Musique classique

Liebesgrüße aus Wien

d'Lëtzebuerger Land du 14.01.2022

Invité régulier des phalanges les plus capées de la planète, Fabien Gabel a dirigé, la semaine dernier, son premier Neijoersconcert à la tête de l’OPL. Les circonstances changeantes de ce rendez-vous annuel (le programme fut un brin modifié en raison de la recrudescence des contaminations dues au variant omicron) dénotent la grande réactivité musicale de l’orchestre national, à la faveur d’un jeu toujours renouvelé et d’un programme toujours adapté, mais toujours généreux, plein de paillettes, car éminemment festif, comme il se doit, en pareille occasion. Programme en forme de somptueux bouquet de mélodies aux charmes irrésistibles, comprenant une ribambelle d’œuvres « légères » habilement choisies, toutes aux couleurs du bonheur et de la joie de vivre, et qui en offrent pour tous les goûts : airs d’opérette, Valses de Johann Strauss fils (que serait un concert de Nouvel An sans l’une ou l’autre page du « Roi de la Valse », à propos duquel l’écrivain Éric Emmanuel Schmitt déclara un jour qu’il donnerait tous ses livres pour avoir écrit une seule de ses valses ?), telle mélodie qui n’encombre pas les concerts de Nouvel An (Du sollst der Kaiser meiner Seele sein, extraite de Der Favorit, une opérette de Robert Stolz), tels moments de pure poésie (Liebe, du Himmel auf Erden, tiré de Paganini, opérette de Franz Lehár ; Künstlerleben-Walzer et Spiel ich die Unschuld vom Lande de J. Strauss fils), qui, eux aussi, sont plutôt rares dans ce genre de contexte musical. Quant au fameux Kaiser-Walzer du même Strauss fils, on dira qu’il n’y a pas manière plus festive d’ouvrir le bal. Ceci dit, c’est la qualité du chef qui est déterminante.

Alors, qu’en est-il du charismatique maestro français, reconnu comme l’une des étoiles montantes de la nouvelle génération de chefs d’orchestre internationaux ? En straussien confirmé et convaincu, il privilégie le flux et le reflux, l’intelligibilité de la grande ligne, tant et si bien que les valses gagnent en volupté, les airs en beauté plastique, les paroles en expressivité. Quant à la mise en place orchestrale, la netteté des attaques, la qualité des timbres, les différents dosages instrumentaux, la négociation des rubatos et contrastes dynamiques, des crescendos et fortissimos, le sens des pulsations et des transitions rythmiques, ils ne laissent rien à désirer. C’est que le Français dirige large, avec une gourmandise voluptueuse, propre à exalter le naturel sensuel des œuvres qui lui sont confiées. La main gauche, conformément à l’usage, négocie l’entrée des instruments, les nuances et le phrasé ; le bras droit, pour sa part, bat la mesure, comme il convient, mais jamais de façon synchrone avec le bras gauche, toujours alternativement.

Une curieuse et plaisante transmutation s’opère alors entre la fameuse Gemütlichkeit viennoise et la verve communicative, pleine de sève bouillonnante, le tempérament on ne peut plus fougueux, la pétulance toute latine du maître d’œuvre. Le résultat est une réalisation à la fois dynamique et contrastée dans les pièces cinétiques (de ce point de vue, la Valse Accelerationen de Strauss junior est absolument irrésistible) ; subtile et diaphane, répugnant à toute forme de complaisance, dans les morceaux qui respirent une discrète nostalgie (Wolgalied, extrait de l’opérette Der Zarewitsch de Franz Lehár). À ce sujet, existe-t-il meilleur indicateur que la rituelle, roborative et incontournable Radetzky-Marsch, laquelle, flanquée d’une Titsch-Tratsch-Polka menée à un train d’enfer, a clôturé le concert ?

Remarquable de diversité, bousculant – qui plus est – un tantinet le conformisme d’une certaine tradition, dans la mesure où Lehár, fort des opus déjà cités, auxquels s’ajoutent la valse Gold und Silber, les airs Freunde, das Leben ist lebenswert (de Giuditta), et Dein ist mein ganzes Herz ainsi que Wer hat die Liebe uns ins Herz gesenkt (tous deux tirés de Das Land des Lächelns), y est surreprésenté, et que tous ces airs, confiés à Nikola Hillebrand (soprano aux aigus cristallins) et Michael Schade (ténor à la voix de stentor), s’y taillent la part de la lionne et du lion, ce mémorable millésime 2022, pétillant comme du champagne, ne manque pas de surprendre, tout en s’écoutant avec énormément de plaisir.

José Voss
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