Malgré les nouvelles technologies et la concurrence des non-banques

Les banques traditionnelles restent « pertinentes »

d'Lëtzebuerger Land du 31.03.2017

Selon le sixième baromètre des relations banques-clients de Deloitte France (enquête menée auprès de plus de 3 300 clients dans 21 banques différentes) publié à l’automne dernier, 27 pour cent des clients ne se rendent plus du tout dans leur agence ! Ils n’étaient que 18 pour cent dans ce cas en 2014. De quoi alimenter l’inquiétude pour le sort des réseaux, dans un pays où, comme en Espagne et en Italie, ils sont encore denses, avec une agence pour 1 775 habitants contre une pour 2 700 dans l’UE (le Luxembourg en compte une pour 2 600 habitants). De fait, en février et mars, plusieurs banques françaises ont dévoilé d’importants programmes de fermetures pour les trois années à venir.

La baisse de la fréquentation des agences est naturellement liée aux évolutions technologiques qui permettent d’entretenir une relation à distance pour un nombre toujours croissant de produits et de services : le baromètre Deloitte montrait à ce sujet que l’usage des applications mobiles gagnait du terrain pour les opérations simples (21 pour cent en 2016 contre 17 pour cent en 2015) et dépassait même celui des sites Internet pour la consultation des comptes.

Mais si les clients vont moins en agence c’est aussi qu’ils ont de plus en plus recours à des prestataires non-bancaires : selon la même étude, 48 pour cent des répondants se disaient prêts à ouvrir un compte bancaire auprès d’un établissement de paiement tel que PayPal, treize pour cent auprès d’un opérateur téléphonique et cinq pour cent chez un fabricant de matériel de communication comme Apple ou Samsung. Pire encore, pour l’amour-propre des banques : six pour cent des sondés ne voyaient pas d’inconvénient à ouvrir un compte dans un bureau de tabac et un pour cent dans une station-service ! Au total le « risque d’attrition » s’élevait à 38 pour cent en 2016, six points de plus en à peine un an.

L’évolution des comportements est telle que la question s’est posée de savoir si les banques, dans leur forme actuelle, avaient encore une raison d’être, si elles étaient encore « pertinentes » aux yeux de leurs clients, au sens le plus basique du terme : « qui convient, qui est approprié, qui est en rapport avec les attentes ». C’est dans cet esprit que le cabinet EY a construit le « Bank Relevance Index » (BRI), un indicateur « mesurant une gamme de comportements et d’attitudes actuels et futurs » fondé sur quatre variables : quelle est la confiance accordée aux banques traditionnelles, qui est actuellement le principal prestataire financier, quels sont les produits et services détenus et auprès de qui, quelles sont les intentions de souscription et auprès de qui.

Sa valeur va de zéro à cent. Au maximum, les consommateurs détiendraient tous leurs produits financiers auprès des banques, les utiliseraient comme leurs principaux fournisseurs de services financiers, leur feraient entièrement confiance et s’adresseraient exclusivement à elles pour obtenir des conseils financiers et de nouveaux produits et services. Un BRI nul traduirait en revanche une utilisation exclusive des non-banques pour tous les aspects de leur vie financière. La moyenne mondiale, établie à partir des réponses de 55 867 clients dans 32 pays, s’établit à 75,1. En excluant le chiffre atypique de l’Arabie saoudite (59,7) les pays se tiennent dans une fourchette assez étroite, avec un minimum de 66,9 en Indonésie et un maximum de 82,7 en Finlande. Le BRI dépasse les 80 pour cent dans sept pays : l’Allemagne, quatre pays du nord de l’Europe, la Nouvelle-Zélande et le Canada. Il est compris entre 78 et 80 pour cent dans quatre autres (France, Pays-Bas, Suisse et Australie). En revanche il est inférieur à 72 pour cent dans dix pays, principalement émergents (Inde, Chine, Indonésie, Brésil, Mexique, Nigéria) à l’exception notable du Japon (71,8) et de l’Italie, seul pays européen dans ce groupe (71,6). On peut en déduire que, surtout en Europe, les banques restent « pertinentes » pour leurs clients, ou, pour employer un mot un peu galvaudé, qu’elles marquent une forte « résilience » dans un contexte concurrentiel et technologique très chahuté. Comment l’expliquer ?

Les banques traditionnelles, loin de se laisser « tondre la laine sur le dos » par les nouveaux entrants se sont adaptées à leur irruption, comme à celle des nouvelles technologies. L’exemple de la banque-en-ligne est révélateur : en l’espace de deux décennies, quasiment tous les grands établissements se sont dotés, par création en interne ou par rachat, de services de ce type, éventuellement logés sous une marque propre (Hello Bank pour BNP Paribas, par exemple) et ont éliminé les « pure players » indépendants. Autre exemple plus récent, celui des fintechs : dans tous les domaines où ces start-ups avaient commencé à tailler des croupières aux acteurs en place, elles ont dû finalement composer avec eux.

Prenons le cas des « robots conseillers ». Un des régulateurs français a pu écrire en octobre 2016 que dans cette activité « l’innovation est également portée et incorporée par les acteurs historiques ». Aux États-Unis, les pionniers Betterment et Wealthfront doivent désormais affronter des mastodontes comme BlackRock (qui a racheté FutureAdvisor en 2015) ou encore Fidelity, Charles Schwab et Vanguard qui, après quelques hésitations, ont fini par créer leurs propres robots-conseillers. Le Vanguard Personal Advisor gère la bagatelle de 47 milliards de dollars contre 7,4 à Betterment et cinq à Wealthfront. Même évolution en Europe, où les banquiers, assureurs et gérants d’actifs ont développé leurs propres solutions tout en n’excluant pas les partenariats commerciaux ou capitalistiques avec les start-ups. Ainsi en France trois des cinq « jeunes pousses » présentes sur le créneau ont désormais pour actionnaires de référence Axa, le Crédit Mutuel et Amundi. Plusieurs de celles qui s’étaient originellement positionnées sur une relation directe avec les investisseurs particuliers, se mettent au b-to-b, c’est-à-dire à la fourniture de leurs services à des professionnels, souvent en « marque blanche ». Et les nouveaux entrants les plus récents semblent renoncer à s’intéresser aux clients individuels, en raison du coût trop élevé d’acquisition et de rétention (cas de la start-up belge Swanest).

Pour conserver leurs positions les banques traditionnelles comptent aussi sur leurs réseaux (lire encadré) car dans les activités de services en général, et dans le retail banking en particulier, la proximité physique demeure un « facteur-clé de succès » avec des parts de marchés directement proportionnelles à la taille des réseaux. Elles y sont encouragées par de nombreuses études montrant que le besoin de contact en face-à-face est toujours fort. Ainsi dans le baromètre Deloitte 47 pour cent des sondés disaient préférer se rendre dans une agence pour réaliser des « opérations complexes » plutôt que de recourir au site Internet de leur banque (17 pour cent), au téléphone (onze pour cent) ou à une application mobile (quatre pour cent seulement).

De son côté l’étude EY indique que dans le monde soixante pour cent des clients accordent toujours de l’importance à une « présence physique ». Rien d’étonnant à cela car, en matière d’utilisation de leurs services, les banques bénéficient d’un phénomène bien connu des spécialistes du marketing : le poids des habitudes, qui confère aux comportements des consommateurs une grande force d’inertie. Dans la banque, les habitudes sont d’autant plus ancrées que la relation s’inscrit dans la durée.

D’autre part, même si les clients les plus jeunes sont classiquement les plus susceptibles d’adopter de nouveaux produits, de nouvelles techniques ou de nouveaux modes de relation, c’est loin d’être le cas pour la grande masse. En France une étude menée auprès de chargés de comptes révélait que soixante pour cent de ces professionnels estimaient leurs clients incapables de souscrire des produits d’épargne en ligne, une proportion montant à 70 pour cent pour les crédits. Un jugement sévère mais fondé sur l’observation directe des comportements, marqués à la fois par la force des habitudes et le manque de formation et d’information.

Le buzz fait autour de certaines innovations donne à penser qu’elles sont de grande ampleur et « disruptives ». Toutefois les chiffres racontent une autre histoire. Selon le site statista.com, en 2016 en Europe le pourcentage de clients ayant accès à des services bancaires par Internet est en moyenne de 49 pour cent seulement. La moitié des pays de l’UE, dont l’Espagne et l’Italie, sont en dessous. En France, en Belgique et au Luxembourg les chiffres sont respectivement de 59, 64 et 71 pour cent. La pénétration des pure players de la banque directe, quasiment tous des filiales de banques classiques, reste modeste (8,3 pour cent en France).

Autre exemple : en 2015 les fonds levés par les plates-formes européennes de crowdlending ont plus que doublé. Un résultat spectaculaire, mais le total ne représente encore que trois milliards d’euros, collectés à 85 pour cent au Royaume-Uni. À titre de comparaison, la même année la production des crédits à la consommation a dépassé 200 milliards d’euros dans l’UE. Quant aux robots-conseillers, les prévisions les plus optimistes indiquent qu’à l’horizon 2020 ils gèreront dix pour cent du total des actifs financiers dans le monde, mais la plupart des évaluations comme celle du cabinet AT Kearney évoquent plutôt 2,5 à 3 pour cent ! Dans le secteur bancaire le changement de paradigme prend son temps.

Capital commercial

Dans l’UE entre 2011 et 2015 le nombre d’agences bancaires a diminué de 155 pour cent. Seulement trois pays ont connu une haussetrès modeste. La baisse a été la plus fortede 25 à 40 pour centaux deux extrémités géographiques de l’Europe : dans le nord (pays baltes et scandinavesPays-Bas) et dans le sud (EspagnePortugalGrèceChypre).

Le mouvement de contraction va se poursuivre dans les pays où la densité reste élevée (notamment en Europe du sudmais aussi en Allemagne et en Autriche) mais il a semble-t-il atteint ses limites dans d’autres régions où la voilure a été réduite dès le début des années 90. Pour se limiter à l’Europe de l’ouest et du nordon compte actuellement une agence pour 5 200 à 5 500 habitants au Danemarken Suède et en Finlandeune pour 6 000 au Royaume-Uni et une pour 9 600 aux Pays-Bas !

En dessous d’un certain nombre d’agencesplus question de fermetures : l’heure est plutôt à la reconfiguration. Réaménagement des espacesavec une large place faite aux nouvelles technologies mais aussi recours aux techniques de « marketing sensoriel » (bruitsodeurs et couleurs) et spécialisation des points de vente par segments de clientèle (jeunesclients aisés) ou par produits et services (immobilierplacements boursiers) sont les grandes tendances du moment. Des expériences de nouveaux points de vente sont menées en permanence. L’idée sous-jacente est que les réseaux constituent un patrimoine commercial inestimabledont on peut d’autant moins facilement se défaire qu’il a été long et coûteux à constituer et qu’il faut surtout mieux valoriser. gc

Georges Canto
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