À Avignon, chaque année se joue la plus grande des partitions théâtrales au monde. Par son nombre de spectacles, comme de spectateurs, le Festival d’Avignon, imaginé par Jean Vilar et Jean Rouvet en 1947, est une manifestation sans pareil dans le paysage scénique. Un mythe pour beaucoup, une réalité au goût amer pour d’autres. Cette année, trois spectacles issus de la création luxembourgeoise ont trouvé place dans ce grand festival, auxquels on peut ajouter la présence du collectif d’auteurs et d’autrices dramatiques transfrontalier Le Gueuloir, durant deux soirées au Souffle d’Avignon.
Il y a Avignon sur le papier et Avignon en vrai. La réalité est éminemment plus puissante que toute forme de descriptions, bien que ce sont ces dernières qui façonnent l’aura de l’événement, et le mot est faible. Dans ce sud de la France, brûlé par le soleil et ramolli par la chaleur, il se passe quelque chose d’assez incroyable. Une messe en l’honneur du théâtre, ou plutôt du spectacle vivant. Et comme ils étaient décrits dans les années cinquante, les 300 000 festivaliers sont « les pèlerins », voire, « les adeptes d’une secte » ; un festival tout puissant qui n’a aucune pitié. C’est en effet ici que tout se joue. Les destins de compagnies y sont scellés, certains artistes y sombrent, d’autres y exultent, c’est la cruelle loi du festival. Car ce sont d’abord les spectateurs qui créent le mythe avignonnais et consacrent ses héros et héroïnes. Au cœur de ce chaudron se jouent 1 666 spectacles labélisés dans le off et 400 rendez-vous dans le In, plus clinquant, évidemment. Les créations luxembourgeoises sont donc immergées dans ces 1 666 spectacles, chacune sans cacher ses qualités artistiques comme logistiques, forces incontestées de ce panel de productions luxembourgeoises amenées dans cette Mecque théâtrale.
Premièrement, Corps au bout du monde à La Manufacture, embarque le spectateur dans le récit de vie d’une jeune gymnaste aux prises aux exigences et aux sacrifices qu’imposent le sport de haut niveau. On retrouve Marion Rothhaar, Rahel Jankowski et la gymnaste Mariia Iezhemenska, toute trois incarnant les personnages d’une vie d’athlète : Une coach intransigeante, une gymnaste naïve et aveuglée et une jeune étoile du domaine, elle-même. Cette dernière n’aura pour emploi que d’illustrer un sport mettant à l’épreuve les corps, flirtant avec l’art chorégraphique. Ainsi, entre parole rapportée et prose théâtrale, un duo de scène – Rothhaar / Jankowski – décrit une dure réalité, à l’image de ce qu’a vécu la germano-luxembourgeoise Marion Rothhaar, élevée en championne allemande de la gymnastique rythmique et sportive, jusqu’aux Jeux Olympiques. Alors, en excusant quelques aspérités dans la langue transformée pour l’occasion de l’allemand au français, Corps au bout du monde, sous l’œil de la metteuse en scène autrichienne Elke Hartmann, a de vraie qualité spectaculaire, parlant de sport pour faire scène dans un medley de discipline entre danse, théâtre et documentaire. Une belle idée qui se conclut dans un happy end relaxant, sans pour autant rassurer sur les valeurs du sport d’aujourd’hui. Les J.O. ne sont plus très loin, les scandales aussi…
Ensuite, Go ! de la française Jennifer Gohier au Théâtre du Train Bleu, tenu en scène par les danseurs Youri de Gussem et Ville Oinonen est un joli spectacle de corps à corps. Une prouesse physique de l’ordre du sport, encore une fois, pour un objet scénique très efficace qui allie drôlerie et précision. Go ! montre un moment entre intensité et poésie gestuelle qui revient à l’essence même des arts martiaux, ceux-ci invitant à la maîtrise et au développement personnel par le biais des dimensions spirituelle, intellectuel, philosophique et de fait poétique. Et pourtant, c’est aussi un spectacle amusant, qui, à en croire les jeunes spectateurs, même si peu nombreux ce soir-là, fonctionne à merveille en tant que ce qu’il est avant tout : « un jeune public ».
Et enfin, Megastructure du duo Sarah Baltzinger et Isaiah Wilson à La Manutention, qui a fait clairement sensation dans le paysage avignonnais, levant le rideau devant salle comble aux quasi dix dates de cette performance hybride, sans musique mais profondément en corps – ici, ceux de Sarah Baltzinger et Filippo Gualandris, en reprise de rôle. Couple franco-luxembourgeois à la vie, à la scène, Baltzinger et Wilson, répondent avec Megastructure à leur questionnement de chorégraphes officiant désormais en duo et tout autant, à leur complicité amoureuse, transcrite dans cette forme exposant à la fois la routine, la sensualité et l’extraordinaire d’être deux, de grandir ensemble artistiquement, telle une mégastructure, complexe, solide, étonnante et impressionnante.
Finalement, dans les trois propositions, difficile de faire état de spectacles purement théâtraux. Le premier, façon documentaire, raconte une vie sportive illustrant par le sport ; le second s’inscrit profondément dans une interprétation scénique des arts martiaux tirant forcément vers la danse ; et le troisième disposant d’une scène comme d’un espace de performance brute où seul se montre les corps dans une technicité franche et assumée comme parti pris. Alors, force est de constater, que la création luxembourgeoise cette année n’est pas tant théâtrale, mais plutôt spectaculaire, au sens propre comme figuré. Cette création est aussi à l’image du pays, multinationale et multiculturelle portée par des italiens, belges, français, allemands, ou binationaux, tous et toutes, luxembourgeois d’âme ou d’art.