Projet de loi contre le blanchiment et le financement du terrorisme

Un choix politique

d'Lëtzebuerger Land du 30.09.2010

D’lëtzebuerger Land : Dans son avis, l’Ordre des avocats critique sévèrement la manière dont le gouvernement a déposé un projet de loi au mois d’août et fait pression pour qu’il passe les instances législatives en toute vitesse. Il s’agit d’éviter que le Luxembourg ne se retrouve sur la liste grise du Gafi (Groupe d’action financière). Vous ne vous sentez pas concernés par la mauvaise réputation du Luxembourg en matière de finances ?

Gaston Stein : L’Ordre des avocats se sent concerné par la bonne réputation de la place financière et de ses avocats. Il n’est pas opposé à la politique générale de cette loi, la lutte contre le blanchiment. Dans notre avis, nous avons critiqué l’extension généralisée de la mini-instruction aux affaires de blanchiment. Il faut savoir qu’en 2006 encore, le gouvernement avait expressément exclu ces affaires de l’instruction simplifiée, car il considérait – à raison – qu’il s’agissait là d’une matière sensible et de haute technicité. Aujourd’hui, cet argument ne vaudrait plus rien ?

Le gouvernement propose d’introduire cette mini-instruction pour désengorger le cabinet d’instruction. Le Conseil d’État se montre réticent et la Chambre de commerce propose, elle, de séparer la Cellule de renseignement financier (CRF) du Parquet et d’en faire plutôt une autorité administrative indépendante.

Gaston Stein : Le Conseil de l’Ordre a toujours été d’avis qu’il fallait faire de la CRF une entité séparée et indépendante du Parquet. Pour éviter la lenteur de l’instruction des affaires de blanchiment, il faut d’avantage étoffer le cabinet d’instruction par des magistrats spécialisés qui s’occupent exclusivement de cette matière-là. De cette façon, les droits de la défense pourront être sauvegardées. Si nous devions nous orienter vers un système accusatoire, il faudrait revoir le texte et aménager des garanties quant aux droits de la défense.

En pratique, l’introduction de mini-instructions ne servira certainement pas à rendre les procès plus rapides. Bien au contraire, si les affaires, après mini-instruction, sont traitées au niveau du tribunal, les parties demanderont des contre-expertises, l’audition d’autres témoins, demandes auxquelles le juge du fond réservera des suites pour palier la mini-instruction. La procédure risque de durer plus longtemps que ce n’est le cas maintenant. Car actuellement, les enquêtes et les expertises se font pendant la phase de l’instruction. Il est toujours possible qu’il y ait un non-lieu et que l’affaire ne passe pas devant le tribunal. Avec la mini-instruction, ce serait différent et l’engorgement se fera alors davantage au niveau des tribunaux, ce qui n’est pas logique. Les juridictions de jugement n’ont pas à faire une deuxième instruction. Lorsqu’une affaire est instruite au cabinet d’instruction, elle reste sous le secret de l’instruction. Lorsqu’elle est renvoyée au tribunal, elle devient publique. Donc même si finalement il y a un acquittement, la réputation du prévenu est ternie et elle le restera.

Selon le rapport 2009 de la CRF, le nombre de déclarations de soupçon de la part des avocats est resté insignifiant. C’est une des raisons qui ont poussé le Gafi à émettre des doutes quant à l’efficacité de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme au Luxembourg.

Gaston Stein : Faudrait-il inventer des dossiers pour satisfaire certains ? Le Gafi considère que le Luxembourg dispose d’une place financière importante et que par conséquent le blanchiment y est important. Ce n’est ni plus ni moins qu’une profession de foi. L’Ordre des avocats a sensibilisé ses membres aux problèmes du blanchiment par des circulaires et des conférences et les déclarations ont augmenté l’année passée.

Lorsqu’un avocat soupçonne un de ses clients, il est tenu de vous faire une déclaration en tant que bâtonnier. Selon le CRF, il n’ y en a eu que six l’année dernière. Est-ce que vous en avez retenu que vous n’avez pas transmis aux autorités parce que vous estimiez qu’elles n’entraient pas dans le champ d’application de la loi ?

Gaston Stein : Les six déclarations que nous avons reçues ont toutes été transmises au Parquet.

Y a-t-il eu des affaires qui ont été portées devant le Conseil disciplinaire et administratif ces dernières années ?

Gaston Stein : Non, pas pour cette matière-là.

Charles Kaufhold : Il faut savoir que la démarche qui consiste à aller dénoncer son client est en elle-même répugnante pour l’avocat. Elle met en cause le fondement de notre profession qui est le secret professionnel. C’est la raison pour laquelle il faut arrêter de vouloir continuer à y porter atteinte.

Gaston Stein : D’ailleurs, le Gafi ne va pas aussi loin que le gouvernement de demander explicitement l’extension de la mini-instruction aux affaires de blanchiment et de terrorisme. Nous nous trouvons ici en plein cœur de la politique. La place financière se porte bien et elle fait des jaloux, il faut trouver les moyens de l’égratigner. Il est plus facile de s’attaquer à un petit pays qu’à une grande île.

Est-ce que des initiatives ont été lancées au niveau du Conseil de l’Ordre pour encourager les dénonciations ou du moins pour éviter que des avocats ne se fassent instrumentaliser par des clients peu scrupuleux ?

Gaston Stein : L’Ordre des avocats est en train de se doter d’un outil informatique simple, qui permettra aux avocats d’effectuer les contrôles d’identité nécessaires. Il s’agit d’un outil de recherche par lequel l’avocat peut accéder à toutes sortes de listes reprenant les personnes douteuses, qui ont été mises en relation avec le terrorisme, le trafic de drogue etc. Les cabinets d’affaires disposent de ces données, mais il s’agit plutôt de permettre aux études de moindre taille, qui ne disposent pas elles-mêmes d’outils de recherche nécessaires, de se renseigner.

Vous comptez aussi instaurer un contrôle confraternel. Comment cela va-t-il se passer, est-ce qu’un avocat pourra aller voir ce que l’autre est en train de mijoter ?

Charles Kaufhold : C’est un nouveau domaine pour nous, c’est vrai que cela ne fait pas partie de nos habitudes d’aller contrôler les confrères. Récemment, j’ai participé à une réunion de la Fédération des barreaux d’Europe et j’ai demandé à mes confrères de nos pays voisins comment ils s’y prenaient. La Belgique et l’Allemagne ne prévoient rien de tel. En France, les avocats doivent répondre à un questionnaire. Nous nous sommes inspirés de cette démarche-là. D’abord, nous avons informé nos confrères en élaborant à leur intention les procédures à respecter en matière d’anti-blanchiment. Ensuite, après avoir laissé un délai à nos membres pour qu’ils puissent se rendre conformes, nous avons élaboré un questionnaire, que nous avons porté à leur connaissance déjà avant les vacances judiciaires. Dans les prochaines semaines, nous enverrons ce questionnaire à un échantillon d’avocats qui devront y répondre dans un bref délai. Cet échantillon sera déterminé en partie par la voie du sort et en partie par d’autres critères comme le genre d’affaires traitées normalement par les différentes études. Mais c’est clair qu’il faudra laisser aux cabinets de petite taille la chance de se conformer aux nouvelles règles avant d’entrer en action. Car il faut savoir que la loi anti-blanchiment de 2008 concerne aussi bien l’avocat qui travaille seul que les grandes études d’avocats internationales. C’est un engagement notable pour tous les cabinets, en temps, en personnel, en frais. Car il ne suffit pas de refuser un certain genre de dossiers pour éviter de tomber dans le champ de la loi anti-blanchiment. Même une affaire de divorce ou une simple affaire de succession peuvent se révéler délicates de ce point de vue-là, par exemple lorsqu’il s’agit de la liquidation ou de la réorganisation du patrimoine. Non, il faut laisser aux avocats le temps de se rendre conformes aux nouvelles exigences de la loi. Nous y travaillons assidûment.

Gaston Stein : Pour être clair, il s’agit pour nous de sensibiliser, de prévenir le blanchiment des capitaux et ainsi éviter de devoir le sanctionner. Il s’agit de tarir les flux qui permettent de financer le terrorisme, le trafic de drogues ou d’armes etc. Les cas avec lesquels nous avons eu à faire, en étaient très loin. Les personnes malintentionnées dorénavant seront sur leur garde, et se tourneront vers d’autres places financières moins sensibilisées aux problèmes. Le résultat final : il y aura encore moins de dénonciations. Qui nous critiquera ?

Au niveau du Conseil de l’Ordre, nous allons pousser nos membres à plus de formation en la matière et le contrôle confraternel, tâche difficile et ingrate pour « les contrôleurs », aura des effets positifs. Personnellement, je n’aimerai pas fouiller dans les affaires des autres. Mais l’Ordre le fera.

Charles Kaufhold : Ne serait-ce que pour éviter que les critiques du Gafi ne se répètent et pour sauvegarder l’image de notre place.

Il y va de la crédibilité du Conseil de l’Ordre et du Conseil disciplinaire et administratif, non ?

Gaston Stein : Comme je viens de le dire, le Conseil de l’Ordre remplit et remplira sa fonction en cette matière. L’efficacité de la CRF de son côté a été sévèrement critiquée par le Gafi. Elle a pourtant bien fait son travail, non ?

Charles Kaufhold : Nous faisons tout pour faire respecter par tous les avocats les exigences nouvelles, désagréables et très contraignantes des lois anti-blanchiment qui se succèdent à un rythme effrayant. Ce n’est pas toujours facile pour les membres de notre profession. Les banques peuvent bien se permettre d’embaucher un ou deux compliance officers, ce qui n’est pas le cas de tous les bureaux d’avocats. Nous risquerions à la fin de ne voir survivre que les gros cabinets au détriment de l’avocat individuel et indépendant, parfois rebelle, mais indispensable dans une société démocratique. La question que nous posons dans notre avis est aussi celle de la légitimité du Gafi. Quelle est la garantie de son impartialité ? A-t-il vraiment les pouvoirs qu’il se donne ? Je pense que nous devons veiller à nous en tenir strictement aux textes internationaux.

Gaston Stein : En résumé et pour conclure, je regrette l’empressement et la hâte avec lesquels cette loi sera votée. Il s’agit d’une loi de circonstance qui contient pourtant de la matière à discuter en détail. Bref, nous ne pouvons l’accepter telle quelle alors que les droits de la défense y sont sacrifiés de façon disproportionnée au but recherché.

anne heniqui
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