Le naufrage médiatique du président d’hôpital intervient après une escalade au sommet dans les sphères politique et économique. Portrait du très influent « Loulou »

Strange case of Dr Hyde and Mr Schiltz

d'Lëtzebuerger Land du 05.03.2021

Schiltz happens  « Ech verbidde mer et, fir mer Lektiounen an Anstand a Moral ginn ze loosse vu Leit. Ech hu guer näischt dogéint, wann ee jonk, quirreleg, energesch ass. Ech war dat och eng Kéier. Mee ech mengen, da soll een awer net deenen anere Leit Moral an Anstand virhalen. » La posture de Jean-Louis Schiltz, président des Hôpitaux Robert Schuman, lors de la conférence de presse organisée jeudi 25 février pour justifier sa vaccination contre le Covid-19, surprend. C’est un euphémisme. L’image « désastreuse », terme utilisé par un journaliste durant l’événement organisé à l’Hôtel Parc Alvisse pour qualifier la publicité de la vaccination en janvier de l’ancien ministre CSV, 56 ans, s’est amplifiée avec les tentatives de justifications de l’intéressé (la volonté de « sécuriser l’institution », notamment). Ce message d’infaillibilité véhiculé face à ce que d’aucuns considèrent comme un fait du prince a heurté, surtout parce qu’il provient d’un responsable hospitalier représentant du parti chrétien-social. 

La posture (dire merde, en somme) éclaire sur la personnalité de Jean-Louis Schiltz, son ambivalence. Jean-Louis Schiltz, porte un costume avec pochette assortie à la chemise blanche (c’est devenu son gimmick vestimentaire), mais néglige l’aspect capillaire et le rasage. Jean-Louis Schiltz porte des valeurs chrétiennes et préside le plus grand hôpital du Luxembourg, mais il ne se laisse pas donner de leçon de morale. En vrai, un de ses amis nous le confie : Jean-Louis Schiltz s’en fout un peu. D’ailleurs, l’intéressé dit qu’il rappellera « très probablement » suite à notre sollicitation, mais il ne trouve finalement pas le temps, « désolé ». Le projet de portrait patientait dans les tiroirs de la rédaction depuis plusieurs mois dans l’attente de la réouverture des restaurants et d’un déjeuner que l’intéressé a suggéré. Mais, avec cette conférence de presse, Jean-Louis Schiltz a réinscrit lui-même son portrait à l’agenda éditorial. 

Le personnage au côté ours mal léché apparu à la conférence de presse en fin de semaine passée cache un Macher, un homme qui s’accomplit dans les actes plus que dans les justifications. L’intéressé n’aime pas tant fédérer pour plaire que rassembler pour agir, nous confie un proche, Nicolas Buck. Appréciera qui voudra. Son caractère franc-du-collier, authentique, plein de sincérité, quitte à déplaire, lui vaut d’ailleurs le sobriquet (affectueux, comprend-on) de « Loulou ». La communauté des techies à laquelle on l’assimile salue bien volontiers celui qui est aujourd’hui avant tout avocat, « gros bosseur » spécialisé dans la tech law. « Jean-Louis Schiltz jouit d’une très très bonne image dans le monde de la tech », confirme Xavier Buck au Land. L’entrepreneur à succès dans les noms de domaines de l’internet (par la création d’Euro Dns en 2003) et ancien président du cluster ICT l’a eu comme ministre de tutelle, entre 2004 et 2009 (à la Communication). Xavier Buck se souvient du géniteur de Luxconnect en 2006, entreprise à capitaux publics qui a bâti les infrastructures de réseaux luxembourgeoises (y compris des data centres). De fait, l’initiative a brisé le monopole de Post et profité à d’autres opérateurs internationaux (comme AOL) venus dans le cadre du développement de leurs services européens pour la TVA à quinze pour cent, mais qui étaient localement confrontés à des limites techniques. 

Ascension éclair L’avocat Jean-Louis Schiltz est entré en politique en 1999, date à laquelle il a pris sa carte au CSV. Sa famille est liée à l’archevêché, notamment son oncle Mathias, vicaire général et donc responsable des deniers des disciples de Jésus au Luxembourg (président du groupe Saint-Paul, éditeur du Wort, de 1987 à 2002). Jean-Louis Schiltz réside d’ailleurs dans le voisinage des propriétés de l’archevêché le long de l’avenue Marie-Thérèse où trône le palais épiscopal. En 2004, le Land reprend la description de ses détracteurs et qualifie le jeune élu à la Chambre de « petit bourgeois mondain ». Jean-Louis Schiltz est dépeint comme « un peu socialisant » et moins libéral que ses pairs comme Luc Frieden, élu (loin devant) sur la même circonscription. Jean-Louis Schiltz occupait depuis 2000 les fonctions de secrétaire général du parti chrétien-social, avait organisé la campagne « Juncker on Tour », un concept aussi destroy que ce que le parti permettait alors, et avait accédé à la députation malgré les réticences des cadres du parti (Land, 17.06.2004). Bien que huitième sur la liste, il atteint illico les fonctions ministérielles : à la Coopération, à la Défense (en 2006) et à la Communication. Son mandat est notamment marqué par un succès en 2007 dans la négociation avec Bertelsmann (après le départ des actionnaires Havas et Frère) pour le maintien à Luxembourg du siège de RTL (dont il deviendra administrateur en 2017). En coulisse, il œuvre auprès des multinationales du web, comme Amazon, pour les attirer au Grand-Duché. Parmi ses collaborateurs dans cette tâche : Jeannot Krecké (ministère de l’Économie, LSAP), Gaston Reinesch (administrateur général du ministère des Finances), Georges Schmit (premier conseiller au ministère de l’Économie) et Jean-Paul Zens (son homologue au service des Médias). 

Jean-Louis Schiltz est aussi l’un des artisans du très attractif (ancien) régime sur la propriété intellectuelle. Sa concoction en 2007, derrière l’alibi de l’économie de la connaissance et la stratégie de Lisbonne, est né d’une méthode à l’écoute des milieux d’affaires. Le régime a rassemblé un aréopage de revenus soumis à une exonération de 80 pour cent. Citons par exemple ceux des noms de domaines. Son principal exploitant local à l’époque, Xavier Buck, avait convaincu le ministre de tutelle, Jean-Louis Schiltz, rapport d’avocats à l’appui, de l’intérêt d’ajouter les revenus liés à la détention de noms de domaines (.com, .net, etc.) à celle des brevets ou des marques, initialement prévue dans le projet de loi. La loi votée en 2007 (qui aura pour conséquence une nouvelle vague d’étiquetage sur les boîtes aux lettres) sera réformée de fond en comble quelques années plus tard sous la pression internationale, consécutivement au scandale Luxleaks (Land, 12.12.2014). Fort de ses réalisations et de son activité sur la scène politique, Jean-Louis Schiltz capitalise aux élections de 2009 et finit troisième sur la liste CSV au centre, derrière Luc Frieden (loin devant) et Claude Wiseler. Le grand ministère qu’il attend ne lui est pas offert et l’élu s’assoit rue du Marché-aux-Herbes, chef de la fraction. Pour quelques mois seulement. Jean-Louis Schiltz quitte la Chambre pour dynamiser son cabinet et ses activités de conseil aux entreprises internationales de la communication. Le député CSV siège depuis 2010, avec Norbert Becker (proche du DP), au conseil d’administration de Skype, société qui a grandi au Luxembourg avant d’être vendue à eBay puis Microsoft. Il est aussi l’avocat de grands groupes internationaux. Sur le rôle du tribunal de commerce cette semaine, on le voit défendre la holding de télécoms portugaise Pharol (qui détient entre autres Bratel, opérateur brésilien). 

Développement vertical et horizontal Le cabinet Schiltz devient dès lors (quasiment) incontournable s’il s’agit de conseils réglementaires en matière de technologies de l’information et de la communication. Malgré l’alternance et l’arrivée des libéraux au pouvoir en 2013, il aiguille la stratégie gouvernementale en matière de cryptomonnaies. Il préconise une approche hybride où les transactions entrent dans le cadre de la réglementation existante sur les paiements, mais où les opérateurs doivent bénéficier d’un agrément de professionnel du secteur financier. Pour maximiser les chances d’avoir une place financière propre, alors que les bitcoins et autres Ethereum sont suspectés de servir aux blanchisseurs. Schiltz & Schiltz, cabinet qu’il gère avec son frère Franz, détient, estime-t-on dans le cercle de la technologie financière, la majorité des parts de marché pour les demandes d’agréments auprès du régulateur la CSSF. Il deviendra quasiment monopolistique, plaisante-t-on, avec le recrutement en 2018 de la directrice Innovation et Paiements du gendarme des marchés, Nadia Manzari, alors que le Brexit amène dans son sillon son lot d’opérateurs.  Jean-Louis Schiltz & Co ramènent par exemple dans leurs filets le service de paiements d’Airbnb, mais aussi BitStamp. La prometteuse plateforme d’échange de cryptomonnaies d’origine slovène s’installe au Grand-Duché avec un agrément. Non content de fournir l’assistance réglementaire, Jean-Louis Schiltz décide alors d’offrir les services techniques qui collent aux exigences du régulateur. C’est l’objectif de BHS qu’il fonde en 2015 avec Nicolas Buck (Seqvoia, services aux fonds), Marco Houwen et Xavier Buck (Euro Dns). La société est partiellement reprise ensuite par Luc Maquil (fils de l’ancien patron de la Bourse, Michel Maquil). Elle se nomme aujourd’hui Maqit by Schiltz Services. 

Tel un poulpe, Schiltz officie dans les abysses, allonge ses bras, s’adaptant aux couleurs politiques. Son cabinet conseille une fois encore le gouvernement et son ministre socialiste Étienne Schneider sur les aspects juridiques de l’appropriation des ressources spatiales et sur la stratégie économique qui a valu au ministre LSAP l’attention de la presse internationale. Sous les radars encore et pour mesurer la prégnance des brasseurs dans le jeu politico-économique : le cabinet Schiltz & Schiltz, en la personne de Franz, intervient en 2017 dans le processus législatif auprès de Tess Burton, rapporteure (LSAP) pour amender un projet de loi qui allait contrevenir dangereusement aux marges réalisées par les deux grandes brasseries (Diekirch et Bofferding) qui sous-louent les cafés et les chambres aux étages (Land, 01.12.2017). Siègent au conseil d’administration de la Brasserie nationale Jean-Lou Schiltz et Michel Wurth, patron d’ArcelorMittal Luxembourg (et longtemps de la Chambre de commerce), proche du DP. On les retrouve à la tête des hôpitaux Robert Schuman depuis mai dernier, descendus de la Fondation faîtière aux dépens de François Pauly avec qui Jean-Louis Schiltz siégeait au conseil pour les affaires économiques de l’Église à Luxembourg (avec Pit Hentgen, entre autres) et qu’il servait lorsque celui-ci dirigeait la BIL, dont Jean-Louis Schiltz est l’avocat historique. On sourit, d’ailleurs, quand Jean-Louis Schiltz membre du jury du Top 100 Paperjam 2020 livre un hommage appuyé au directeur de l’établissement Marcel Leyers… son client donc. Parmi ses mandants apparaissent également les sociétés de l’archevêché. Le cabinet Schiltz & Schiltz intervient pour Lafayette SA ou encore Maria Rheinsheim SA dans le cadre des reclassements des propriétés foncières avec le nouveau PAG (Land, 05.05.2017), des sociétés dont Jean-Louis Schiltz était administrateur en 2016 et courant 2017… aux côtés de François Pauly. Jean-Louis Schiltz est arrivé à la cinquième position du classement du média économique en 2018… un classement dominé par Norbert Becker. Jean-Lou Schiltz occupe la vice-présidence de la Fedil depuis 2019. Il figure dans les petits papiers de Xavier Bettel et de son cabinet. « C’est lui qui dirige le pays », plaisante son copain de vélo Nicolas Buck. À peine.

Pierre Sorlut
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