Personnage incontournable du football au Luxembourg depuis quarante ans, Paul Philipp est un homme sûr de lui, qui vit mal la contradiction. Portrait inofficiel

« Tête de mule »

Paul Philipp préside la FLF depuis 2004
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 20.06.2025

Les dégâts collatéraux de la gestion de l’affaire Gerson Rodrigues, ou plutôt de son absence de gestion, sont sévères. Enfermés dans leur tour d’ivoire qu’est le Centre de formation national de Mondercange, le président de la Fédération luxembourgeois de football (FLF), Paul Philipp, et son sélectionneur, Luc Holtz, n’ont pas compris que la société avait avancé plus vite qu’eux sur le sujet des violences faites aux femmes. Les nombreuses réactions outrées et l’absence de recul des deux hommes, hermétiques aux critiques portées par une large partie de la société civile et de la politique, ont fait voler en éclats l’image qui se dégageait d’une équipe qui, enfin, était capable de procurer des émotions positives à ses supporteurs. Paul Philipp, président de la FLF depuis 2004, porte une grande responsabilité dans ce fiasco.

Il est né le 21 octobre 1950 à Dommeldange. Son père, Jos, était instituteur et entraîneur d’athlétisme au CA Spora. Sa mère, Victorine, était femme au foyer. Le sport a toujours occupé une place importante dans sa vie. Il commence à jouer au foot à dix ans à l’Avenir Beggen et pratique également l’athlétisme avec son père au Stade municipal, qui deviendra plus tard le stade Josy-Barthel. En 1963, il devient champion national de cross dans sa catégorie d’âge.

Dès ses seize ans, à l’automne 1966, il intègre l’équipe première de l’Avenir. Milieu de terrain, il marque pour son premier match face au Stade Dudelange, l’un des meilleurs clubs du pays à l’époque. Interrogé dans la biographie de Paul Philipp écrite en 2002 par Patrice Schonckert (Une vie des deux côtés de la ligne de touche, Éditions Guy Binsfeld), son entraîneur d’alors Marc Boreux loue son pied gauche, sa frappe de balle et sa condition physique. Il en fait « immédiatement un titulaire indiscutable ». Le coach se souvient aussi du caractère du jeune homme : « un sacré grognard », « une véritable tête de mule. » Dans l’équipe, il joue entre autres avec Jeannot Krecké et René Kollwelter, qui ont le même âge. Au Lycée de Garçons, son professeur de sport était Camille Polfer, futur bourgmestre de la capitale (et père de Lydie Polfer), footballeur accompli ayant entraîné notamment Grevenmacher, l’Aris ou le Fola Esch.

Son talent ne fait pas de doute et malgré son jeune âge, Philipp est un leader de l’équipe. Il est vite repéré et des offres parviennent des clubs belges de l’Union Saint-Gilloise (Bruxelles) et du Standard de Liège. Son père exige qu’il réussisse son examen de fin d’études avant de partir, mais il le loupe et doit attendre une année de plus à Beggen. Il en profitera pour remporter le premier championnat de l’histoire du club en 1968/1969.

Le « modèle luxembourgeois »

Philipp part donc pour l’Union Saint-Gilloise, tandis que son compère Jeannot Krecké tente de lancer sa carrière au Daring Molenbeek. Les deux envisagent de poursuivre leurs études à l’Université libre de Bruxelles et partagent à leurs débuts la même chambre d’étudiant. Rapidement, ils se rendent compte que concilier les exigences d’une vie de footballeur et d’étudiant ne sont pas compatibles. Si Paul Philipp choisit le foot professionnel, le futur ministre de l’Économie retournera dans le monde amateur. « Il faut dire que Paul avait un bien meilleur contrat que moi », est-il cité dans la biographie de Schonckert.

Philipp reste quatre ans à l’Union, dont une dernière saison en deuxième division après avoir été relégué. Il quitte alors le Parc Duden pour le Standard de Liège, mais il ne s’y plaît pas. Son épouse, Yvonne Philipp, raconte que son mari lui disait : « Dat ass, wéi wanns de op d’Schmelz gees. » Il repart à l’Union deux ans plus tard, alors que le club bruxellois, après une relégation en troisième division, venait de remonter en deuxième. Il y reste quatre nouvelles années, de 1976 à 1980, mais devant l’impossibilité d’accéder au plus haut niveau, il décide de partir pour Charleroi qui évolue un cran au-dessus. Lorsque le club carolo est relégué à son tour au bout de la deuxième saison, Philipp juge qu’il est temps de mettre un terme à sa carrière pro. Il prend une année pour achever sa formation d’entraîneur et sort major de la promotion des francophones. Il revient alors à Beggen où il endosse les responsabilités d’entraîneur et de joueur avec succès : il réussit le doublé coupe/championnat en 1984.

Paul Philipp endosse pour la première fois le maillot de la sélection en 1968, à l’âge de 18 ans. En un peu plus de treize ans, il disputera 57 matches et inscrira cinq buts. Coéquipier de Nico Braun (96 buts en D1 française avec le FC Metz, meilleur buteur de l’histoire du club) ou de Louis Pilot (quatre fois champion de Belgique avec le Standard), il deviendra capitaine. Mais, déçu par les mauvais résultats de la sélection et un contexte qui, estime-t-il, ne place pas les joueurs dans de bonnes conditions pour performer, il quitte la sélection à 32 ans.

Voyant que Philipp obtient de bons résultats à la tête de Beggen, la FLF l’appelle pour diriger la sélection en 1985. Il définit trois priorités : améliorer la condition physique des joueurs souvent cuits après soixante minutes, travailler le style de jeu pour donner moins de ballons à l’adversaire et développer la discipline tactique. Avec son grand ami le docteur Robert Huberty, il développe également l’encadrement médical.

Il perd ses deux premiers matches 1-3 contre la Bulgarie et 0-6 contre la France. Les défaites se succèdent, mais elles sont jugées encourageantes, car un certain fonds jeu semble sur le point de naître. « Les joueurs ont évolué dans le bon sens, c’est-à-dire qu’ils ont su se défaire peu à peu d’une mentalité purement amateur qu’ils ont remplacée par un mode de pensée que je qualifierais d’amateurisme professionnalisé », souligne-t-il dans sa biographie. Le premier résultat positif sera un 0-0 rocambolesque obtenu contre l’Écosse au Stade de la Frontière, à Esch-sur-Alzette, en 1987, pendant lequel Roby Langers se fracture la mâchoire et un chien policier mord un arbitre de touche.

Sa grande création est ce qu’il appelle « le modèle luxembourgeois ». Dans les années 1990, il parvient à s’accorder avec les clubs afin qu’ils laissent leurs joueurs à la disposition de la FLF pour deux entraînements par semaine, un stage en hiver et des regroupements de quelques jours avant les rencontres internationales. Cette organisation demande aux joueurs amateurs de prendre davantage de congés. Lorsque c’est nécessaire, Paul Philipp appelle lui-même leurs employeurs pour les convaincre.

Son parcours à la tête de l’équipe nationale entre 1985 et 2001 comprend 87 matches (77 défaites, 7 matches nuls et 3 victoires). Son momentum survient pendant les éliminatoires du championnat d’Europe 1996, campagne au cours de laquelle il a obtenu l’intégralité de ses trois victoires. Celle contre Malte (0-1 à La Valette), le 22 février 1995, était la première du Grand-Duché depuis plus de 22 ans. L’équipe remportera également le match retour et réalisera un exploit en battant la République tchèque (1-0), futur finaliste de la compétition. Un match nul contre la Biélorussie permettra d’atteindre le record de dix points obtenus lors d’une phase d’éliminatoires. Il faudra attendre 2023 pour faire mieux (17 points).

Ces bonnes performances ne forment pourtant pas le socle d’une nouvelle progression, elles signent plutôt la fin d’un cycle. Les meilleurs joueurs (Guy Hellers, Roby Langers, Carlo Weis) prennent leur retraite et les remplaçants ne sont pas au niveau. Seul le tout jeune Jeff Strasser, alors au centre de formation du FC Metz, se démarque. Paul Philipp critique la fédération, jusqu’à soutenir la candidature de Robert Huberty, le docteur qu’il a installé à la FLF, pour les élections à la présidence de 1998, contre le président en place Henri Roemer, hôtelier libéral à Wiltz. Ce sera un échec.

La campagne pour les éliminatoires de la Coupe du monde 2002 est son chant du cygne. Son équipe ne gagne pas un seul point, y compris contre les Îles Féroé. Philipp est renvoyé trois jours après le dernier match.

Obnubilé par le football, il ne reste que trois ans hors du giron fédéral, puisqu’il prend la succession de l’éternel Henri Roemer à la présidence de la FLF en 2004. Là encore, il travaille à combler les carences qu’il avait observées depuis son poste de sélectionneur. Il donne une toute autre dimension au centre de formation de Mondercange, créé par son prédécesseur. Guy Hellers, nommé à sa tête le 1er juillet 2000 sur son impulsion, dirige l’intégralité des équipes nationales de jeunes.

La méthode, qui a nécessité de lourds investissements, a porté ces fruits. Il n’y a jamais eu autant de joueurs professionnels luxembourgeois qu’aujourd’hui : Leandro Barreiro à Benfica, Anthony Moris à l’Union Saint-Gilloise (tout juste sacrée champion de Belgique), Maxime Chanot au Los Angeles FC, Christopher Martins au Spartak Moscou, Yvandro Borges et Tiago Pereira à Mönchengladbach, Danel Sinani à Sankt Pauli… Si les résultats de l’équipe nationale n’ont jamais été aussi bons, c’est parce que le vivier de joueurs bien formés est plus fourni que jamais.

Si Paul Philipp peut revendiquer une bonne part de cette réussite, sa présidence s’est toutefois construite avec un style qualifié d’autoritaire par plusieurs témoins. Dans Le Quotidien du 11 juin dernier, Gilbert Goergen, ancien membre du conseil d’administration lui « reconnait un côté despotique » et assure avoir « toujours été mis devant le fait accompli. » Il ajoute : « Il faut voir les choses en face, Paul Philipp dirige tout seul. » De fait, le président s’est construit à la FLF un aréopage de soutiens fidèles. Au CA, Erny Decker, Serge Wolff, Nicolas Schockmel ou Marco Richard en font partie.

Vers une fin de cycle ?

Ses opposants sont peu nombreux, ou alors très discrets. Tun Di Bari, membre du conseil d’administration et CEO de Dussmann, est celui qui a été le plus critique lors de l’affaire Gerson Rodrigues. « Aujourd’hui, à la FLF, notre gouvernance, notre communication, ne sont pas professionnelles. Il va falloir commencer à nous former, à être dans le partage de l’information, de la prise de décision. C’est ce qui nous fait défaut », déclarait-il dans Le Quotidien du 15 juin dernier. S’il assure qu’il a reçu l’approbation de plusieurs autres membres du CA, aucune opposition ne s’est réellement manifestée depuis.

De nombreux épisodes illustrent la raideur de Paul Philipp, peu enclin aux compromis. Il s’était coupé de la présidence d’Henri Roemer en tant que sélectionneur. Dans la biographie précitée, Roemer déclare que « son intransigeance a sans doute eu une influence défavorable sur le travail qu’il avait engagé ». La « véritable tête de mule » décrite par le premier entraîneur de Philipp n’est pas loin. La grande cassure avec Guy Hellers est un autre exemple frappant. L’ancien pilier du Standard de Liège, alors sélectionneur national, s’est senti trahi par le management intrusif de Philipp, jusqu’à démissionner. Dans une lettre envoyée aux médias en novembre 2010, Hellers parle « de mobbing et des provocations » de son ex-président. Contacté par le Land, Hellers a simplement déclaré « mon histoire avec ce personnage est terminée, je ne veux plus en parler. Je pense que, pour vous, cela doit vouloir dire beaucoup. »

À l’image de son poste sur le terrain quand il était joueur, Paul Philipp veut tout contrôler. L’exemple de la construction du grand stade est, à ce titre, parlant. Lui qui n’a jamais exprimé ses opinions politiques, a été baladé par les élus qui lui ont d’abord vendu le projet Livange (promu par son ancien coéquipier Jeannot Krecké), puis une rénovation du Josy Barthel avant de choisir de bâtir le stade actuel. Les archives de l’époque évoquent un homme désabusé. Lors d’une conférence de presse annonçant le choix de l’emplacement du stade en février 2014, il était le seul des six invités à ne pas avoir de pancarte à son nom sur la table. « Personne ne m’a posé de question. Et avant, quand il y a eu le tour de paroles, je ne l’ai pas eue pour la simple raison que je ne faisais pas partie de la réunion quoi a précédé cette conférence de presse. Je n’ai pas eu du tout le temps de me présenter. Moi, j’ai été informé hier soir, un peu à la dernière minute », expliquait-il alors au Quotidien. Et lors de la conférence de presse suivante, son nom était mal orthographié. « Si le stade se fait, ils peuvent bien mettre trois " p " à mon nom… », soupirait-il.

Lydie Polfer, qui connaît Paul Philipp « depuis tellement longtemps », confirme au Land qu’ »il n’avait pas le dossier du stade entre les mains ». Elle se souvient qu’il était « sceptique après vécu trop de choses avec ce dossier », mais qu’ « au fil du temps, lorsqu’il a vu que tout était sur les rails, il était redevenu enthousiaste. » Le ministre des Sports d’alors, Romain Schneider se souvient qu’ « il a commencé à être soulagé lors du premier coup de pelle à la Cloche d’Or en 2017. »

Il est notable de constater que les excuses de la Fédération quant à la gestion catastrophique de l’épisode Gerson Rodrigues ne sont venues que très tard et uniquement par voie de communiqué. Ce jeudi, la députée Taina Bofferding rapportait au Land que « jusqu’à aujourd’hui, je n’ai reçu aucune excuse pour ses insultes nous dégradant, nous, élues du peuple, en tant que pseudo-politiciennes ».

Alors, quelle sera la suite ? La réaction très minimaliste de Georges Mischo n’incite pas à croire que le ministre des Sports CSV incitera Paul Philipp ou Luc Holtz à démissionner. D’autant que les prochaines élections pour la présidence de la FLF auront lieu l’année prochaine et que le contrat du sélectionneur Luc Holtz, un fidèle qui a remplacé Hellers en 2010, se terminera également fin 2025. Malgré la crise, il faut sans doute s’attendre à une fin de cycle en douceur plutôt qu’à une fronde retentissante. Ce serait typiquement luxembourgeois.

Note de bas de page

Erwan Nonet
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