont et ne s’imagine pas les priver d’emploi et ruiner leur vie pour cette raison. Selon le correspondant du New York Times à Rome, Jean-Claude Hollerich porte en sa qualité de missionnaire l’« esprit du pape », davantage d’ouverture envers les migrants, les Musulmans ou les gays, des messages chers à la jeunesse, sans laquelle l’Église ne connaîtra pas de lendemain. Le pasteur s’aventure dans des médias à la clientèle bien différente de l’environnement dans lequel il évolue d’habitude, la communauté des intellectuels jésuites sur-instruits. En 2019, alors qu’il s’apprête à devenir cardinal, il accorde un entretien à L’Essentiel. Il se présente et s’expose : Après avoir grandi à Vianden, « j’ai décroché mon premier job vis-à-vis du télésiège. J’ai fait des frites pour acheter un tourne-disques. » Invité à communiquer une playlist, Jean-Claude Hollerich propose Rivers of Babylon de Boney M, sorti en 1978. « C’était le hit quand j’ai passé mon examen de fin de lycée et en fait, c’est un psaume. Le texte est biblique. Prendre une prière et le mettre avec une musique moderne, j’ai trouvé ça génial. » Il poursuit sa mise à nu. « Quand j’étais jeune garçon, je dois vous avouer que j’étais tombé amoureux de France Gall et j’avais son poster en tennis-look dans ma chambre. »

Derrière ces tentatives de déringardisation, se cache un érudit de haut vol. Après ses études secondaires au lycée classique de Diekirch, Jean-Claude Hollerich étudie la philosophie et la théologie à l’université pontificale grégorienne à Rome. Il entre en 1981 dans l’ordre Jésuite et entame son noviciat à Namur. Après son apprentissage pastoral au Luxembourg entre 1983 et 1985, il s’envole pour le Japon où il étudie la langue et la culture nationales. De 1987, il suit un nouvel enseignement en théologie à l’Université Sophia à Tokyo puis revient en Europe et plus précisément en Allemagne en 1989, année de la chute du Mur (et symboliquement le lieu et l’époque de la fin des idéologies selon certains) à la Hochschule Sankt Georgen spécialisée dans la formation des prêtres. Il accède à l’ordination à Bruxelles en 1990. Il signe pour quatre années supplémentaires de licence en langue et littérature allemandes à Münich. En 1994, il repart au Japon où, parallèlement à ses recherches de doctorant au Zentrum fur Europäische Integrationsforschung de Bonn, il enseigne le français et l’allemand à l’Université Sophia. Il grimpe les échelons de cette université jésuite (cofondée en 1913 par un Allemand naturalisé Luxembourgeois, Joseph Dahlmann) pour devenir professeur en 2006 puis vice-recteur de cette institution de renommée mondiale qui compte alors 14 000 étudiants et des antennes sur plusieurs continents, dans lesquelles il  se rend régulièrement. Jean-Claude Hollerich est concomitamment curé de la paroisse de Tokyo et aumônier des étudiants de l’université. Dans une conférence à l’Institut Grand-Ducal en 2013, Jean-Claude
Hollerich expliquera sa proximité avec ses étudiants, sa « chance de vivre beaucoup d’amitié avec les étudiants et d’avoir pu partager les joies et les soucis des étudiants ». « Ce n’est pas rare qu’un professeur sentant qu’un de ses étudiants a des problèmes, l’invite à aller boire une bière le soir pour parler. Donc il y a une relation beaucoup plus étroite entre enseignant et étudiant qu’ici en Europe », partagera-t-il devant la section des sciences morales et politiques.

JC an zéro Le révérend Hollerich est nommé archevêque de Luxembourg en 2011 par le pape Benoît XVI après 23 années passées au Japon. Le Wort, alors détenu par l’archevêché (qu’on ne peut pas soupçonner de zèle dans la critique en la matière), avoue l’étonnement suscité à la nomination « d’un prêtre jésuite relativement peu connu » à la tête de l’Église luxembourgeoise, en remplacement de Fernand Franck. Ses seules apparitions dans la presse luxembourgeoise jusque-là se limitaient aux échanges entre le Grand-Duché et le pays du soleil levant. « Henri chez les Jésuites du Japon », titre du Quotidien le 3 septembre 2003 en marge d’une visite d’État, est l’un des premiers articles de la revue de presse du gouvernement faisant état de Jean-Claude Hollerich. Sur la photo, il montre une statue de vierge au Grand-Duc et à Lydie Polfer (alors ministre des Affaires étrangères). En 2011, le Jeudi s’interroge sur les raisons de la nomination du père révérend jésuite à la tête de l’Église luxembourgeoise, notamment quant à ses liens politiques alors que s’ouvre le débat sur la séparation de l’Église et de l’État. L’éditorialiste de l’hebdo disparu souligne ainsi les liens entre Jean-Claude Juncker et Jean-Claude Hollerich, le premier ayant été sacré docteur honoris causa à l’université Sophia de Tokyo où le second enseignait. « Im Lande der zwei Jean-Claudes », titre la Woxx.

Le monde digital que maîtrise et côtoie Jean-Claude Hollerich informe sur la nature de ses réseaux. Le cardinal alimente des profils sur Facebook (2 219 abonnés), sur Instagram (2 164), sur Twitter (1 614) et même sur TikTok (249). Parmi ses abonnements sur Twitter, on relève des diplomates, des organes du culte, quelques personnalités des institutions européennes. Le biais catho est fort dans le suivi médiatique local : le Wort et deux ou trois de ses journalistes (plus L’Essentiel auf Deutsch). Idem pour la politique grand-ducale : le CSV est le seul parti suivi. Jean-Claude Hollerich est abonné aux comptes de Marc Spautz et Claude Wiseler. Figurent également dans la liste Pierre Gramegna (DP), qu’il a côtoyé pendant six ans quand ce dernier était ambassadeur à Tokyo. Pour le Jeudi, l’ancien diplomate et ministre des Finances commente ainsi le retour au pays du père Hollerich : « Ouverture d’esprit peu banale, sens humain, personnalité devenue incontournable, bâtisseur de ponts entre des personnes d’origines, de cultures, de religions différentes, sens aigu de la diplomatie ». Figure également parmi les personnes suivies, une autre Luxembourgeoise japonisante, Yuriko Backes. Elle n’est d’ailleurs pas seulement libérale et successeure de Pierre Gramegna rue de la Congrégation. Elle figure aussi, comme Jean-Claude Hollerich (grand chancelier), au conseil d’orientation stratégique de la Luxembourg School of Religion & Society, émanation de l’ancien séminaire Jean XXIII qui formait les curés. Elle a été créée en 2015 en marge de la séparation de l’Église et de l’État dans une institutionnalisation de la formation œcuménique… pour continuer à bénéficier des fonds publics.

Réac bien aimé Le lien avec l’UE tient à son statut acquis en 2018 (pour un mandat de cinq ans) de président de la Comece (Commission des Épiscopats de la Communauté européenne).« Les chrétiens ne sont pas un groupe d’intérêt parlant en faveur des religions, mais des citoyens européens engagés dans la construction de l’Europe, notre maison commune », détaillait Jean-Claude Hollerich en marge de sa nomination. Cette semaine, le lobby des curés à Bruxelles s’oppose fermement à la proposition d’Emmanuel Macron d’actualiser la Charte européenne des droits fondamentaux pour y inclure la reconnaissance d’un droit à l’avortement. « Nous souhaitons exprimer notre profonde inquiétude et notre opposition », est-il écrit dans un courrier signé Jean-Claude Hollerich. Sur Twitter en janvier, le cardinal a chaleureusement félicité l’eurodéputée maltaise anti-avortement Roberta Metsola à la présidence du Parlement européen. Nonobstant ces positions sur l’IVG conservatrices voire réactionnaires (déjà manifestées en 2013 dans le cadre de la libéralisation et la dépénalisation de l’avortement), le huitième archevêque du Luxembourg en 150 ans d’histoire suscite jusqu’à la considération du satirique Feierkrop: « Bien sûr que nous étions un journal anticlérical aux débuts, mais c’était à une époque où l’Église catholique, et surtout ses courants les plus conservateurs, était encore très largement dominante. Depuis, l’Église a beaucoup changé aussi. Je me vois mal critiquer sans cesse l’actuel archevêque Jean-Claude Hollerich, qui est un homme plutôt éclairé pour ce poste », explique Jacques Drescher, coordinateur du défunt hedbo (d’Land, 21.12.2018).

En 2019, l’archevêque est créé cardinal par le pape François. À sa grande surprise cette fois. Il raconte cette semaine sur 100,7 qu’il avait appris la nouvelle alors qu’il était au Portugal, où il tient villégiature, avec des étudiants. Il ne comprenait pas trop les félicitations reçues (« alors que ce n’était pas mon anniversaire ») jusqu’à ce qu’elles émanent du Grand-Duc. Le chef de l’État gazouille : « C’est avec beaucoup d’émotion que nous avons appris votre nomination (…). C’est un honneur qui est fait à vos qualités spirituelles et morales, un hommage à votre action et une reconnaissance unique pour l’Église catholique du Luxembourg ». Henri se déplacera au Vatican pour la cérémonie qui fera de Jean-Claude Hollerich le premier cardinal luxembourgeois de l’histoire et potentiellement l’un des 128 électeurs du futur pape. « Ein Segen für die Kirche », titre le rédacteur en chef du Wort. Le Luxembourgeois se fait ainsi vite remarquer en tant que cardinal « moderniste ». Après un synode sur l’Amazonie au Vatican, Jean-Claude Hollerich remet ainsi en question l’impératif de célibat pour les hommes d’Église. Au-delà de la communauté ecclésiastique, Jean-Claude Hollerich milite contre le sort réservé aux migrants en Méditerranée, pour le devoir de vigilance des entreprises ou encore pour la lutte contre le réchauffement climatique, notamment dans un souci transgénérationnel. « Il nous faut laisser aux jeunes une terre où il fait bon vivre », fait valoir le cardinal sur les ondes de RTL en marge de la cérémonie de création au Vatican. En septembre 2019, Jean-Claude Hollerich défile au milieu des jeunes de Fridays for Future.

KPIs à la baisse Début 2019, il se rend au Vatican pour un séminaire sur les abus sexuels de l’Église. À son retour, il présente le rapport sur ceux commis au cours es dernières décennies au Grand-Duché. Jean-Claude s’adresse aux victimes et présente ses excuses, au nom de l’Église qu’il représente. L’enregistrement de la conférence de presse est toujours disponible sur le site de l’archevêché. Le cardinal répète l’impératif de transparence. « On ne peut pas faire comme si on ne savait pas. (…) On doit donner ces justifications à l’ensemble de la société », expose-t-il. Cette société, il l’a réapprise. « En rentrant en Europe, il y a dix ans, j’ai dû recommencer. À vrai dire, je pensais y retrouver le catholicisme que j’avais quitté dans ma jeunesse. Mais ce monde-là n’existait plus... Aujourd’hui, dans cette Europe sécularisée, je dois faire le même exercice : chercher Dieu », confie le cardinal Hollerich au journal La Croix en ce début d’année. « Le Luxembourg de ma jeunesse ressemblait un peu à l’Irlande, avec de grandes processions, une forte piété populaire... Quand j’étais petit, tous les enfants étaient à l’église. Mes parents n’y allaient pas, mais ils m’y envoyaient, parce que c’était normal de le faire », poursuit-il auprès du journal catholique. Dans son dernier ouvrage Was auf dem Spiel steht, die Zukunft des Christentums in eine säkularen Welt, Jean-Claude Hollerich parle de « leere Kirchen und die Normalität der Krise » pour caractériser son diocèse luxembourgeois.

Le cardinal Hollerich est certes une star à l’internationale. Localement, l’archevêque fait moins l’unanimité. En mars 2016, Paperjam relève combien Jean-Claude Hollerich a été débordé par l’adversité locale jusqu’à proposer sa démission au pape (finalement rejetée) pour « des raisons de santé ». « La reddition ratée de Jean-Claude Hollerich et le départ pour de vrai d’Erny Gillen - qui malgré ses défauts (…) incarnait la puissance centralisatrice de l’évêché -, ont un peu déboussolé les paroissiens lambda. Ils ont fait apparaître des luttes de clans au sein même d’une Église affaiblie par ses dissensions, après la signature en janvier de l’acte de séparation avec l’État », relevait le mensuel. La perte de trois quarts des subventions étatiques et la suppression des cours de religion à l’école publique ont fragilisé l’institution déjà affectée par le déclin général du religieux. L’archevêché communique au Land les chiffres de la pratique religieuse comme indicateurs de performance. Entre 2001 et 2019, le nombre de baptêmes a baissé d’un tiers, les premières communions ont diminué de moitié, les confirmations ont encore davantage reculé… seuls les enterrements se portent bien avec une légère augmentation sur vingt ans, le signe d’une fin de cycle ? La communauté catholique reproche en outre l’arrivée de formations religieuses proches d’un certain ordre moral. Reporter rapporte l’implantation du séminaire Redemptoris Mater après autorisation de l’archevêque. Le Land informe de l’arrivée des très pieux Scouts d’Europe et de leur siège à la résidence de l’archevêque (d’Land, 7.4.2017). Ces ultraconservateurs inquiètent.

*Le Land a demandé un entretien avec le cardinal. L’intéressé est dépassé par les sollicitations, nous explique le département communication de l’archevêché.

Pierre Sorlut
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