Le couple Besson et leurs avocates respectives devant une juge aux affaires familiales : le mari, Antoine, accusé de violence envers sa femme Miriam et leurs deux enfants Joséphine et Julien, se montre abattu par le fait que son épouse lui refuse tout contact avec sa famille. Dans cette longue séquence d’ouverture, où le témoignage désespéré de Julien, relu à voix haute par la présidente, ne change rien au fait qu’il n’y a finalement pas de preuves suffisantes contre le père pour confier la garde des enfants entièrement à Miriam, s’ouvre le gouffre d’un vide juridique dont le passage à l’acte semble la seule issue cruelle. D’autant plus que le père est caractérisé par un physique imposant et la possession d’un fusil de chasse. Dans Jusqu’à la garde, Xavier Legrand met d’emblée toutes les cartes du scénario sur table, car son but n’est pas de nous raconter une intrigue complexe avec des revirements surprenants, mais de poser au centre de son premier long-métrage l’émotion qui domine toute la situation, la peur. Les personnages ne sont pas exploités pour des émotions faciles, mais l’omniprésence de l’angoisse souligne l’aspect traumatisant pour les victimes.
Pour parvenir à ce résultat, le réalisateur s’inspire clairement des grands maîtres du cinéma. De Haneke pour le jeu subtil avec le hors-champ suscitant l’imaginaire, l’incertitude et une sensation d’enfermement, un instrument parfaitement mis en œuvre lors d’une séquence où la fille fête son anniversaire dans une salle toute en sachant que son père attend sur le parking devant. Puis d’Alfred Hitchcock pour les petits détails visuels ou sonores qui prennent une ampleur insupportable dans une situation de tension. Ainsi, le bruit d’alerte pour signaler qu’un passager n’est pas attaché prend une importance particulière lorsque le père vient chercher Julien un weekend sur deux en voiture. Il en est de même pour la sacoche du fusil de chasse qui est transporté à plusieurs reprises et dont la simple présence suscite l’attention. Et puis, il y a une grande part de Shining dans le crescendo final à la différence importante près que Xavier Legrand ne montre pas le père comme un psychopathe, mais comme un humain désespérément submergé par sa frustration.
Les acteurs portent ce film horriblement efficace avec un grand dévouement sur leurs épaules. Denis Ménochet en père impassible et manipulateur. Mathilde Auneveux en adolescente déboussolée. Et puis surtout Léa Drucker incarnant Miriam et le jeune Thomas Gioria dans le rôle de Julien parviennent à convaincre dans des séquences émotionnelles complexes et portent les différentes facettes de la terreur constamment sur leur visage.
Après une nomination aux Oscars pour un court-métrage autour de la même famille, le Lion d’argent pour le meilleur réalisateur à la Mostra de Venise pour Jusqu’à la garde semble amplement mérité pour un film tellement maîtrisé, qui maintient ce qu’il promet : une expérience émotionnelle du sujet de la violence conjugale plutôt qu’un discours théorique.