Cinémasteak

Paradis perdu

d'Lëtzebuerger Land du 29.09.2023

Giorgio Bassani (1916-2000) fait partie de ces écrivains qui ont fait discrètement rayonner le cinéma italien. Outre ses nombreuses contributions scénaristiques au début des années 1950, on doit à l’écrivain de Ferrare la découverte et la publication retentissantes du Guépard (Il Gattopardo, 1958), l’unique roman du prince Giuseppe Tomasi di Lampedusa. La fresque réalisée quatre années plus tard par Luchino Visconti – et la Palme d’or que celui-ci remporte au Festival de Cannes – feront briller à travers le monde ce chef d’œuvre de la littérature nationale-populaire. C’est également grâce à Bassani que Pier Paolo Pasolini, son compatriote de Bologne, a pu entamer une carrière de scénariste auprès de Mario Soldati (La Donna del Fiume, 1954). Trois de ses romans seront adaptés au grand écran : Une nuit de 43 (1948), où l’on retrouve la main de Pasolini au scénario (La Lunga Notte del’ 43, 1960), Les lunettes d’or (1958), mis en scène en 1987 par Giuliano Montaldo, et enfin Le Jardin des Finzi-Contini (1962), recueil de souvenirs et de réflexions sur l’histoire des Juifs italiens lors de l’entre-deux-guerres fasciste.

Après le désistement de Valerio Zurlini, la réalisation du Jardin des Finzi-Contini (1970) est finalement confiée au maître du néoréalisme italien, Vittorio De Sica (1901-1974), l’auteur de Sciuscià (1946), du Voleur de bicyclette (1948) et de Umberto D. (1952) notamment. Ce sera son dernier grand film, un testament entièrement habité par la coexistence de la mort et du vivant. Des feuilles rousses, au générique, nimbent tout d’abord d’une aura crépusculaire la jeunesse dorée de Ferrare. L’automne 1938 semble toucher à sa fin, nous dit la lumière d’Ennio Guarnieri. Le parc où se retrouvent Giorgio, Micòl et leurs amis, tient du paradis perdu. Car déjà percent, ça et là, les symptômes du mal à venir : à travers la complexion maladive d’Alfredo (Helmut Berger), dont on devine la mort prochaine, ou au détour d’une remarque sur le fascisme faite par Bruno (Fabio Testi), l’unique communiste du groupe (« Je ne crois pas beaucoup dans la bourgeoisie. Tous sont plus ou moins fascistes [...]. Mais au moins les ouvriers sont presque tous antifascistes... »). Avec la promulgation des lois raciales (1938) puis l’avènement de la Seconde Guerre mondiale, les tonalités blanches et vertes présentes dans les premières séquences édéniques s’assombrissent brusquement. Parce qu’il est Juif, Giorgio (Lino Capolicchio) se voit refuser l’accès à la bibliothèque de la ville. L’hiver avance à grand pas ; les bicyclettes ont cessé de voler dans les rues. L’obscurité de l’antisémitisme se diffuse dans chaque plan, jusqu’à se répandre sur la vieille cité de Ferrare, autrefois le foyer liturgique de la communauté juive au sein de la Péninsule. Jusqu’à atteindre enfin la belle Micòl, principale source de lumière de ce film interprétée par Dominique Sanda, actrice découverte l’année précédente dans Une femme douce (1969) de Robert Bresson.

Monument érigé à la mémoire des Juifs déportés, Le Jardin des Finzi-Contini se clôt par une prière pour les morts, un El Maleh Rahamim interprété par le cantor Sholom Katz tandis qu’un panoramique « néoréaliste » embrasse la cité médiévale. Bouleversant.

Il Giardino dei Finzi-Contini (Italie-Allemagne, 1970, 94 mn., vostEN) sera présenté dimanche 1er octobre à 20h à la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg

Loïc Millot
© 2024 d’Lëtzebuerger Land