Sur le parking du Bambësch – où d’habitude, les écouteurs avec de la musique rythmée dans les oreilles, je lance une appli sur le téléphone portable, avec le but de courir quelques kilomètres en regardant où je mets les pieds – une silhouette svelte avec un sac à dos imperméable, des chaussures de randonnée et un chapeau noir à bords fins, sous lesquels des yeux aimables, décorés de petits rides fines – certainement dû au fait qu’elle a le rire facile – attend pour une séance de Bëschcoaching.
Karen Decker, éducatrice graduée, artiste, maman, que l’on peut croiser à des vernissages d’architecture, d’art, dans des coffee-shops branchés, propose des cours privés et collectifs de coaching en forêt.
Le Shinrin-Yoku, 森林浴, littéralement « bain de forêt » fut inventé en 1982 – dans le cadre d’une campagne de marketing réalisée par le gouvernement japonais – pour inciter les gens à aller se ressourcer en forêt, suite au constat d’un accroissement de maladies liées au stress, (arrêts cardiaques, dépressions, suicides, ...) post boom économique des années 1970, relate Karen Decker, pour satisfaire mon esprit cartésien. « Si tu passes du temps dans la forêt, le corps va produire des hormones de satisfaction, de joie et le bénéfice se fait ressentir sur une durée prolongée », dit-elle.
De plus, des recherches ont démontré une corrélation entre l’exposition prolongée aux particules émanant des arbres (phytoncides) et la baisse du taux de cortisol (hormone de stress), une prolifération de lymphocytes (killer cells), une régulation du rythme cardiaque et de la pression sanguine, une amélioration du sommeil et de l’humeur, etc. « Une autre étude démontre que les patients d’un hôpital avec vue sur un parc guérissaient plus vite que les patients dont les chambres donnaient sur un parking », souligne Karen.
Intriguée depuis l’adolescence par la culture asiatique – études d’acupuncture et de pharmacopée à l’institut Chuzhen à Paris, apprentissage d’écriture chinoise, diplômée de yoga du visage, pratiquante d’arts martiaux (Kendo, qi gong, tai chi...), méditation Zazen, shintoisme, et j’en passe –, Karen explique les bienfaits du bain de forêt avec bienveillance.
À l’entrée de la forêt, elle me fait m’arrêter, comme à l’entrée d’un temple (le téléphone est resté dans la voiture), et me suggère de faire attention à l’effet que la forêt produit sur moi, sur ma respiration. Nous marchons au ralenti (difficile exercice). Elle propose de faire confiance à mes pieds et de regarder devant moi, vers le haut, observer les couleurs, les jeux de lumière. À ses côtés, la forêt devient un carcan magique, plus coloré, diversifié, odorant, bienveillant, une coulisse musicale, énigmatique, fantastique dès les premiers cent mètres.
« On a créé un environnement où les stimuli externes sont tellement amplifiés, on est toujours en dehors de notre corps, dans le passé ou dans le futur, mais rarement dans le moment même. On n’écoute plus du tout notre corps, on ne fait plus attention à lui et même s’il nous donne des signaux, on a tendance à continuer dans notre roue de hamster qui demande toujours mieux, plus, plus vite! »
« J’avais cette tendance à vouloir tout faire. » Dans le cas de Karen Decker, cela veut dire : travailler comme éducatrice graduée, faire une double formation en médecine chinoise, pratiquer le kendo, apprendre l’écriture chinoise... Plus tard, d’autres obligations se sont rajoutées. La fatigue de jeune maman s’est accumulée. La mémoire défaille, il faut travailler plus. Le corps envoie des signaux (la maladie). La roue de hamster. Crises de panique, tachycardie, ambulance, hôpital. « Vu que ma tête ne voulait pas stopper, mon corps m’a dit de stopper. »
Le processus de guérison de son burn-out était long. « Après six mois, j’ai pris la décision d’aller promener le chien du voisin quotidiennement en forêt, comme une obligation de sortir. J’ai découvert que la forêt me ressourçait le plus, c’était l’endroit où je me sentais le mieux. J’avais une sensation de détente, de relaxation de puiser de l’énergie tout en étant protégée ».
Karen Decker veut partager ce qui l’a aidée à sortir « du trou » en faisant de l’accompagnement de personnes en forêt, quand elle découvre, par le biais de sa mère, un article sur Shinrin Yoku. Elle était ravie ! « Non seulement le concept que je voulais faire existait déjà, mais il était (...) utilisé comme thérapie préventive contre le stress au Japon. » Au-delà des bienfaits médicaux, dit-elle, « il est important de se donner du temps pour regarder, pour observer, pour ressentir. »
Comme exercice pour réveiller les cinq sens, Karen a amené du thé en forêt : observer les convolutions de la fumée, respirer l’odeur légèrement fumée du thé vert, sentir la paroi lisse de la tasse de thé, admirer les couleurs, l’odeur et le goût des groseilles rouges et mirabelles jaunes, respirer et goûter à la menthe fraîche... tout en écoutant le bruit du vent dans les feuilles, le chant des oiseaux... quoi de plus simple pour plonger dans le moment même, si seulement le cerveau avait déjà appris à arrêter de réfléchir... On réserve la prochaine session?