De la politique d’asile européenne : quelle réforme à promouvoir ?

Abolir l’accord Dublin III

d'Lëtzebuerger Land du 27.01.2017

« The arrival of refugees in Europe, alongside migrants on the move, forms just one dimension of a broader global picture of heightened human mobility. Its refugee component is driven by conflict, instability, state failure and severe human rights violations. » (Filippo Grandi, United Nations High Commissioner for Refugees, at the European Policy Centre in Brussels on 5.12.16)

Cyrus1, originaire de Deraa, au sud de la Syrie où les combats sont intenses, n’a plus que la fuite comme alternative pour mettre sa famille en sécurité. Avec une invitation de sa sœur aînée, résidente en France depuis plus de dix ans, il se présente à l’ambassade française au Liban : refus ! Avec une prise en charge de sa sœur cadette, vivant aux USA, il demande un visa à l’ambassade américaine : refus ! Il s’’adresse alors au Haut-Commissariat des Réfugiés des Nations-Unies (UNHCR) pour être inscrit sur la liste des réfugiés à réinstaller dans un pays-tiers: refus !

Faute de places suffisantes, on n’y inscrit que les groupes vulnérables. Forcé de se tourner vers les passeurs, Cyrus entreprend le chemin de l’exode via la Turquie et la route des Balkans. Ne voulant pas soumettre les enfants de un et quatre ans au risque de noyade, il se sépare d’eux et de leur maman pour les retrouver 18 mois plus tard. Il avait de la chance, Cyrus, car il a échappé à la prise d’empreintes digitales dans les pays de transit ; l’asile lui fut accordé après neuf mois et le regroupement familial a pu se réaliser après six mois au Luxembourg.

Vouloir améliorer cette situation, qui est celle de millions de réfugiés2, ne relève pas d’une stratégie politique de quelques personnes particulièrement clairvoyantes, mais c’est une nécessité, une urgence, un devoir pour les pays de l’Union européenne (UE). Que faut-il faire ?

1. Appliquer les mesures qui existent déjà ! Longuement élaborée par la Commission et le Conseil, suite aux guerres dans la Yougoslavie éclatée, et transposée dans le droit national de tous les pays membres de l’UE, la directive3 européenne relative à la protection temporaire en cas d’afflux massif est restée lettre morte. L’afflux massif de personnes déplacées de fin 2015 à début 2016 fut évident, mais n’a pas été dûment constaté par le Conseil européen faute de proposition de la Commission européenne. Des insiders parlent de l’opposition de quelques grands pays aux droits associés à la protection temporaire, à savoir : exercer une activité salariée ou non salariée, participer à des actions éducatives pour adultes, des cours de formation professionnelle et des stages en entreprise. La directive est donc restée lettre morte, alors que l’Europe était confrontée à un afflux massif et que son application aurait beaucoup facilité l’accueil des Syriens, Iraquiens, Erythréens et Afghans.

2. Externaliser la procédure d’asile pour « séparer l’ivraie du grain » en dehors de l’UE ou au mieux pour éviter aux vrais réfugiés un périple dangereux et coûteux. Ceci est réalité depuis belle lurette car réalisée par le UNHCR dans les immenses camps de réfugiés à travers le monde. Hélas, rares sont les pays européens qui participent au processus de réinstallation des réfugiés auxquels la protection internationale fut reconnue. Entre 2011 et 2015 par exemple seulement 5 700 personnes par année furent réinstallées dans les pays de l’UE, alors que, selon le UNHCR, les besoins en réinstallation sont énormes ; ainsi pour 2017, 1,2 million de réfugiés sont concernés.

On retrouve le principe de la réinstallation de Syriens dans l’accord entre l’UE et la Turquie4 ; depuis sa mise en vigueur à la présentation par la Commission européenne du huitième rapport5 sur les progrès faits en matière de relocalisation et réinstallation, le 8 décembre 2016, 2 761 furent réinstallés dans huit pays de l’UE6, dont 52 au Luxembourg. Depuis ce accord, on a vu chuter le nombre de demandeurs d’asile sur la route des Balkans : le prix payé par l’UE est élevé, non seulement en finances, mais aussi en fils barbelés et en perte de valeurs.

Selon le même rapport, les gardes-côtes turcs appréhendent chaque semaine quelques 450 à 500 personnes en mer Egée et du côté des îles grecques, dont la plus connue est Lesbos, on accueille en moyenne 90 réfugiés par jour. Comme les nouveaux-arrivants ont le droit d’y demander asile, d’énormes efforts ont dû être réalisés pour monter des équipes d’experts et traiter les demandes et les recours, ceux relatifs à l’irrecevabilité – infirmant 76 pour cent des décisions –, ceux relatifs au fond – infirmant 14 pour cent des décisions. Dans le cadre de l’accord, 1 1877 furent renvoyés vers la Turquie.

Au début de la saison d’hiver, 16 295 réfugiés attendaient sur les îles grecques les décisions les concernant ; la capacité d’accueil y est de 7 450. La détresse humaine et la violence générée par cette situation sont connues; des personnes de bonne volonté, comme les membres de l’Asbl luxembourgeoise Catch a smile8 en témoignent !

3. Réformer sinon abolir le règlement9 dit Dublin III. Dès le départ, la Convention de Dublin et l’actuel règlement européen définissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile furent contestés par les organisations de défense du droit d’asile. Pourquoi ? Des études scientifiques montrent que les demandeurs d’asile ont tendance, non pas à faire du « asylum shopping », mais à demander asile dans le pays où ils ont les meilleures chances d’intégration, c’est-à-dire où résident des membres de leur famille, des connaissances ou au moins des groupes aux mêmes origines, dont ils parlent la langue ou dont des accords culturels reconnaissent leurs formations, où ils espèrent trouver un emploi ou encore dont ils espèrent ne pas être renvoyés.

Avec le système « Dublin » les voilà forcés à demander l’asile dans le premier pays européen dont ils touchent le sol, ce qui revient en pratique au pays où ils sont contraints à laisser leurs empreintes digitales. Ce règlement met à mal une des bases de la construction européenne : la solidarité entre les pays membres de l’UE et laisse aux pays aux longues frontières extérieures, comme la Grèce et l’Italie, la majeure part de la responsabilité. Pour y remédier, il faut inventer un autre mécanisme européen coûteux et lourd à gérer : la relocalisation10.

Ainsi, depuis le mois d’avril, 6 212 personnes ont été relocalisées à partir de la Grèce et 1 950 personnes à partir de l’Italie. Le Luxembourg y a contribué avec l’accueil de 165 demandeurs de protection internationale de Grèce, 61 d’Italie et veut porter ce chiffre à 557 jusqu’à la fin de l’année 2017. Est-il logique que par ailleurs et durant les onze premiers mois de 2016, le Luxembourg renvoie 27 réfugiés vers l’Italie en application de Dublin III. Priorité est donnée à l’application des règles ! Les politiques ne semblent pas se soucier du coût en angoisse, en désespoir, en perte de potentiel d’intégration aussi. Le comble en est une décision récente : à partir du 15 mars 2017 les renvois Dublin vers la Grèce deviennent possibles !

4. Suivre les propositions du UNHCR11 faites en décembre 2016 et publiées dans Mieux protéger les réfugiés en Europe et dans le monde. En voici quelques-unes de ces propositions :

– Le UNHCR propose un régime simplifié et potentiellement moins coûteux que le système actuel. Ce régime garantirait le droit d’asile, renforcerait les contrôles de sécurité, enregistrerait et accueillerait les nouvelles arrivées dans un système commun d’enregistrement, répartirait la responsabilité de recevoir les demandeurs d’asile entre les États Membres et veillerait à ce que ces derniers soient équipés pour relever ce défi.

– L’UE et ses États membres soutiendraient le renforcement des régimes d’asile dans les pays qui accueillent la majorité des réfugiés et veilleraient à ce que les demandeurs d’asile puissent y avoir accès aux procédures d’asile et à une protection efficace, ceci pour répondre à une des raisons principales à l’origine des mouvements secondaires. Cela permettrait en même temps d’apporter une alternative aux propositions d’extraterritorialisation du traitement des demandes d’asile.

– L’UE prendrait des mesures pour faire du droit à l’unité de la famille une réalité, en étendant son champ d’application et par l’octroi d’exemption de visa et de visas humanitaires par exemple.

En attendant la mise en œuvre de ces propositions d’améliorations, les politiciens intéressés à la politique d’asile pourront visiter Lesbos/Grèce, Quetta/Pakistan, Kakuma/Kenia ou d’autres camps ; certains d’entre eux ont visité il y a quelques années le nord-est du Monténégro et le Kosovo de M. Rugova et savent combien de tels rencontres sont éclairantes et utiles pour trouver ensuite des paroles plus justes et élaborer des actions plus solidaires.

Une autre tâche, qui elle relève de la compétence du ministre ayant l’emploi dans ses attributions, est la modification nécessaire de l’article L. 622-4 (4) du Code du Travail, car contraire à la directive européenne 2013/33/UE, qui prévoit que les États doivent garantir un accès effectif au marché de l’emploi, alors qu’au Luxembourg seulement trois autorisations d’occupation temporaire pour demandeurs de protection internationale furent émises en une année.

1 Le prénom a été changé.

2 Selon les chiffres du UNHCR, 65 millions de personnes sont déplacées de par le monde, deux-tiers au sein de leur propre pays et de ceux ayant quitté leurs pays, 86% restent dans leur région d’origine

3 2001/55/CE

4 « À partir du 20 mars 2016, tous les « nouveaux migrants irréguliers » arrivant en Grèce pourront être refoulés en Turquie. Ils pourront, certes, faire une demande d’asile en Grèce. Mais, Athènes s’engageant à reconnaître la Turquie comme « pays tiers sûr », cette requête pourra être refusée par les juges, (...) pour un Syrien renvoyé en Turquie, un autre Syrien, resté dans les camps de réfugiés en Turquie, sera envoyé en Europe grâce à un corridor humanitaire ».

5 COM(2016) 791 final

6 Allemagne, Belgique, Finlande, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Suède

7 D’avril à novembre 2016

8 www.catchasmile.org

9 Règlement 604/2013/UE

10 Actuellement cette relocalisation n’est que pour les Syriens, les Iraquiens et les Erythréens, c’est-à-dire les groupes dont le taux de reconnaissance du droit d’asile se situe au-dessus de 75 pour cent.

11 www.refworld.org/docid/583c18de4.html

Agnès Rausch
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