Les débats des dernières semaines sur la croissance de la population du Grand-Duché ont presque toujours fait l’impasse sur une décroissance de la légitimité des élus allant de pair. La douche froide du référendum semble avoir lancé un interdit sur l’idée même d’un élargissement démocratique.
La situation au niveau local est parfois annonciatrice de ce qui nous attend au plan national : les élus de la capitale ne sont plus que l’émanation d’un tiers de ses habitants ! En 2011 sur 95 058 habitants 32 538 étaient électeurs, dont 5 491 étrangers. Cela ne vous fait pas penser à l’Afrique du Sud de jadis ?
Mais ceci ne semble ni interpeller, ni inquiéter la classe politique qui se satisfait de l’obligation de vote des nationaux. Or l’inscription des étrangers sur les listes électorales constitue le même défi que connaissent les pays sans obligation de vote pour amener leurs nationaux aux urnes.
Depuis 1999 il y eut à chaque fois en vue des élections communales une campagne d’inscription centrée sur la communication et évitant tout aspect politique. Pareilles campagnes n’ont qu’une fonction d’alibi et ne servent qu’à faire valoir une ouverture de façade servant d’argument pour maintenir la dernière dérogation obtenue par le Luxembourg dans le Traité de Maastricht.
Maastricht stipule que le citoyen européen votera selon les mêmes conditions que les nationaux. Si ceux-ci doivent avoir résidé dans le pays ou dans la municipalité pendant une certaine période pour pouvoir voter, il en ira de même pour l’étranger. Pour le Luxembourgeois aucune période de résidence n’est requise. C’est ainsi qu’un Luxembourgeois, né à l’étranger et qui, majeur, viendra fin septembre 2017 habiter (pour la première fois) à Luxembourg pourrait, pardon devra, aller voter quinze jours plus tard pour les élections communales.
En Belgique, pays au vote obligatoire pour ses nationaux, les citoyens d’un autre État membre sont invités par courrier à s’inscrire sur les listes électorales : le formulaire afférent accompagne l’invitation. Pour des élections communales en octobre, l’intéressé doit renvoyer ou remettre le formulaire pour le 31 juillet au plus tard y compris le citoyen de l’UE arrivé au royaume la veille. Pour les ressortissants d’un pays tiers (non couverts par le Traité de Maastricht) une période de résidence de cinq ans est requise. Une résidence de six mois est requise en France, elle est de trois mois en Allemagne. Dans les deux pays ne sont admis que les citoyens d’un autre État membre.
La dérogation restante Les pays de l’UE avec plus de vingt pour cent de citoyens communautaires peuvent appliquer des règles spéciales : le pays d’accueil peut imposer une période de résidence supplémentaire avant d’autoriser la participation aux élections municipales. Le Luxembourg est le seul pays dans ce cas et il exige que l’étranger fasse valoir cinq années de résidence au Grand-Duché. Par ailleurs cette dérogation ne tient pas compte du dispositif général de Maastricht qui veut que les périodes passées dans d’autres pays de l’UE – c’est-à-dire autres que le pays d’origine – doivent être prises en compte. L’Estonien ayant séjourné quatre années en Pologne et une année au Luxembourg serait donc admissible. Or, la dérogation ne le permet pas.
Rappelons-nous qu’à l’époque de la ratification du traité de Maastricht, toutes les forces politiques se félicitaient des dérogations obtenues plutôt que du potentiel de renouveau de la démocratie (locale). Le postulat que plus d’étrangers justifie moins de démocratie perdure.
Du chemin a été parcouru depuis lors et le Luxembourg a pris les devants puisque les ressortissants d’un autre État membre de l’Union européenne et les ressortissants de pays tiers, une fois inscrits sur les listes électorales, ont les mêmes droits de vote et peuvent prétendre à toutes les fonctions électives communales. Monsieur X originaire de Lithuanie ou Madame Y de nationalité sénégalaise peuvent être élus au conseil communal et devenir bourgmestre, sans avoir à subir un test de langue ! Autre avancée : pour justifier les cinq années de résidence au Luxembourg il ne faut plus faire le tour des mairies pour collectionner des certificats de résidence, chaque commune ayant désormais accès à un registre national qui retrace l’historique de la présence au Grand-Duché.
Le Luxembourg semble se cramponner à « sa » dernière dérogation. L’abandon des autres exceptions, voir l’ouverture sur les non-communautaires n’a pas pour autant eu d’effet d’envergure sur le taux d’inscription. Ce taux se situe autour de 17 pour cent. Pour les communales de 2011 les étrangers fournissaient sept pour cent des candidats et obtinrent 1,5 pour cent des élus. Ces performances ne riment pas vraiment avec une « intégration réussie » que l’on vante à tous vents. Pisa fournit par ailleurs un démenti cruel.
L’intégration dans les partis politiques Les campagnes de sensibilisation répétées avant chaque scrutin municipal sont des exercices confiés à une administration ou à des organes consultatifs, sans concertation, sans implication des partis politiques comme s’il s’agissait d’un simple acte administratif. Les politiques et leurs partis se limitent à des déclarations de principe, sans se mouiller vraiment.
Récemment le gouvernement a lancé une campagne pour inciter les femmes (luxembourgeoises) à se porter candidates aux élections communales. Belle occasion ratée pour promouvoir l’élargissement de l’électorat (féminin).
À l’approche d’élections communales, les partis politiques cherchent un ou deux candidats étrangers alibi. Une fois les élections passées ils reviennent au business as usual : les étrangers retournent dans la structure communautaire mise en place au sein du parti et restent exclus des organes de décision. Tant que les étrangers ne sont pas vraiment pris au sérieux au sein des partis, pas de percées démocratiques en vue ! D’éventuels « problèmes linguistiques » ne suffisent pas comme excuses.
Les campagnes passées se concentraient sur les modalités d’inscription et effleuraient à peine les compétences des communes et moins encore la dimension de choix inhérent à toute élection. Quand a-t-on évoqué que le résident non-luxembourgeois peut aussi être candidat et élu, voire devenir bourgmestre et de toutes façons être fonctionnaire communal. Ne serait-ce pas un argument de campagne pour l’inscription pour faire état du nombre d’emplois communaux assurés par des non-luxembourgeois ? Et la gestion des communes relève quand même de choix politiques, à faire valoir dès la campagne d’inscription : quelles politiques de logement, d’accès aux emplois communaux, de structures parascolaires ? Quels accents pour le plan d’intégration communal ?
Revenons encore à un principe de Maastricht : l’accès au droit de vote des ressortissants de l’UE aux mêmes conditions que pour les nationaux. L’obligation du vote n’est pas reprise dans le traité, les (rares) États-membres connaissant pareille obligation ne sont pas empêchés pour autant de l’étendre aux résidents étrangers et fournir de la sorte un accès aux mêmes conditions !
Convictions affirmées À l’initiative des Verts, la Chambre des députés adoptait le 27 janvier 2011 une résolution introduite par les députés Camille Gira, Fernand Etgen, Gilles Roth, Jean-Louis Schiltz, Alex Bodry et André Hoffmann et votée par tous les députés des partis respectifs. La Chambre « décide à l’issue des élections du 9 octobre 2011, d’analyser le déroulement de ces élections et de rediscuter les dispositions relatives au délai de résidence en vue de le réduire ».
La résolution est restée lettre morte au point que ses promoteurs ne veulent plus en entendre parler. Plutôt que de légiférer, on va lancer des campagnes de sensibilisation aux frais du contribuable.
Convictions trahies Que des partis politiques qui peinaient à trouver un candidat étranger alibi sur leur liste restent muets est une chose, que d’autres n’ont pas encore digéré le référendum se comprend, mais que valent les décisions prises ? Et surtout qu’en est-il des défenseurs d’une participation accrue qu’étaient les Verts ? Les perspectives de coalitions à venir expliqueraient-elles leur reniement ?
Les partis politiques se flattent d’un principe, mais pas trop pour ne pas heurter leur électorat actuel âgé et ne pas priver celui-ci des effets du clientélisme et surtout ne pas risquer la mise en cause éventuelle des équilibres traditionnels. Une démocratie sous haute surveillance en quelque sorte.
Tout élu a le souci d’être à l’écoute de ses électeurs, même si ceux-ci diminuent en importance numérique dans la population. L’exemple de la démographie de la capitale est éloquent à ce sujet : La présence des Luxembourgeois est une constante dans toutes les classes d’âge, y compris au-delà de soixante ans. La présence des étrangers se renforce au fil de dix ans dans les classes d’âge des actifs (voir ci-dessous). Le lecteur en déduira les priorités des partis politiques.