Le volet luxembourgeois de l‘Angolagate a été enterré en 2005. Il y a quand même en instruction une affaire dans l‘affaire, mais c‘est une question de gros sous

L’incroyable destin de l’argent de l’Angolagate

d'Lëtzebuerger Land du 16.09.2010

Pour cinquante millions de dollars de commissions de gestion impayées, deux financiers1, M.X et Y, ont fait remonter à la surface le volet luxembourgeois de l’affaire de l’Angolagate, du nom d’un scandale lié au rachat par la Russie de la dette angolaise et à des ventes d’armes par l’intermédiaire du milliardaire israélo-russe Arcadi Gaydamak. Selon les éléments d’une enquête policière toujours en cours, des fonds liés à l’oligarque russe, considéré comme un fugitif en France, ont notamment alimenté, pour se donner un semblant d’orthodoxie, la Fondation Matanel qui a entre autres parrainé la venue en 2009 à Luxembourg du prix Nobel de la paix Elie Wiesel.

Condamné par contumace à de la prison en France à l’issue d’un retentissant procès aux côtés du marchand d’armes français Pierre Falcone et du fils aîné d’un ancien président français, Arcadi Gaydamak a détourné une partie de l’argent de la dette en dissimulant des fonds importants au Luxembourg, entre Alcor Bank, aujourd’hui disparue, et IBL, devenue dans l’intervalle Sella Bank Luxembourg et plus récemment Banque BPP (lire ci-contre). La première banque n’a pas survécu à l’affaire et la seconde subit encore les conséquences de ces ravages.

Trois montants originels furent versés au Luxembourg par Gaydamak, qui fit pour cela intervenir des hommes de main (dont un ex-directeur adjoint du Mossad, les services secrets israéliens), son implication dans l’Angolagate en faisant une persona non grata dans les établissements financiers occidentaux : deux fois 90 millions de dollars seront injectés puis 180 millions, soit un total de 360 millions de dollars qui fructifieront en cinq ans, de 2000 à 2005, passant aux environ de 1,4 milliard de dollars, selon les gestionnaires et 600 millions selon un rapport de ­police.

En 2005, l’argent, après avoir été bloqué près d’un an par la justice luxembourgeoise, qui avait en main assez d’éléments démontrant l’origine douteuse des fonds, va tranquillement repartir de la Sella Bank Luxembourg sur un compte à Chypre auprès de la Russian Commercial Bank. Les fonds y étaient d’ailleurs encore au début de l’année, un autre blocage intervenu à la demande des deux gestionnaires X et Y empêchant Gaydamak d’en disposer librement. Ils devaient être toutefois restitués à leur « propriétaire », selon une information de la presse israélienne, confirmée au Land par Monsieur X.

Sella avait reçu le feu vert des autorités judiciaires pour laisser filer l’argent de Luxembourg. Il a fallu l’intervention de plusieurs avocats luxembourgeois pour parvenir à ce but.

Une enquête judiciaire d’Israël, relayée ensuite par le Luxembourg au printemps 2004, a permis de remonter la piste de l’argent de Gaydamak à Luxembourg, mais aussi celui d’un autre oligarque russe, Victor Malkin : quatre fonds d’investissement ont été identifiés au printemps 2004, Doxa Fund II, Premium Fund, Global Alpha Star et Global Market Opportunities Fund, tous les quatre relevant des Iles vierges britanniques (BVI). Gaydamak se cache derrière les trois premiers et Victor Malkin, alias Ben Bar Avhior, apparaît comme le propriétaire du quatrième, selon des documents en possession du Land. D’après un rapport de la PJ, la pratique de dissimuler les bénéficiaires économiques était courante à cette époque.

Seuls les fonds liés à Gaydamak, alias Arie Bar Lev, sont au cœur de la bataille judiciaire qui oppose depuis cinq ans le milliardaire russe à ses anciens gestionnaires au Luxem­bourg.

L’affaire a démarré à la suite d’une demande de rachat auprès de Sella Bank Luxembourg par la société Paolim Trust, se présentant comme une filiale à part entière de la banque Hapoalim en Israël, des souscriptions d’un des fonds pour transférer l’argent sur un compte d’une autre filiale d’Hapoalim à Tel-Aviv. La banque luxembourgeoise, comme la législation anti-blanchiment l’y oblige, exige alors de Paolim Trust la communication du bénéficiaire économique. Dans un premier temps, le trust prétend agir pour son propre compte, puis se ravise. C’est à ce stade que le nom de Arie Bar Lev, le nom israélite de Gaydamak, apparaît. Les enquêteurs israéliens et luxembourgeois établissent alors un parallèle entre les 360 millions de dollars investis dans les trois fonds d’investissement et le montant de 350 millions de dollars qu’il a gagné en 2001 suite à « ses activités illégales ».

Il faut aussi ajouter qu’à l’époque où des hommes de main de Gaydamak tentent de récupérer l’argent placé au grand-duché, Sella Bank a fait le ménage en interne et licencié ses deux principaux dirigeants, impliqués dans une autre affaire de blanchiment liée à une compagnie aérienne néerlandaise. Les interlocuteurs ont donc changé et la banque luxembourgeoise, dans le collimateur des autorités, soigne sa réputation.

Pour replacer l’affaire dans l’affaire, il convient de rappeler certaines généralités sur le fonctionnement d’un fonds d’investissement. Un fonds répond à des schémas précis. Il doit ainsi être adossé à une société de gestion ou société de management, qui a pour mission les décisions d’investissement. Cette société détient en principe les droits de vote pour contrôler la structure du fonds d’investissement dans son ensemble. Les investisseurs détiennent quant à eux les actions sans droit de vote et ne peuvent prétendre qu’au remboursement de leur capital, augmenté le cas échéant des performances de gestion. La société de management est rémunérée par le fonds pour ce travail ainsi que les performances sur les revenus. Cette fonction, bien qu’indirectement, avait été confiée entre 2000 et 2005 à X et Y, qui réclament depuis des années le paiement de leurs commissions, alors que l’argent de trois des principaux fonds, bloqué un temps par la justice luxembourgeoise, a été relaxé à la suite d’une incroyable bévue.

X et Y se partageaient à 50/50 le capital des sociétés de gestion, via des sociétés exotiques, hébergées dans des paradis fiscaux. Une petite partie de l’argent des commissions de gestion a été retrouvée sur un compte en Suisse, le gros restant néanmoins encore impayé.

Un jugement du tribunal de commerce a d’ailleurs confirmé cette filiation indirecte entre X et Y et les sociétés de gestion de Doxa, Premium et Global Alpha Star. Toutefois, d’autres intermédiaires en revendiquent également l’appartenance : un ressortissant Israélien, M. Z, qui partage son temps entre le Luxem­bourg et Tel-Aviv, et son beau-frère, administrateur de sociétés qui dirige une fiduciaire au grand-duché avec sa soeur. On présente M. Z comme un proche de Gaydamak.

C’est lui en tout cas qui ira démarcher le Parquet de Luxembourg pour qu’il débloque les fonds gelés à Sella Bank et mandate les vedettes du barreau pour plaider l’origine non délictuelle des fonds d’investissement, arguant qu’il s’agissait de l’argent d’une fondation religieuse en Israël, la Dorset Fundacion (nom cloné d’une vraie fondation), qui alimentait elle-même une trentaine d’organisations charitables et religieuses. Or, l’enquête a jusqu’à présent montré que cette fondation n’était qu’un leurre destiné à berner la justice sur l’origine prétendument orthodoxe de son argent. Arcadi Gaydamak tirait en réalité les ficelles et l’argent, une fois sorti du Luxembourg, n’a que peu alimenté des œuvres caritatives (mis à part la Fondation Matanel). Il est allé en grande partie sur le compte en banque à Chypre de Gaydamak, comme en a témoigné un ancien dirigeant de Sella Bank dans le cadre de l’enquête judiciaire. Z aurait donc, selon les accusations de MM. X et Y dans une plainte pour faux et usage de faux qu’ils ont introduit, il y a plus de quatre ans et qui est toujours actuellement en instruction, utilisé des faux documents pour démontrer la licéité de l’argent, en fait lié à l’Angolagate et Gaydamak.

L’homme se serait ainsi approprié le contrôle des sociétés de management, et de cette manière l’argent des fonds d’investissement, en falsifiant la signature d’autres administrateurs, qu’il va éliminer tour à tour des conseils d’administration pour s’y mettre lui-même ainsi que plusieurs de ses proches. Plusieurs témoignages des administrateurs mis hors-jeu, dont le Land a eu connaissance, ont d’ailleurs mis en cause l’authenticité des procès-verbaux des assemblées des sociétés de gestion. Si X et Y ont saisi la justice, Z l’a fait également, arguant de sa bonne foi. Sella Bank aussi a mis son grain de sel en déposant à son tour une plainte contre ses anciens dirigeants. Pour gagner du temps et ne pas devoir, selon le principe que le pénal tient le civil en veilleuse, rembourser à X et Y les montants des commissions de gestion alors qu’il était la banque dépositaire des quatre fonds, après que d’autres établissements financiers luxembourgeois le furent.

Qu’ils aient su ou non la provenance de l’argent de Gaydamak ou qu’ils aient eu connaissance uniquement de l’identité des bénéficiaires économiques des fonds d’investissement, qui n’étaient que des hommes liges du milliardaire, MM. X et Y ne désespèrent pas de recouvrer un jour leurs cinquante millions d’euros, le prix de leur gestion et de leurs performances, le capital initial de 360 millions ayant été quasi multiplié par cinq en cinq ans.

Cinq ans après les faits, cette affaire fait quand même s’interroger sur les raisons qui ont empêché la justice luxembourgeoise d’ouvrir sa propre enquête nationale pour blanchiment, ce qui aurait eu pour effet immédiat de ne pas laisser sortir aussi vite du Luxembourg l’argent de la dette angolaise et des ventes d’armes et à plus long terme déboucher sur un « vrai procès » de l’argent illicite et non pas une bataille judiciaire dont le seul enjeu est finalement une affaire de gros sous. En Suisse, où des flux d’argent douteux avaient été repérés, l’affaire fut également enterrée.

Dans cette affaire, il y a sans doute eu tout un faisceau de malentendus. La justice israélienne, qui a d’abord mené son enquête en secret et agi dans le cadre de l’échange de renseignements entre cellules de renseignements financiers (FIU), n’a jamais transformé son essai au Luxembourg en y envoyant par exemple une commission rogatoire internationale. Une enquête pour blanchiment a bien été engagée, mais uniquement en Israël.

Il faut dire qu’à l’époque des faits, Arcadi Gaydamak briguait la mairie de Jérusalem et était un homme politique en vue dans ce pays.

C’est donc uniquement à la suite d’une série de plaintes avec constitution de partie civile que l’affaire poursuit son cours chaotique au Luxembourg, avec deux juges d’instruction différents et un enquêteur qui, suite à une mutation, a dû passer le relais à une jeune collègue de la PJ, qui doit reprendre le dossier à zéro.

 

1 Le Land ne souhaite pas communiquer leurs noms, ni ceux des autres protagonistes, pour des raisons de protection de la vie privée. MM. Gaydamak et Malkin sont des personnalités publiques.

Véronique Poujol
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