SelecTV

Ambitions avortées

d'Lëtzebuerger Land du 08.08.2002

C'est fini. SelecTV, le bouquet numérique de programmes de télévision a mis la clef sous le paillasson le 31 juillet. C'était prévisible. Depuis le début de l'année, la société derrière le projet, Aurora, ne payait plus ses fournisseurs et partenaires. C'est l'échec d'un projet lancé peut-être un ou deux ans trop tôt. Mais c'est avant tout l'échec d'une stratégie trop ambitieuse du seul maître à bord d'Aurora, l'Américain Jeff Jackson. 

Le projet SelecTV est entré dans sa phase concrète en 1998. Déjà, Jackson annonce un budget de 150 millions de dollars.  En réalité, il se contentera de beaucoup moins. Dans le cadre d'une société en commandite simple (secs) - Jackson a un réel faible pour ce type de sociétés, à ce qu'il semble pour des raisons fiscales - Dexia-BIL investit 5,9 millions d'euros dans le projet. Ce sera suffisant pour payer l'équipement technique et les décodeurs de SelecTV. Jackson n'hésitera pas pour autant à annoncer plus tard un investissement tournant autour de 20 millions d'euros.

Auparavant, Aurora se sera  retrouvé déjà une première fois au bord du gouffre. La plateforme technologique a  été mise en place dans un temps record au printemps 1999, le volet commercial restait par contre à la traîne. Il s'agissait en particulier des accords avec les câblo-opérateurs, supposés distribuer le signal de SelecTV. Faute d'avancée, Dexia-BIL aurait dès 1999 fermé son tiroir caisse à Jackson. 

Il fallait finalement attendre encore un fois plus d'un an et l'arrivée d'un nouvel investisseur de taille, en septembre 2000, pour voir SelecTV prendre son envol. Le britannique 3i, un des très grands du capital risque, est annoncé comme nouvel actionnaire d'Aurora. Grâce à un apport de 46 millions d'euros, 3i est supposé entrer à hauteur de 73,5 pour cent dans le capital Aurora.

Un an plus tard pourtant, Jeff Jackson doit déchanter. Alors que la bulle de la «nouvelle économie» éclate, 3i réduit son engagement. Selon Jackson lui-même, la société de capital risque aurait quand même investi  6,5 millions d'euros dans Aurora sur les 46 promis. SelecTV atteint alors aussi  son maximum d'abonnés: 2 100. 

SelecTV n'était pas pour autant condamné après le retrait de 3i. Certes, l'idée initiale était d'utiliser le Luxembourg comme vitrine de la faisabilité du projet, mais de le rentabiliser sur des marchés plus importants, en premier lieu l'Allemagne. Il n'est pas moins vrai que SelecTV aurait aussi pu atteindre l'équilibre sur le seul marché grand-ducal. Il aurait fallu quelque 5 100 clients. Les frais opérationnels auraient pu être  revus à la baisse: s'installer en zone industrielle plutôt qu'au Rousegaertchen; revoir à la baisse le salaire du patron. Une idée qui n'était pas du goût de Jeff Jackson. 

L'Américain a toujours vu grand, très grand. Son but n'est pas de réussir une petite affaire au Luxembourg ou au moins y attendre que les conditions de la réussite soient réunies. L'ambition de Jackson va au delà: devenir milliardaire. Avec la télévision à péage seule, ce n'était pas possible. Jackson a donc donné la priorité à la «convergence», les services Internet par câble sur base du réseau SelecTV.  Or, cette technologie se faisait attendre. Toute promotion pour SelecTV était en conséquence mise en veilleuse. Une stratégie du tout ou du rien qui a échouée. Devant les pertes qui s'accumulaient, les partenaires de Jackson, en premier lieu les P[&]T, ont finalement mis un terme à l'aventure la semaine dernière. 

Grâce aux paiements mensuels de ses abonnés, SelecTV avait certes su payer ses salariés jusqu'à la fin. Les fournisseurs de programmes et de services n'ont par contre pas vu un sou depuis le début de l'année. Aurora laisserait derrière elle des dettes pour 1,5 million d'euros.

Pour Jeff Jackson, il ne faut pas trop s'en faire. Même s'il se serait déjà présenté à l'ADEM (il avait aussi profité lui-même du plan social d'Aurora), il reste toujours administrateur délégué de Festival, une société  fondée avec la complicité de Paul Helminger et qui produit une chaîne musicale. Cette dernière ayant été diffusée par SelecTV, elle au moins a fait des bénéfices dans l'affaire. Il vaut mieux. Festival finance après tout deux des voitures de luxe de Jackson. j

Jean-Lou Siweck
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