Only the Lonely

Après la chute

d'Lëtzebuerger Land du 25.03.2004

Quand son connard de mari la quitte, claque la porte derrière lui, c'est comme une libération pour elle. Enfin se débarrasser de son tablier de femme au foyer, se montrer dans sa robe de Marylin, blanche et moulante, qu'elle fait tournoyer en dansant sur la musique qui vient de la radio. Mais peu à peu, Sheila, une bourgeoise de 32 ans, va tomber. Dans la solitude, le désespoir, l'aliénation. Sa survie, elle la doit à la radio et à son pickup, qui lui jouent des musiques tantôt mélancoliques, tantôt pleines d'entrain, d'espoir. Et font qu'elles se relèvera toujours, après chaque chute, malgré sa lente perte de repères. Descente aux enfers.

Only the lonely est la première grande chorégraphie de Sylvia Camarda, née en 1978, formée chez Rosella Hightower à Cannes et la London Contemporary Dance School, a surtout dansé avec Les Ballets C. de la B. pour la chorégraphie Just Another Landscape for some Jukebox Money de Koen Augustijnen. Premier petit one-woman-show, Another Night Out, en 2002 au Théâtre des Capucins, puis elle dansa avec Philippe Talard à Schrassig et à la cathédrale. 

Elle est étonnante,  Sylvia Camarda: la compagnie qu'elle vient de fonder pour produire son premier vrai spectacle solo (45 minutes à peu près) s'appelle Missdeluxe, mais elle est tout le contrair: avec une énorme générosité, elle est allée danser dans les villages, avant une date à Lille, a commencé sa mini-tournée à Beaufort, puis Bissen, fait un triomphe à Differdange, «son» village... Des danseurs qui vont vers les gens, c'est assez rare pour être doublement souligné. 

Puis elle est une deuxième fois étonnante, parce qu'elle est radicalement féministe - parallèlement à sa formation de danseuse, Sylvia Camarda a suivi des women's studies à Londres. Ainsi, même si son spectacle se situe dans les années 1950, elle dira dans les interviews que les femmes aujourd'hui encore ne sont pas libérées, mais qu'on a seulement agrandi leur prison. 

Only the lonely raconte en fait la douloureuse libération d'une femme, Sheila, du carcan dans lequel l'enfermaient son mari, la société, et le long et douloureux chemin qu'elle fait, foudroyée, dévorée par le doute, effroyablement seule. Mais c'est aussi une image pour la libération de toutes les femmes... Only the lonely est un spectacle touchant, parce que cette femme si seule, si désespérée, s'avère tellement humaine. Mais c'est aussi une expérience sensuelle, esthétique, surtout par l'unité qu'arrivent à former la danse et la musique/bande son du toujours aussi surprenant Sug[r]cane.

Commençant sur une ambiance chaude, beaucoup de ces chansons pleines de bonne humeur des années cinquante (Roy Orbison, Marylin Monroe...), des lumières jaunes, l'ambiance durant le spectacle devient de plus en plus aliénante, brutale: la lumière devient toute blanche, Sheila tombe de plus en plus brutalement, se relève de plus en plus difficilement, et la musique sphérique se remplit de basses, de cliquettements, d'une cacophonie de voix et de bruits de la rue. Sheila est au bord de la folie, s'accroche à cette radio comme à son dernier ami. Va-t-elle partir de cet environnement oppressant? Va-t-elle réussir à se recomposer une vie? 

La danse de Sylvia Camarda est extrêmement physique, poupée de boîtes à bijoux au début, on la voit se décomposer. Et cette déchéance, elle arrive à la transcrire avec des mouvements de plus en plus brusques, voire violents. Les chutes fracassantes ne semblent pas lui faire peur. Quand elle était jeune, raconte-t-elle, Madonna était son idole. Elle partage avec elle le dynamisme, la volonté de réussir et le perfectionnisme.

Only the lonely, par Sylvia Camarda, danse et chorégraphie, produit par Missdeluxe dance company, musique : Sug[r]cane, dramaturgie : Natacha Ipatova, costumes: Aleksandra Valosiv, lumière: Max Kohl, décors : Tino Camarda. Prochaines représentations: ce soir, 26 mars, au Théâtre de l'Agora à Évry (F), les 30 mars et 3 avril au Studio du Grand théâtre, réservations par téléphone au 47 08 95. Internet: www.missdeluxe.org.

josée hansen
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