Une courte histoire du Luxx

L’agonie d’un indice boursier

d'Lëtzebuerger Land du 22.11.2013

Lorsqu’un directeur de la Bourse de Luxembourg se met à faire des extrapolations historiques, le résultat peut surprendre. Ainsi, il y a quelques années, Michel Maquil avait-t-il construit un indice boursier rétroactif qui rassemblait les dix sociétés anonymes les mieux cotées à la Bourse de Luxembourg sur les 75 dernières années pour mesurer « l’évolution des cours des actions luxembourgeoises du 6 mai 1929 jusqu’au 31 décembre 2003 ». Le résultat de cette fiction statistique : L’investisseur qui en 1929 avait placé cent francs dans des actions cotés à la Bourse de Luxembourg aurait vu passer ses actifs à 2 332 francs, « un facteur de multiplication de 23,31 », s’extasiait Maquil.

Moins anecdotique, le choix opéré parmi les firmes luxembourgeoises cotées selon le critère de leur cours boursier et leur ventilation par tranches de quarts de siècles, fait défiler en accéléré l’histoire économique luxembourgeoise. En 1929, alors que naît la Bourse de Luxembourg au beau milieu du krach mondial, nous y retrouvons l’Arbed, les Chemins de fer Prince Henri et la Banque internationale à Luxembourg, qui, toutes les trois, venaient de se débarasser de la domination économique allemande. En 1955 s’y sont jointes la Brasserie Diekirch (reprise en 2002 par AB Inbev), la Cegedel et la Sodec, ainsi que la tannerie de cuir Idéal de Wiltz (qui entrera en liquidation six ans plus tard). En 1980, place aux banques et aux holdings. Font leur entrée sur la bourse luxembourgeoise : la Kredietbank, Damson Royalty Investment et la holding luxembourgeoise Société financière des caoutchoucs (Socfin), qui trouve ses orgines au Congo Belge et qui, reprise par le groupe Bolloré, continue d’exploiter des plantations de caoutchouc aux quatre coins du monde.

La Bourse de Luxembourg au 11 avenue de la Porte-Neuve a un air majestueux, mais en miniature. Après avoir passé sa très lourde porte en bronze, traversé son petit hall d’entrée et grimpé sa cage d’escalier tout en marbre et laitons, on est accueilli par le silence. Là où il y a vingt ans encore, de vieux brokers se donnaient rendez-vous pour la criée matinale dans une salle enfumée et encerclée d’une douzaine de cabines téléphoniques encastrées dans une structure en bois, on retrouve aujourd’hui une salle vide, quelques chaises et trois tables. L’informatisation est passée par là. Quelques années plus tard, en 1999, la Bourse de Luxembourg créera son indice boursier et le nommera Luxx index, cousin minuscule des géants américain (Dow Jones), français (Cac 40) et allemand (Dax 30). Y sont éligibles les actions des sociétés cotées en Bourse de Luxembourg ayant, « directement ou indirectement » une activité industrielle ou commerciale au Luxembourg. Or, déjà peu après son introduction, le Luxx commencera à se réduire comme peau de chagrin. Dans les années 2000, une société après l’autre fera ses adieux à la bourse luxembourgeoise : la BIL, la BGL et la Kredietbank (qui se sont restructurées et referont surface sous un autre nom), la banque Degroof, Millicom, Utopia, Fortis et la Cegedel, suivies, d’ici quelques mois, par la BIP. Pour garder un indice tant soit peu honorable, la Bourse de Luxembourg a dû constamment en diluer les critères de sélection. Mais rien n’y a fait, ces huit dernières années, le nombre de sociétés domiciliées au Luxembourg et cotées à la Bourse de Luxembourg a chuté de 39 à 28, suivant par là l’évolution internationale : selon la Banque mondiale, le nombre d’entreprises cotées en bourse aurait chuté de 50 936 (en 2005) à 47 520 (en 2012). On estime que le nombre d’entreprises cotées mondialement en bourse ne constitue moins de un pour cent du total, tendance à la baisse.

Aujourd’hui, les sociétés anonymes constituant l’indice Luxx sont, par ordre décroissant de pondération : Arcelor-Mittal, SES et RTL Group (chacune pesant vingt pour cent), suivi par Reinet Investments (16,82 pour cent), KBC Group (9,49), puis par six sociétés (Aperam, Luxempart, BIP, Soc-finaf et Socfinasia, ainsi que Foyer) pesant entre 4,64 et 0,71 pour cent, autant de quantités plus ou moins négligeables. Ces disparités expliquent que lorsqu’un des quatre poids lourds restants a le rhume, la courbe de l’indice s’en trouve terrassée. Créé avec 1 000 points de base, le Luxx plonge une première fois en dessous de la barre de 750 en 2003, pour prendre ensuite son envol dépassant les 2 500 points durant l’été 2007 avant de s’écraser brutalement en 2008 en dessous des 1 000 points. Les papiers des institutions bancaires ne valaient plus pipette : à l’automne 2008, l’action de Fortis ne vaudra plus que 0,57 euro et celle de Dexia ne vaut aujourd’hui plus que 0,04 euros, tendance stable. Quant au Luxx, il se morfond aux alentours de 1 250 points.

Mais autant la Bourse de Luxembourg avec ses 27 000 emprunts obligataires comprenant les dettes nationales et les prêts supranationaux (émises par la Banque d’investissement européenne, la Banque mondiale ou le Mécanisme européen de stabilité) et ses 6 600 fonds d’investissements, est un géant mondial sur ce segment du marché, autant il reste un nain lorsqu’il s’agit d’actions de sociétés, qui pèsent moins d’un pour cent de l’ensemble de ses lignes de cotation.

Car, en général, les actions s’échangent là où il y a le plus d’échange, de liquidité, et de brokers que le Luxembourg, spécialisé dans d’autres niches, n’a jamais réussi à attirer. Celui qui fera passer son ordre par la Bourse du Luxembourg, le posera dans un panier vide. A contrario, dans les grandes bourses de Londres, Francfort, Hong Kong ou de New York, l’acheteur et le vendeur peuvent se faire une meilleure idée du prix. Les valeurs du Luxx (à l’exeption de la Socfinasia, de la BIP et de la Luxempart) sont toutes « multi-listées », c’est-à-dire qu’elles sont cotées et s’échangent sur plusieurs bourses. Ainsi, les actions d’Arcelor-Mittal sont cotées à Amsterdam, New York, Bruxelles, Madrid ainsi qu’à Paris où le gros de ses actions s’échange ; du temps de l’Arbed, les cours se fixaient à Bruxelles et au Luxembourg, personne ne bougeait avant que le cours de l’action n’y ait été défini. Alors, quel intérêt les entreprises ont-elles à se faire coter à la Bourse de Luxembourg ? Les atouts avancés par les acteurs de la bourse rappellent celles de la Place financière : une flat fee défiant toute concurrence (2 500 euros par an), un système informatique dernier cri et les éternels « chemins courts ».

Trop limité, trop peu représentatif, le Luxx reste donc largement symbolique. Alors, à quoi sert-il ? On ne pouvait se permettre de ne pas en avoir, c’était du moins l’avis de Michel Maquilqui, en 1999, avait introduit l’indice boursier luxembourgeois. Avant de prendre sa retraite, il justifiait l’introduction du Luxx dans une interview : « Imaginez-vous si, dans les statistiques de l’OCDE, derrière Luxembourg à la rubrique ,market’ il n’y avait qu’un trait. Chaque pays qui se respecte devrait disposer d’un indice boursier ». Or même si l’indice Luxx ne nous renseigne pas sur grand chose, il permet au moins de remplir les pages « économie » des quotidiens.

Bernard Thomas
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