La problématique du logement est criante pour les bénéficiaires de protection internationale

En manque de toit

d'Lëtzebuerger Land du 12.03.2021

Lors de sa fermeture en 2015, l’ancienne maternité, située route d’Arlon à Luxembourg, a été transformée en centre d’accueil et d’hébergement pour réfugiés. 110 places sont aménagées dans cette structure gérée par la Croix-Rouge. « Au courant de l’année, la structure d’accueil sera fermée », confirme Sandy Fournelle responsable de la communication de l’Office national de l’accueil (Ona) à la demande du Land. « C’est la vie classique et logique des foyers : on en ouvre et on en ferme régulièrement en fonction de l’état des bâtiments et des accords avec les communes », ajoute-t-elle en parlant de 66 lits qui vont ouvrir à Bascharage le mois prochain. « Tous les intervenants actifs à l’ancienne maternité (Ona, Service Migrants et Réfugiés, Lisko, l’Office sociale de la Ville de Luxembourg, etc.) soutiennent les BPI qui y résident actuellement pour les aider à trouver un logement durable », affirme la Croix-Rouge.

Comme dans beaucoup de foyers, une grande partie des personnes qui vivent dans l’ancienne maternité ne sont plus des DPI (demandeurs de protection internationale), mais des BPI (bénéficiaires de protection internationale), des personnes ayant obtenu leur statut de réfugié. Selon les chiffres communiqués par l’Ona, à la fin février 2021, 1 580 des 3 582 lits occupés dans les centre de l’Ona l’étaient par des BPI, soit 44,1 pour cent de personnes qui devraient pouvoir quitter les structures d’hébergement et vivre comme n’importe quel citoyen du Luxembourg. Ils payent une participation mensuelle aux frais (logement, nourriture, chauffage, wifi…), calculée en fonction de la situation du BPI : revenu d’inclusion sociale (Revis) ou travail rémunéré, personne célibataire ou famille (avec combien d’adultes et d’enfants), allocations familiales...

Trouver un logement décent à prix abordable sur le marché privé est un casse-tête pour une grande partie de la population du Luxembourg. Il est bien évident que c’est encore pire pour les BPI qui ont en outre des difficultés à trouver un emploi et qui doivent souvent faire face à des préjugés ou du racisme. « Et pendant cette période de crise sanitaire, c’est encore plus compliqué et plus long », reconnaît Sandy Fournelle. Aussi, offices sociaux, Agence immobilière sociale, Société Nationale des Habitations à Bon Marché, Fonds du logement et associations assistent les BPI dans leur recherche de logement.

La Croix-Rouge, comme Caritas ont mis en place des services spécifiques : le Lëtzebuerger Integratiouns a Sozialkohäsiouns Zenter (Lisko) pour l’un et le Logement pour l’inclusion sociale (LogIS) pour l’autre. Ils ont chacun pu aider quelque 600 personnes avec environ 200 unités de logement de part et d’autre, disséminés dans tout le pays. Il s’agit d’accompagner les BPI dans leur recherche de logement en étant en contact avec les propriétaires ou les agences immobilières ou, dans une grosse moitié des cas, en mettant en place la gestion locative sociale. Dans ce cas, l’ONG signe le bail et loue à ses bénéficiaires à un prix modéré. Un accompagnement social des bénéficiaires est également proposé. Les ONG mettent en place un des formations et ateliers pour comprendre comment s’y prendre pour trouver un logement sur le marché privé, détailler ce qu’est un bail ou un état des lieux, comment s’intégrer dans la vie locale. Le service Lisko se porte même financièrement garant du loyer pendant un an, si la personne remplit une série de conditions (revenus, épargne, participation aux workshops…).

Population solidaire

« Les associations et les ONG jouent le jeu, elles font ce qu’elles peuvent, mais ça ne suffit pas et le gouvernement compte sur la générosité et la solidarité de la population », s’emporte une professeure confrontée presque tous les jours aux difficultés de ses élèves et anciens élèves. « Ils sont baladés de foyer en foyer, on leur dit simplement de s’inscrire sur une liste d’attente pour un éventuel logement social, ils sortent de la scolarité pour gagner leur vie… », énumère celle qui en vient parfois à loger des jeunes chez elle.

La solidarité de la population, Marianne Donven connaît bien. Avec son association Oppent Haus, 137 personnes ont trouvé des logements dans des familles du Luxembourg. « On pourrait encore aider d’autres personnes, mais on se heurte à la question de la communauté domestique qui ne permet plus de toucher le Revis après un an dans une famille », regrette-t-elle. Pour éviter les abus, la loi du Fonds de solidarité, qui distribue le Revis, indique que les personnes vivant à la même adresse sont considérées comme un même ménage dont les revenus sont examinés ensemble pour l’octroi ou non du Revis. Une latence d’un an est cependant accordée. « J’ai vu le cas d’un Syrien de soixante ans, qui ne pourra donc plus travailler, qui a refusé un hébergement dans une grande maison pour ne pas perdre son seul revenu. Il vit maintenant dans une chambre au-dessus d’un café. C’est quand même très dommage », relate-t-elle.

« C’est un problème dont je suis consciente et pour lequel j’insiste qu’on trouve une solution », répond Corinne Cahen, la ministre de la Famille (DP) vis-à-vis du Land. « Il faut faire évoluer la loi pour que ces cas puissent être pris en compte, en s’appuyant sur les associations avec lesquelles nous travaillons et en qui nous avons confiance. Nos juristes planchent sur la question ».

D’autres associations apportent des réponses comme le WG Projet de l’asbl Life. « Nous avons pu conclure vingt colocations dans une quinzaine de communes avec une centaine de personnes, dont trente BPI », relatent Gary Diderich et Nathalie Reuland, qui démontrent ainsi « à quel point de telles initiatives privées aident à combler au manque structurel de logements pour ces personnes et contribuent à leur intégration ». L’association est l’interlocutrice des propriétaires et le signataire du bail, elle propose ensuite des contrats individuels à chaque colocataire, ce qui leur permet d’être considérés séparément et de ne pas tomber dans la communauté domestique décriée plus haut.

Travail en amont

« Le travail d’intégration doit commencer dans les foyers avec l’apprentissage des langues ou le suivi scolaire pour que les BPI deviennent autonomes le plus vite possible. Nombreux sont nos résidents qui appréhendent la sortie du foyer et de devoir vivre seuls dans un logement, livrés à eux-mêmes dans une société souvent très différente de la leur où ils n’ont que peu de repères », soutient Jérémie Langen, responsable de service Foyers DPI chez Caritas. « Vivre longtemps en foyer peut mettre à mal la motivation d’intégration de départ, puisqu’il faut composer avec des conditions de vie compliquées. Un homme ne peut y tenir son rôle de père : il n’a pas le droit de travailler pour subvenir aux besoins des siens », abonde Marc Josse, Chargé de direction du Lisko (dans le Crossroads, le magazine de la Croix-Rouge).

C’est précisément ce que dénoncent et regrettent de nombreuses associations qui viennent en aide aux réfugiés. « Il y a une tendance paternaliste dans l’encadrement des réfugiés qui nuit à leur autonomisation », martèle Frank Wies, avocat, membre de la Commission consultative des hroits de l’Homme et du Lëtzebuerger Flüchtlingsrot. « On leur interdit de travailler. On préfère leur donner des aides matérielles (foyer, repas…), plutôt que du travail (seulement 22 autorisations d’occupation temporaire ont été délivrées en 2020, ndlr) ou de l’argent qu’ils pourraient gérer et gagner ainsi en autonomie. Il faut cesser d’infantiliser les réfugiés et les préparer au plus vite à la suite pour les considérer comme des citoyens à part entière. »

Ginette Jones, présidente de l’Entente des Offices sociaux suggère une approche « audacieuse et anti-bureaucratique » et propose de remplacer le dispositif existant de la garantie locative par un « crédit garantie locative », immédiatement accessible à la personne lors d’une location et de créer un « crédit accès logement » dans le cadre du Revis, mobilisable sur base d’une enquête sociale et de la demande formulée par la personne elle-même. Des réflexions qui doivent être menées au niveau du gouvernement, de manière interministérielle (Famille, Affaires étrangères, Logement, Travail…).

France Clarinval
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