Biennale de Venise

L’être et le paraître de Mike Bourscheid

d'Lëtzebuerger Land du 31.03.2017

« On travaille ensemble, le pavillon et moi », affirme Mike Bourscheid, contacté par courriel cette semaine à Venise. Depuis une dizaine de jours, l’artiste luxembourgeois, qui vit et travaille entre Vancouver, Canada et le Luxembourg, est en Italie pour préparer son pavillon, qui sera inauguré d’ici six semaines (le vernissage aura lieu jeudi 11 mai). Durant ce temps, Mike Bourscheid installe son pavillon intitulé Thank you so much for the flowers, retenu au printemps 2016 parmi 24 projets soumis à un jury de professionnels nationaux et internationaux. Dont Kevin Muhlen, le directeur du Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, qui en est le curateur, le Casino étant aussi l’institution exécutante de cette édition. « Je construis des murs, je repeins, je pose des tapis, je retape, explique l’artiste. Je ne détruis rien, je n’enlève rien, je rénove plutôt… » Ensuite, il y montera ses sculptures, costumes et autres œuvres réalisées pour l’occasion et préparera ses performances. Le lieu dans lequel le Luxembourg tient sa présence nationale à la Biennale de Venise depuis la venue de Simone Decker en 1999, cet appartement privé dans un palais vénitien historique avec vue sur le Canal’Grande, a inspiré Mike Bourscheid dès sa première visite sur place : cette ambiance intime, ce charme désuet d’une richesse oubliée lui ont dicté la dramaturgie du pavillon, son agencement. Chacune des cinq grandes salles aura une ambiance différente et un ou plusieurs personnages qui vont avec, comme s’ils y vivaient.

Retour en arrière. À la mi-janvier, Mike Bourscheid est venu au Luxembourg pour présenter, au Casino, son projet au public autochtone. L’État débourse 235 000 euros pour assurer cette présence à la plus grande biennale d’art contemporain d’Europe. Cette somme ira dans les frais de fonctionnement surtout, le personnel de surveillance, l’organisation du vernissage et de l’accueil des invités ; une grande partie est réservée aux frais de production, « et avec ce que je gagnerai, moi, je vais m’acheter une nouvelle machine à coudre », promet Mike Bourscheid dans un large sourire, lors d’un long entretien réalisé pour ce portrait. Bourscheid est un grand gaillard, un homme fort et moustachu, qui porte des casquettes à l’américaine – et adore la mode. « Enfant déjà, ça m’a énervé qu’un homme doive être fort. Et au lycée, ces copains qui préféraient aller boire des bières plutôt que d’aller visiter un musée m’exaspéraient. » Déjà à l’époque, nous sommes dans les années 1980-90 à Schifflange, où il a grandi (il est né en 1984), puis à Esch, où il a fait son lycée, Mike a décidé, inconsciemment, qu’il allait lutter contre les clichés et les discriminations.

Fils « d’une mère couturière et d’un père soudeur », comme le précise le dossier de presse, il se souvient surtout des longues soirées passées dans des bars le week-end, lorsque son père accompagnait le musicien boute-en-train Fausti au saxophone. « Ce sont des aspects du Luxembourg qui me manquent, qui ont complètement disparu », regrette-t-il. Dans Blicke ohne Grenzen, au Centre national de l’audiovisuel en 2015, il montra des photos détournant avec beaucoup d’humour ses souvenirs d’une jeunesse dans le Sud ouvrier. Bourscheid a quitté le grand-duché à 19 ans pour entamer des études en arts plastiques, d’abord à la fac d’Aix-Marseille, puis, cherchant une approche plus pratique, à Berlin, où il sera élève de Lothar Baumgarten. C’est à Berlin qu’il s’émancipe de l’académisme, se libère des contraintes imposées par l’université, ose écrire des (auto-)fictions, se tourner vers une approche plus plastique – et inclure une composante essentielle pour son travail aujourd’hui : l’humour. Voire la dérision. C’est à Berlin aussi qu’il rencontre celle qui deviendra sa femme, la sculptrice Vanessa Brown, qu’il suivra les mains dans les poches, avec juste un sac sur le dos, pour refaire sa vie au Canada. Start from scratch...

Depuis, c’était il y a cinq ans, l’art de Mike Bourscheid a encore une fois changé. Car il fallait s’intégrer dans une société à la fois si similaire et pourtant si différente de l’Europe. Et, constata-t-il, l’humour des deux continents n’a rien à voir : les Canadiens ne comprenaient pas le sien, et lui a toujours du mal à comprendre le leur. Pour sa performance Der Hammel von Kouver, il tentait de reproduire les sons des canards canadiens, apparemment si typiques, avec une cornemuse qu’il avait bricolée lui-même, comme pour signifier sa volonté de mimétisme, forcément voué à l’échec. C’est à partir de cette époque-là aussi que, frustré de ne jamais savoir quoi mettre pour ses performances, il commença à coudre lui-même ses propres costumes. D’abord fastidieusement, mais avec l’expérience, il améliore sa technique – « aujourd’hui, je couds mieux que ma mère », s’amusa-t-il au Casino –, ses costumes deviennent de plus en plus complexes. Comme celui pour The Goldbird Variations (2016), jaune canari, avec des coutures apparentes et une protubérance entre les jambes. Les costumes-prothèses modifient son corps ; ses poses lors des photos, entre féminin et masculin, véritablement transgenres, modifient le regard du spectateur sur ses costumes et sculptures.

Aujourd’hui, quand Mike Bourscheid parle luxembourgeois, il dit toujours Goar et Moar, comme un vrai « Minetter », dont il a gardé la modestie et cet understatement si typique des gens du Sud. Mais il s’exprime désormais plus précisément en anglais, devenu sa langue véhiculaire. Il a appris que, dans la vie, il est toujours question de traduction, de compréhension et d’adaptation. Une sorte de darwinisme culturel, quoi. Les différences interculturelles se retrouvent déjà dans le titre ironique de son pavillon : le « thank you soooooo much » exubérant si typique au continent nord-américain est ressenti comme excessif en Europe. Pour parler de cette difficulté d’adaptation ou de compréhension, il est même allé jusqu’à apprendre à parler à un perroquet – un apprentissage que l’on retrouvera en vidéo à Venise et qui n’est pas sans rappeler l’expérience du Domaine de Marcel et de Joseph de Bert Theis, de 1998 à 2000 à l’Aquarium du Casino (les deux mainates n’ont jamais imité les phrases de Marcel Duchamp et de Joseph Beuys que l’artiste voulait leur inculquer, mais la toux du gardien et la sonnerie du téléphone du directeur).

L’apprentissage de nouveaux vocabulaires, non seulement langagiers, mais aussi artisanaux est au centre de l’évolution artistique de Mike Bourscheid. À chaque étape, à chaque nouvelle œuvre, il acquiert de nouvelles compétences, de nouvelles techniques : après la photographie et la sculpture, il s’est tourné vers la couture, la menuiserie, la danse, puis récemment la poterie, et, pour Venise, ce sera également la pâtisserie. Cela a probablement à voir avec son côté control freak, concède-t-il, mais aussi avec cette volonté de maîtriser tout le processus de production de ses œuvres. Fan de mode et de danse contemporaine – il peut s’enthousiasmer autant pour des détails du drapage d’un costume du XVIe que pour le design de Rei Kawakubo pour Comme des garçons –, il a aussi ses références, ses modèles en arts plastiques : Oskar Schlemmer, Jason Rhoades, Mike Kelley, Paul McCarthy ou encore Dieter Roth. Tous des artistes extrêmes, qui transgressent les limites entre les disciplines, investissent le monde avec leur corps tout entier. Comme le fait Mike
Bourscheid lors de ses performances, par exemple Johannes hatte gelogen au vernissage de son exposition Ehe ehe, en 2015 au centre d’art Nei Liicht de Dudelange, durant laquelle l’artiste, affublé d’un masque avec un gigantesque pénis en guise de nez, devait viser des trous dans des parois… La corporalité, les questions du genre, de leur perméabilité, des normes sociétales sont autant de questions qui occuperont aussi Mike Bourscheid à Venise. « Je trouve surtout que Venise et la grande attention qui lui est consacrée est un important vecteur pour moi, pour pouvoir dire des choses », estime Mike Bourscheid, Par exemple pour militer pour l’égalité radicale de tous les êtres humains, « parce que la discrimination, c’est dégueulasse ».

La biennale de Venise dure du 12 mai au 26 novembre ; pour plus d’informations sur Mike Bourscheid ou son pavillon : mikebourscheid.com et luxembourgpavilion.lu.

josée hansen
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