Europe de l’Est

Le plan de relance européen divise l’UE

d'Lëtzebuerger Land du 07.01.2022

La hache de guerre est déterrée. La Hongrie et la Pologne s’insurgent contre la Commission européenne qui conditionne le plan de relance européen au respect de l’État de droit. « C’est un sabotage des plus brutaux, a déclaré le premier ministre hongrois Viktor Orban le 21 décembre lors d’une conférence de presse. L’Union européenne qui emprunte l’argent sur les marchés au nom des 27 n’a aucune base légale pour geler les paiements. C’est une décision partisane qui est en train de faire voler l’UE en éclats. »

La Hongrie et la Pologne n’ont pas hésité à entamer un procès contre les institutions européennes afin de réclamer l’annulation du dispositif qui permet à Bruxelles de suspendre le versement de fonds européens en cas de violations des principes de l’État de droit. Les deux pays s’étaient fait taper sur les doigts à plusieurs reprises par Bruxelles en raison des atteintes portées à l’indépendance de la justice et aux droits des minorités sexuelles, mais aussi des nombreux conflits d’intérêts constatés à Budapest et à Varsovie. « L’appartenance à l’Union européenne va de pair avec une adhésion entière et inconditionnelle à des valeurs et à des règles communes, ont déclaré en octobre dernier les ministres des Affaires étrangères français et allemand, Jean Yves le Drian et Heiko Maas. Nous réitérons notre soutien à la Commission européenne pour qu’en sa qualité de gardienne des traités elle assure le respect du droit européen. »

La Commission de Bruxelles a prévu un plan relance européen, le « Next Generation EU » doté de 750 milliards d’euros, afin d’aider les pays membres à palier les effets de la crise économique dans le contexte de la pandémie du
Covid-19. Une bonne partie de cette manne devrait être attribuée aux pays de l’Europe centrale et orientale les plus affectés par les effets de la pandémie. La Pologne devrait recevoir 57 milliards d’euros, la Roumanie plus de 29 milliards, tandis que la Hongrie se contenterait de 7,2 milliards d’euros. Toutefois le pactole européen est conditionné au respect de l’État de droit que les autorités polonaises et hongroises ont bafoué à plusieurs reprises, ce que Bruxelles n’hésite pas à rappeler dans le contexte du plan de relance.

« L’égalité et le respect de la dignité et des droits de l’homme sont des valeurs fondamentales définies dans l’article 2 du traité de l’Union européenne, a rappelé Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. La Commission utilisera tous les instruments à sa disposition pour défendre ces valeurs. La Commission ouvre des procédures d’infraction contre la Hongrie et la Pologne dans les domaines de l’égalité et de la protection des droits fondamentaux. » Budapest et Varsovie ont riposté par un recours entamé le 11 octobre devant la Cour de justice de l’UE (CJUE). « La Hongrie rejette tout lien entre les violations de l’État de droit et le budget de l’UE qui doivent être examinés séparément », a déclaré le représentant de l’État hongrois Miklos Zoltan Feher.

Quant à la Pologne, sa contre-offensive est allée beaucoup plus loin puisque le Tribunal constitutionnel polonais a estimé que certains articles du traité de l’UE étaient incompatibles avec la Constitution du pays. Cette provocation, qualifiée par les experts de « Polexit juridique », pose la question de l’appartenance de la Pologne à l’UE cinq ans après la décision des Britanniques de quitter celle-ci. « Trop c’est trop, a rétorqué Jeroen Lenaers, porte-parole de la commission des Libertés civiles, de la Justice et des Affaires européennes (LIBE) au Parlement européen. Le gouvernement polonais a perdu sa crédibilité. C’est une attaque contre l’UE dans son ensemble. »

La Pologne risque de voir les 57 milliards d’euros du plan de relance européen repoussés aux calendes grecques. La Hongrie s’inquiète moins pour les 7,2 milliards d’euros qu’elle risque de voir lui passer sous le nez. « Nous pouvons faire sans les fonds européens, nous avons assez d’argent pour financer nos projets, a déclaré Peter Szijjarto, le ministre des Affaires étrangères. Utiliser les fonds européens comme moyen de chantage pour obtenir des changements politiques est inacceptable. »

La Pologne et la Hongrie appliquent le même modèle dans leurs relations avec l’UE : d’abord l’argent, les principes viendront après. Quant à la Roumanie, leur voisine, elle s’en sort mieux après avoir traversé une crise politique fin 2021 qui mettait en danger le plan de relance européen. Les 29 milliards d’euros prévus dans ce plan, soit environ quinze pour cent du PIB roumain, irrigueront bientôt le système financier du pays. Le nouveau gouvernement de coalition entre les libéraux et les sociaux-démocrates s’est engagé auprès de Bruxelles à respecter toutes les normes européennes pour accéder au pactole du plan de relance. Quant à la Hongrie et à la Pologne, elles peinent à convaincre la Commission de Bruxelles qui ne semble pas prête à leur donner accès à la manne européenne..

Mirel Bran
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