Europe de l’Est

Le retour du nucléaire

d'Lëtzebuerger Land du 17.12.2021

L’énergie verte se cache-t-elle dans les tréfonds de l’atome ? Le nucléaire frappe à nouveau dans l’actualité énergétique et espère figurer bientôt sur la liste des énergies vertes. Plusieurs pays de l’Europe de l’Est, notamment la Roumanie, la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie, font pression sur la Commission européenne pour qu’elle accorde à l’énergie nucléaire le label « vert ». Ce label fait partie de la taxonomie financière durable de l’Union européenne (UE) qui s’applique aux investissements respectueux du climat.

L’emballement des pays de l’Europe de l’Est pour le nucléaire n’est pas singulier, mais fait partie d’une stratégie soutenue par les États-Unis et par plusieurs pays de l’Europe de l’Ouest. « L’énergie nucléaire est une solution en ce qui concerne le réchauffement climatique, a déclaré Rafael Mariano Grossi, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), lors de la COP26, conférence sur les changements climatiques, qui s’est tenue en novembre à Glasgow, en Écosse. Ce n’est pas la panacée, mais elle fournit déjà plus de 25 pour cent de l’énergie propre. »

Cette nouvelle vision sur le nucléaire « vert » est en train de faire son chemin aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. À la mi-novembre, douze syndicats des domaines énergétiques stratégiques ont privilégié le nucléaire dans une lettre ouverte publiée à l’occasion de la COP26. « Le nucléaire a déjà permis d’économiser 70 milliards de tonnes d’émissions de CO2 dans le monde et fournit une énergie propre à des centaines de millions de personnes, expliquent les syndicats. Surtout, c’est notre seule source d’électricité propre qui est disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, quelle que soit la météo. »

Parmi les pays signataires de cette tribune en faveur du nucléaire « vert », on retrouve, outre l’Europe de l’Est, les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la France et la Belgique. Cette option divise l’UE dans la mesure où l’Allemagne et l’Autriche s’y opposent farouchement. Néanmoins la hausse du prix de l’énergie et le besoin urgent de baisser les émissions de CO2 poussent de plus en plus de pays à se tourner vers le nucléaire. Un domaine où les États-Unis ont une longueur d’avance grâce à la nouvelle technologie des petits réacteurs nucléaires SMR (Small Modular Reactor).

Washington compte sur les SMR pour changer la donne sur le nucléaire. Oubliée l’image des centrales géantes qui peuvent connaître des accidents, comme à Tchernobyl et à Fukushima. Les SMR sont tellement petits qu’ils peuvent être transportés en camion. Bref, une centrale petite, modulable et mobile qui n’a rien à voir avec les mastodontes du passé. Cerise sur le gâteau, le refroidissement des SMR bénéficie lui aussi d’une nouvelle technologie qui permet d’installer ces petites centrales à peu près partout.

Les SMR sont pour l’instant un projet mené par la société américaine NuScale qui compte conquérir rapidement de futurs marchés. Il n’existe encore aucun réacteur NuScale en état de marche dans le monde, mais cela n’empêche pas la signature de contrats de construction. L’enjeu en vaut la chandelle car, selon Washington, les technologies bas-carbone en Europe de l’Est représentent un marché de 23 000 milliards de dollars. « Ces marchés nous permettront de créer de nouvelles industries, d’attirer des milliards de dollars d’investissements et de créer des millions de nouveaux emplois », a déclaré Jennifer Granholm, le secrétaire à l’Énergie aux États-Unis.

Washington a déjà commencé à placer ses pions dans la future course pour le nucléaire « vert », et choisi de faire de la Roumanie son fer de lance dans l’UE. Lors de la COP 26, le président roumain Klaus Iohannis et le représentant spécial des États-Unis ont signé un accord pour la construction en Roumanie d’une petite centrale nucléaire comportant six modules. Le futur joujou SMR dont chaque module produira 77 méga watts devrait être mis en service en Europe en 2028. Avec la signature de cet accord entre la compagnie américaine NuScale et son homologue roumaine Nuclearelectrica la Roumanie espère devenir un centre de diffusion des nouvelles technologies SMR dans l’UE et un centre de formation du personnel. « Ce partenariat permettra de former une nouvelle génération d’ingénieurs qui bénéficieront de l’innovation révolutionnaire de la technologie SMR de NuScale », a déclaré le PDG de Nuclearelectrica Cosmin Ghita.

La Roumanie pourrait devenir à terme un exportateur d’énergie dans l’UE, d’autant que son partenariat avec les États-Unis lui ont localisé des gisements de gaz dans la mer Noire. Le 3 novembre, la compagnie Romgaz, contrôlée par l’État roumain, a racheté la part du géant américain Exxon Mobil en vue d’un projet d’extraction du gaz en mer Noire, pour un montant d’un milliard de dollars. Les ambitions de la Roumanie sur le marché énergétique européen irritent la Russie qui entend conserver sa position privilégiée pour l’exportation d’énergie en Europe. L’installation de centrales américaines SMR en terre roumaine ne fera que renforcer l’hostilité de la Russie dont les rapports avec la Roumanie s’annoncent orageux.

Mirel Bran
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