Découvert l’année dernière lors du Festival de Venise dans la catégorie « Orizzonti », Bread and Salt (Chleb i sól, 2022) est le premier long-métrage de Damian Kocur, que l’on connaissait jusque-là principalement pour ses courts. Le cinéaste polonais, qui avait remporté à le prix spécial du Jury sur la lagune, fait cette année partie des prétendants au Grand Prix du festival CinEast.
Deux frères, Tymoteusz et Jacek, pratiquent le piano et sont amateurs de musique classique ; une passion presque tenue secrète tant elle dénote par rapport aux jeunes de leur génération, davantage portés sur la défonce, le rap, les filles et les belles bagnoles… Bienvenue dans le quartier déshérité d’une ville polonaise (dont on ignore le nom par souci d’universalité), mais qui ne frémit que pour la surenchère viriliste, avec son lot d’homophobie ordinaire, quand elle ne bascule tout simplement pas dans le racisme et la violence à l’encontre des quelques Turcs installés dans la région. Le plus âgé, Tymoteusz, rentre tout juste d’une tournée à l’étranger, accueilli par son frère Jacek, mèche blonde et visage pâle, un peu paumé mais bon garçon dans le fond. On sent que quelque chose de fort relie les frangins, tous deux âgés de la vingtaine et livrés à eux-mêmes (les parents sont absents). Ils ne peuvent pleinement exprimer leur sensibilité dans un contexte si néfaste, où toute volonté d’émancipation est aussitôt annihilée par le conformisme ambiant… Protagoniste mélancolique et songeur, Tymoteusz s’apprête à intégrer une prestigieuse école de musique en Allemagne. Il constate, après avoir sondé son entourage, qu’il est seul à vouloir quitter son pays. Comment se déprendre d’un environnement hostile, celui dans lequel on est né, dans lequel on a grandi, duquel on est issu ? Comment se défaire de ses amitiés toxiques quand rien ne permet de croire que l’on en nouera de nouvelles ailleurs ? Rester ou quitter le pays, telle est la question centrale qui nourrit l’intrigue de Bread and Salt. C’est un dilemme de migrant. La fiction de Damian Kocur s’appuie sur un drame survenu dans la ville d’Ełk, au nord de la Pologne, où des jeunes ont agressé les patrons d’un kebab au sein de leur propre restaurant.
Tout en ciblant les maux qui ravagent la société polonaise, le film ne parvient pas à se débarrasser de clichés pénibles sur l’Est et de ficelles trop faciles à manipuler – les quelques notes de piano pour tirer des larmes deviennent une figure de style bien connue, du Pianiste de Roman Polanski (2002) au Dernier Piano (2021) de Jimmy Keyrouz. Le contraste entre la fragilité de la musique et la dureté d’un contexte l’est tout autant. On rêverait de voir un jour un film polonais qui, sans forcément faire abstraction des problèmes que rencontrent ses habitants, serait capable de changer nos représentations sur ce pays. Un pays en l’occurrence très beau et dont la population manifeste ces derniers jours massivement à Varsovie pour défendre la démocratie, l’État de droits, l’IVG, la liberté de la presse... À quand un hommage à cette Pologne progressiste et combative, au lieu des têtes de lézards facistoïdes qui peuplent trop souvent ses productions ?