Yvan en Avignon

Le bestiaire des législatives

d'Lëtzebuerger Land du 05.07.2024

Parti en Provence pour couvrir, à l’invitation de votre hebdo préféré, les festivals de l’été, Yvan se retrouve en spectateur ahuri et impuissant d’un drôle de spectacle : une comédie du pouvoir qui, en quelques scénettes, risque de se muer en tragédie de la démocratie. Avec un premier acte qui se résume aux 33 pour cent des voix récoltées par les héritiers du Front National aux dernières élections européennes, un deuxième acte qui est le coup de théâtre de la dissolution de l’Assemblée nationale, un très bref entracte de trois semaines de non-campagne électorale, un troisième acte avec les deux scènes des tours de scrutin, un quatrième acte, enfin, qui attend un hypothétique deus ex machina pour recoller les débris du débat démocratique. Les désistements entre les deux tours (francs et sans tergiversation du côté de la gauche, hésitants, ambigus, hypocrites et incomplets du côté de la droite) ont rendu plutôt improbable la catastrophe annoncée d’une majorité absolue fascisante à l’Assemblée. Votre serviteur parie donc sur une large majorité relative du RN, une (plus ou moins) forte opposition de gauche et un reste de minorité présidentielle. Le président, ou ce qu’il en reste, sera donc tenté de nommer un gouvernement apolitique de technocrates, ce qui, après tout, a toujours été son vœu le plus cher. N’a-t-il pas œuvré, tout au long des sept ans passés à l’Élysée, à casser la droite et la gauche et donc, par conséquent, le débat démocratique, à remplacer la gent politique par les managers des agences de consultants, à ne pas voir, in fine, qu’au royaume du président aveugle, les héritiers du borgne risquent d’être roi ?

La région Paca et, plus particulièrement la Provence, a été parmi les premières à prêter l’oreille au chant des sirènes de l’extrême-droite, à installer des maires FN à Orange et à Fréjus, à élire quatre députés RN sur cinq dans le département du Vaucluse. Mais ce soir, ou plutôt cette nuit, Avignon, le chef-lieu du 84, sera aussi la capitale de la résistance. Acteurs et comédiennes, musiciennes et metteurs en scène, tout ce petit monde des saltimbanques, ne dormant plus depuis le 9 juin, a décidé d’organiser aujourd’hui-même une nuit blanche pour faire front aux ténèbres bruns. De minuit jusqu’à l’aube, de la Götterdämmerung à la Morgenröthe, Tiago Rodrigues, le directeur du Festival d’Avignon, a invité hommes politiques et femmes artistes, intellectuelles et résistants, femmes du peuple et spectateurs à « une nuit d’union, une nuit de mobilisation, une nuit populaire pour contrer l’inéluctabilité supposée de la victoire de l’extrême-droite ». C’est dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, là où Jean Vilar a fondé le festival, là où ont retenti les slogans de 68, là où le mistral a encouragé la lutte des intermittents du spectacle, que démocrates et artistes se donnent rendez-vous pour faire catharsis, en retrouvant Sophocle et Euripide, en repoussant Néron et Caligula. Certains, cependant, à l’instar de la papesse Ariane Mnouchkine, n’hésitent pas à faire leur autocritique : « Nous, gens de gauche, nous, gens de culture, on a lâché le peuple, » écrit-elle dans les colonnes de Libé. Mais qu’en termes condescendants, ces choses-là sont dites ! Ferait-on mieux alors du côté de la culture populaire ? No pasarán, c’est le titre composé par une kyrielle de rappeurs pour faire barrage à l’extrême-droite en scandant « Jordan t’es mort », « Fuck RN », etc., en n’évitant pas toujours, il est vrai, les relents antisémites, mais en exhortant les jeunes des banlieues et d’ailleurs, insensibles à la parole des politiques, à aller voter dimanche contre vents et marées, mais surtout contre les fachos.

Toutes ces cigales retrouvent ainsi les castors, comme on appelle les électeurs de gauche qui, de 2002 en 2022, en passant par 2017, ont inlassablement érigé des barrages contre l’extrême-droite. Travail de Sisyphe, certes, face au travail de sape des termites de droite qui, tout aussi inlassablement, dévorent ces mêmes barrages, à l’image de la macroniste Anne-Laurence Petel qui a littéralement pété les plombs en se maintenant au second tour, alors qu’elle est arrivée en troisième position, face à un socialiste du NFP et avec toute la bénédiction de son Premier ministre qui n’a pas honte d’écrire : « Elle peut compter sur tout mon soutien ! » Du côté des candidats « rassembleurs » nationalistes, on ne compte plus les dérapages antisémites, racistes et anticonstitutionnels, à commencer par la saillie contre « la Franco-Maghrébine qui n’aurait jamais dû être ministre » et les incohérences d’un Thierry Mosca, candidat RN dans le Jura alors qu’il est inéligible, étant « incapable majeur » sous curatelle de justice. Sans oublier Bardella himself qui cite L’étranger de Camus comme son livre préféré, un roman qui met en scène, comme par hasard, le meurtre d’un Arabe.

En cette avant-veille d’une élection dramatique, où est l’Ésope ou le de La Fontaine pour mettre en fables ce drôle de bestiaire hexagonal avec les cigales qui chantent « RN, qu’il se barre de là ! », les castors qui construisent des digues, les termites qui les détruisent … et les hyènes qui se disputeront les morceaux de la charogne ?

Yvan
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